Nous sommes au procès, historique et filmé, des accusés de l’attentat contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cascher de janvier 2015, où des hommes et des femmes sont morts pour la liberté d’expression ou simplement parce qu’ils étaient juifs. Richard Malka, ainsi qu’il le confie dans la préface, privilégie la rédaction intégrale et détaillée de ses plaidoiries afin de développer tel passage ou tel argument en fonction des interventions des avocats de la défense, du juge, des réactions des jurés ou tout simplement l’ambiance au jour J. C’est la plaidoirie d’un homme qui vit menacé et sous protection policière, qui nous est ainsi proposée dans son intégralité. Ce procès est celui des accusés survivants, il aurait dû être avant tout celui de la défense des idées que l’on a voulu d’abord museler puis assassiner et enterrer ; et ce, malheureusement, avec la complicité coupable de politiques de tous bords, de Jacques Chirac à Ségolène Royal et d’intellectuels dévoyés.
C’est à nous, et à personne d’autre, qu’il revient de trouver les mots, de les prononcer, de les écrire avec force, pour couvrir le son des couteaux sous nos gorges. À nous de rire, de dessiner, d’aimer, de jouir de nos libertés, de vivre la tête haute, face à des fanatiques qui voudraient nous imposer leur monde de névroses et de frustration – en coproduction avec des universitaires gavés de communautarisme anglo-saxon et des intellectuels qui sont les héritiers de ceux qui ont soutenu parmi les pires dictateurs du XXe siècle, de Staline à Pol Pot.
Ce combat pour la liberté d’expression, pour le droit au blasphème dans les caricatures se heurte malheureusement aux munichois de la pensée, aux « surtout, pas de vague », aux lâches qui préfèrent vendre leur âme au diable pour une élection, pour une mairie. Les exemples sont tristement nombreux. Paraphrasant Churchill à l’aube de la seconde Guerre Mondiale avec tous ces dirigeants qui ont nourri le crocodile hitlérien, espérant être mangés en dernier. Quand on est confronté à des phénomènes qui nous font peur, certains choisissent de pactiser. Mais à un moment le crocodile munichois devient tellement gros, à force d’être nourri de nos renoncements, que ce qui aurait pu être arrêté avec un peu de courage devient un monstre qui menace de nous engloutir.
Un des points centraux de ce procès est le statut particulier du dessin satirique et de l’offense à la religion. Il est important de rappeler que ce sont les révolutionnaires de 1789 qui ont aboli le délit de blasphème du code pénal, et que Nicole Beloubet, Ministre de la Justice il y a peu, souhaitait rétablir ! L’auteur le rappelle : c’est Clemenceau qui, à l’Assemblée, répondra à l’évêque d’Angers invoquant la blessure des catholiques outragés : Dieu se défendra bien lui-même, il n’a pas besoin pour cela de la Chambre des Députés.
Il n’est pas inutile de rappeler également que les 72 pays musulmans du monde, dans lesquels l’homosexualité reste une abomination souvent punis de mort sont les mêmes où le délit de blasphème perdure. Encore récemment au Pakistan, une jeune femme catholique a été condamnée à mort pour avoir bu de l’eau à une fontaine réservée aux musulmans. Elle fut sauvée, in extremis, par la communauté européenne. Un passage dans cette plaidoirie m’a littéralement sidéré : le MRAP a dénoncé l’islamophobie rampante de Charlie Hebdo, mais au moins sont-ils présents aujourd’hui … ce n’est pas le cas de la Ligue des droits de l’homme. La seule grande association antiraciste absente. Fondée au moment de l’affaire Dreyfus, elle n’est pourtant pas là aujourd’hui au côté des victimes de l’Hyper Cacher …… elle préfère défendre le CCIF (le CCIF association islamiste aujourd’hui dissoute par le ministère de l’Intérieur.) Edifiant !!
Vous ne pouvez passer à côté de ce petit livre, petit pour le temps de lecture (96 pages) mais très grand par la profondeur de sa réflexion, de son humanité, par le choix des mots justes et puissants. Richard Malka est tout aussi touchant et émouvant quand il évoque ses amis de Charlie Hebdo, c’est lui qui avait rédigé les statuts du journal à sa création, c’est dire si les liens d’amitié étaient solides et anciens avec tous ceux qui sont tombés. A l’heure où le combat des idées passe par l’invective, la haine et la violence, où l’intelligence est en déshérence, ce livre est un manifeste contre l’intolérance, le totalitarisme intellectuel mais c’est aussi une bouffée d’air pur et de sensibilité, et comme le disait Riss grâce à la merveilleuse banalité du bien.