Il n'y a pas de Ajar

Delphine Horvilleur            Ed. Grasset

AO News #56 - Février 2023


Ce Ajar est une nécessité…….

 

La lumineuse Delphine Horvilleur et l’un de mes auteurs préférés, Romain Gary, réunit littérairement… impossible de passer à côté du dernier ouvrage de cette femme singulière, dans tous les sens du terme, rabbin, écrivain et philosophe. 

Romain Gary, écrivain magistral, prix Goncourt 1956 pour les Racines du ciel, marqué du sceau de l’identité, est un éternel écorché qui réfuta longtemps sa judéité, mais rattrapé par son épigénétique, il l’assumera pleinement. Il récidive en ressuscitant sous la plume d’Emile Ajar avec la plus grande entourloupe de l’histoire littéraire qui le consacrera pour la deuxième fois prix Goncourt en 1974 (La vie devant soi). 

Entourloupe, le nom que Romain Gary utilisait pour démontrer qu'on n'est pas que ce que l'on dit qu'on est, qu'il existe toujours une possibilité de se réinventer par la force de la fiction et la possibilité qu'offre le texte de se glisser dans la peau d'un autre. Au-delà de la limite où son ticket ne fut plus valable, il quitta la vie, avec son faux masque, sa dernière identité, et révéla l’entourloupe dans une publication posthume, Vie et mort d’Emile Ajar.                                              L’identité est au cœur de nombreux débats aujourd’hui, le JE a pris le pas sur le NOUS, l’individuel prime sur le collectif. L'étau des obsessions identitaires, des tribalismes d'exclusion et des compétitions victimaires se resserre autour de nous. Il est vissé chaque jour par tous ceux qui défendent l'idée d'un purement soi, et d'une affiliation authentique à la nation, l'ethnie ou la religion. Un homme détient, d'après l'auteure, une clé d'émancipation : Emile Ajar. 

D. Horvilleur imagine un monologue contre l'identité avec un homme, Abraham Ajar, qui s’affirme être le fils d'Emile et demande ainsi au lecteur : es-tu l'enfant de ta lignée ou celui des livres que tu as lus ? Es-tu sûr de l'identité que tu prétends incarner ?  (Pseudo, 3ème roman publié en 1976 sous le nom d’Emile Ajar).                                                                                            C’est un livre subtil et d’une brillante intelligence. Bien sûr Delphine Horvilleur, en femme de foi et de tolérance, a sur l’identité une vision humaniste : Il est permis et salutaire de ne pas se laisser définir par son nom, sa naissance ou sa religion. Permis et salutaire de se glisser dans la peau d’un autre qui n’a rien à voir avec nous. Permis et salutaire de juger un homme pour ce qu’il fait et non pour ce dont il hérite. D’exiger pour l’autre une égalité, non pas parce qu’il est comme nous, mais précisément parce qu’il n’est pas comme nous, et que son étrangeté nous oblige. 

Qui peut contredire cette âme généreuse … mais comme disait le philosophe, l’enfer c’est les autres, et c’est précisément l’autre qui veut nous imposer son identité, son mode de vie, sa religion et faire de nous les responsables contemporains des erreurs, des dérives et des massacres des siècles antérieurs. Notre génération n’est ni responsable de l’esclavage, des colonisations et des ségrégations raciales, pourtant les nouveaux racialistes veulent nous faire porter cette croix comme un péché originel. Les juifs avec les millions de morts de la Shoah ont-ils commis le moindre attentat en Allemagne pour se venger du nazisme ?  L’identité, qu’on le veuille ou non, porte le poids de l’épigénétique. Je me souviens en écrivant ces lignes d’une anecdote savoureuse : lors d’une rencontre officielle Golda Meir alors Première Ministre israélienne reprocha à Henry Kissinger, célèbre secrétaire d’état de Richard Nixon, de ne pas assez soutenir Israël alors qu’il était de confession juive, celui-ci se justifia : Je suis d’abord citoyen du monde puis américain, puis républicain, puis juif. Ce à quoi Golda Meir eu cette répartie magnifique : justement en hébreu on lit de droite à gauche !  

Je partage avec Delphine Horvilleur cette admiration pour Romain Gary. Il a forgé son identité par la culture et la réflexion qui l’ont conduit, entre autres, à rejoindre De Gaulle dans la résistance après l’appel du 18 juin. Il affirmait ainsi : Je n’ai pas une goutte de sang français, pourtant la France coule dans mes veines. C’était aussi un visionnaire, dans son livre Chien Blanc publié en 1970, il y dénonce déjà les dérives d’un certain militantisme antiraciste et, bien avant le wokisme actuel, il y pourfend les professionnels de la souffrance des autres. Par exemple, ces milliardaires américains (il vivait alors aux Etats Unis), qui dans des soirées caritatives se donnaient une bonne conscience jusqu’à «laver plus blanc que blanc » en exacerbant la culture victimaire, jusqu’à soutenir des organisations noires ultra-violentes comme les Black Panthers.

Malgré la gravité du sujet Delphine Horvilleur nous enchante par son humour digne d’un Woody Allen. Preuve de l’humour Juif ? On ne sait, mais si tous les rabbins étaient si drôles et parfois insolents envers Dieu, je fréquenterais peut-être plus souvent les synagogues ! Un exemple : Moi, c’est simple : si j’avais pu, j’aurais été « intactiviste », j’aurais milité férocement contre la circoncision….. Les juifs, ils font ça très tôt. A huit jours. Ça permet de lever très tôt toute ambigüité sur leurs ambitions, et de confirmer ce qu’on dit d’eux, tu sais ; un peuple d’élite « à part, dominateur et sûr de lui-même ». Tellement sûr de lui-même qu’il prend le risque de couper avant de connaitre la taille définitive de l’organe…. D’ailleurs s’ils sont coupés, c’est qu’ils sont coupables ». On ne peut que conclure avec Romain Gary : L’humour est une affirmation de supériorité de l’homme sur ce qui lui arrive »

 

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