Le Schmock

Joël ITIC - AONews #29 - Octobre 2019

Franz-Olivier Giesbert Ed. Gallimard

 

A coup sûr le plus grand de tous les Schmock de l’histoire…

Avec les Schmocks on peut s’attendre à tout même au pire ! Cette expression Yiddish a tinté à mes oreilles tout au long de ma jeunesse, mais malheureusement avec la disparition des parents et grands-parents elle s’est éteinte doucement. Surtout ce n’est plus mon juron spontané depuis fort longtemps et c’est d’autant plus dommage que les Schmocks en tout genre ont proliféré, depuis des années, avec une croissance exponentielle !

 

C’est dire le coup de cœur quand j’ai découvert ce titre et son auteur dans ma librairie préférée. Une petite définition s’impose, le Schmock est une expression Yiddish particulièrement imagée qui signifie à la fois un abruti, un crétin, un salaud, et le pénis. Etre à la fois une bite et un con : quel raccourci…. si je puis dire !!! On voit avec cet exemple comment la langue Yiddish porte en elle-même des images et un humour souvent intraduisible. Elle se meurt, hélas, depuis quelques décennies bien qu’elle soit encore parlée et enseignée dans de nombreux pays. C’est à cet égard un véritable « Esperanto » (la langue internationale qui n’a jamais été réellement adoptée). Certains flics de Brooklyn le pratiquaient couramment, tout comme Louis Armstrong, Colin Powell (le secrétaire d’état de Georges W. Bush) et bien d’autres non juifs.

 

Franz-Olivier Giesbert nous conte l’amitié très proche de deux familles munichoises à travers les deux guerres mondiales : les Weinberger, famille juive bourgeoise non pratiquante, et les Gottsahl, typiquement allemands, patriotes et traditionnalistes dont le patriarche est un industriel prospère. Ce lien amical profond sera mis à mal par la montée du nazisme et la présence régulière du Schmock Adolph (c’est ainsi que le surnommait le père de Franz-Olivier, d’où le titre) à la table des Gottsahl, alors qu’il n’est qu’un petit caporal, vétéran de la première guerre et un peintre sans envergure, refoulé de l’académie des beaux-arts. L’histoire du monde eu-t-elle été changée si le Schmock Adolph avait été admis à cette dite académie ? Eric-Emmanuel Schmitt tente de répondre à cette question dans le superbe « La part de l’autre ».

 

La présence des Weinberger à ces diners ne dissuade pas le Schmock de se lancer dans ses diatribes antisémites et autres éructations favorites. « Un braillard inculte, au teint gris terreux, les intestins putréfiés, l'estomac rongé, provoquant des ballonnements, des rots et des pets inopinés, une véritable bonbonne de gaz. ». L’amitié entre les Gottsahl et les Weinberger résistera malgré tout. Le patriarche Gottsahl, tout en préservant ses arrières et ses intérêts économiques, reste persuadé jusqu’à l’avènement du Schmock au pouvoir que celui-ci n’a aucun avenir politique, ce dont il arrive à convaincre les Weinberger !!

 

F.O.G. ne nous propose pas un ouvrage historique, il tente de répondre à une question essentielle qu’il exprime ainsi : «Malgré toutes mes lectures sur la période hitlérienne, je n'ai jamais réussi à comprendre pourquoi tant d'Allemands "bien", respectables, avaient pris à la légère la montée du nazisme tandis que les Juifs tardaient étrangement à fuir. Par quelle aberration, à cause de quelles complaisances, quelles lâchetés, le nazisme fut-il possible ? Qu'était-il arrivé à ce grand pays de musiciens, de philosophes et de poètes ? ». La question est essentielle car la barbarie humaine s’est plusieurs fois déchaînée depuis la guerre : Rwanda, Cambodge, Yougoslavie, etc… A une différence fondamentale près : aucun de ces génocides, si horrible soit-il, n’a atteint le caractère « industriel » des camps de la mort nazis. L’islamo-fascisme ne marche-t-il pas dans les sillons du nazisme ?

 

Les leçons de l’histoire, plus personne n’y croit. D’ailleurs avec la montée universelle de l’intolérance et du racisme, personne ne semble s’indigner, par exemple, de voir enseigner, dans certains coins du globe dans des manuels scolaires destinés à de tout jeunes enfants, la haine de son voisin et l’incitation à le tuer, photos d’armes à l’appui. F.O.G. nous propose quelques clefs pour comprendre comment «La résistible ascension d’Arturo Ui » (le sosie Brechtien du Schmock) fut possible. Il minimisait en privé devant les grands industriels et décideurs économiques son antisémitisme obsessionnel. Ses talents d’orateur et son hystérie pendant ses discours ont fasciné les foules mais surtout : « son principal mérite aura sans aucun doute été la chance. La politique est une affaire de travail, de talent, de compétence, mais surtout de chance. ». La chance en politique de gagner une élection (sans faire aucun parallèle avec le Schmock, bien entendu), ça ne vous rappelle pas un ou deux exemples récents ?

 

L’ami Franz a totalement oublié d’être Schmock, sa plume est alerte et brillante, son humour (juif inévitablement !!) fait mouche. « Il n'y a rien de tel au monde que l'amour d'une femme mariée. C'est une chose dont aucun mari ne se rendra jamais compte».

F.O.G. s’immisce dans sa propre fiction romanesque avec des anecdotes historiques ou pour rétablir certaines vérités. Le journaliste d’investigation est en ombre chinoise et le travail de documentation est impressionnant. J’ai lu çà et là que l’on reprochait à l’auteur sa légèreté face à un tel sujet. A-t-on reproché cela à Charly Chaplin pour « Le dictateur » ou Roberto Benigni pour « La vie est belle » de 1997 ? Combien ces deux films magnifiques ont-ils fait de milliers (de millions ?) de spectateurs qui ne seraient jamais entrés au cinéma pour voir « Nuits et brouillard » d’Alain Resnais ou « Shoah » de Claude Lanzman, deux films pourtant qualifiés de chef-d’œuvre.

 

Je pense que la qualité principale de cet ouvrage est justement de proposer un roman, une histoire d’amour et d’amitiés et non un énième ouvrage historique. Toutes les anecdotes justes et précises, l’arrière-plan historique parfaitement esquissé, sont à même de donner aux lecteurs réticents aux ouvrages d’histoire ou non réellement concernés, les clefs d’une information objective et d’une compréhension de ce qui a noircit ce début de 20ème siècle. C’est malheureusement nécessaire face aux négationnistes de tous bords et aux barbus de tous poils (sic) qui pullulent comme des Schmocks !!

 

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