Civilizations de Laurent Binet

AO News # 34-35 / Juin-Juillet 2020

Une critique littéraire de Joël ITIC

Ed. Grasset Grand prix du roman de l’Académie française 2019

 

Retour vers le futur …….

 

Vers l’an mille : la fille d’Erik le Rouge met cap au sud.

1492 : Colomb ne découvre pas l’Amérique.

1531 : les Incas envahissent l’Europe.

Civilizations est le roman de cette hypothèse : Atahualpa, le chef Incas, débarque dans l’Europe de Charles Quint. Pour y trouver quoi ? L’inquisition espagnole, la Réforme de Luther, le capitalisme naissant, le prodige de l’imprimerie. Des monarchies exténuées par leurs guerres sans fin, sous la menace constante des Turcs. Une mer infestée de pirates. Un continent déchiré par les querelles religieuses et dynastiques. Mais surtout, des populations brimées, affamées, au bord du soulèvement, juifs de Tolède, maures de Grenade, paysans allemands : des alliés potentiels.

De Cuzco à Aix-la-Chapelle, et jusqu’à la bataille de Lépante, voici le récit de la mondialisation renversée, telle qu’au fond, il s’en fallut d’un rien pour qu’elle l’emporte, et devienne réalité.

 

A partir d’une brillante idée, Laurent Binet nous entraîne dans une uchronie foisonnante touffue où les héros issus de son imagination côtoient des figures historiques bien réelles mais on s’y perd dans cette multitude de personnages. Certains sont pittoresques, Melenchton (sic) beaucoup plus drôle que son double contemporain, mais il faut parfois consulter monsieur Google pour suivre le fil du roman et démêler la réalité de la fiction. Je n’ai pas toute mon histoire de l’Europe en tête, je l’ai donc fait souvent et cela gâche un peu le plaisir de la lecture. Le premier roman de Laurent Binet "HHhH" m’avait passionné (voir une de mes précédentes critiques dans cette même rubrique) Un film avait d’ailleurs illustré sur les écrans cette publication, mais je dois avouer que le suivant, "La septième fonction du langage", prix Interallié en 2015 m’est malgré tout tombé des mains. A partir de la mort de Roland Barthe renversé par une camionnette de blanchisserie en 1980, l’auteur qui nous présente cet accident comme un assassinat, nous entraîne dans un pseudo polar à tiroirs multiples. Un héros qui échappe à un attentat à la bombe, qui manque de se faire poignarder par un philosophe du langage, qui rencontre Giscard à l’Elysée et M. Foucault dans un sauna gay, assiste à une tentative d’assassinat avec un parapluie empoisonné, découvre une société secrète ou on coupe les doigts des perdants…. Je n’ai plus de souffle, surtout je n’arrive plus à suivre le fil de l’intrigue. Laurent Binet a l’uchronie chronique !! Cet auteur sait écrire avec talent, imagination et érudition, j’ai noté quelques formules savoureuses : « la religion du « dieu cloué » avec ces tondus qui le servent » ; « le miracle de l’imprimerie et de ses feuilles qui parlent ». J’ai apprécié son analyse (O combien d’actualité !!) sur les incohérences d'une religion (la chrétienté) qui n'hésite pas à tuer, à brûler celles et ceux qui ne croient pas ou croient un autre dieu, faut-il le rappeler l'inquisition est dans son âge d'or et brûle les planches (oup’s). L’imagination débordante de Laurent Binet nous égare dans le labyrinthe de ses circonvolutions cérébrales, on se perd dans tous ces chemins de traverse. C’est comme suivre avec précision tous les rameaux d’oliviers brodés d’or sur l’habit vert d’un académicien !! C’est peut-être pour cela qu’ils l’ont couronné ??

 

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