Sérotonine

Michel Houellebecq - AO News #25 Avril 2019

Michel Houellebecq

Ed. Flammarion

 

Le sexe faible …….

 

Le sexe est faible mais omni présent, c’est même une des principales préoccupations de l’auteur ou de son double (?), le personnage central de ce roman. En effet tout comme Houellebecq, Florent-Claude est ingénieur agronome (lui aussi déteste son prénom !). Il nous retrace la futilité de sa vie professionnelle dans les ministères, qui le conduit à tout plaquer y compris sa compagne japonaise. Yuzu, issue d’une famille très « BCBG », le trompe effrontément dans des partouzes aux cours desquelles des exploits sexuels insensés m’étaient jusqu’alors, je dois l’avouer, totalement inconnus. Ce qui ne manque pas de piquant si on sait que l’auteur s’est marié récemment à une charmante japonaise !

 

Il se retrouve seul dans un hôtel glauque d’où il ne peut sortir sans ses deux drogues. La cigarette : « le soulagement que m’apporte la première bouffée est immédiat, d’une violence stupéfiante. La nicotine est une drogue parfaite, simple et dure, qui n’apporte aucune joie, qui se définit uniquement par le manque et la cessation du manque » Magnifique !! La deuxième, l’antidépresseur, le Captorix « un petit comprimé blanc, ovale, sécable » qui libère la Sérotonine et dont les effets secondaires sur la libido entrainent des matins nettement moins triomphants mais permet « de maintenir le désespoir a un niveau acceptable ».

 

Il nous conte son amitié d’étudiant agronome pour Aymeric un aristocrate, qui, diplôme en poche, décide de retourner cultiver les terres familiales et de faire de l’élevage durable et raisonné. Il part à sa rencontre pour essayer de retrouver du sens à sa vie mais le constat est implacable, c’est l’échec de leurs idéaux de jeunesse avec la désespérance du monde agricole. Il s’ensuit une déambulation désabusée avant le naufrage pour retrouver toutes les femmes de sa vie, et avant tout Camille, la seule femme qu’il a réellement aimé et qu’il n’a su garder. C’est souvent l’absence qui révèle l’indispensable, la plénitude. C’est un roman sur la solitude (parfois, même à deux), sur l’individualisme généralisé, l’absence de solidarité et de compassion, sur les mutations de notre société qui produisent de plus en plus de laissés pour compte. Face à ce naufrage seul l’amour (le sexe ?) pourrait avoir un sens, d’où cette quête déraisonnable et sans issue, des femmes de sa jeunesse. Les remords, les regrets, les amours perdus…. C’est beau comme du Verlaine.

 

Autant l’avouer, je suis un peu un inconditionnel de Houellebecq, j’aime sa langue, la musique de son style, son humour, particulièrement dans la première partie roman et surtout l’acuité de sa vision et la perception de notre société. Son dernier roman très polémique, Soumission, reflète, qu’on le veuille ou non une évolution malheureusement inéluctable de notre société. Je partage totalement ses critiques sur l’art contemporain dans La carte et le territoire. Ici c’est l’uniformisation des villes, la mondialisation tentaculaire, l’hyper-libéralisme associé à un productivisme démesuré dont on sait que si nous ni mettons un frein, nous courrons vers notre perte. Un des passages du livre avec la confrontation entre agriculteurs désespérés et CRS rappelle étrangement ce qui se passe depuis des mois dans notre pays. Certes le verbe est plus que Rabelaisien, c’est très cru, obsessionnel (bite et chatte sont en permanence embarqués et aucun des deux ne tombe jamais à l’eau…). C’est parfois dérangeant comme ces scènes de pédophilie ou de zoophilie. Il faut passer outre et lire l’essentiel. Et si la déréliction de son phallus n’était en fait que celle de notre société ?

 

On le sait depuis longtemps, Houellebecq est un provocateur salutaire, ses obscénités ne sont jamais purement gratuites, il utilise l’électrochoc. Le monde qui nous entoure est peuplé de malades, de monstres, la marche même du monde devient déraisonnable alors il appuie là où ça fait mal, tel un médecin qui provoque la douleur pour confirmer le diagnostic. Aux politiques de trouver les traitements. Il se cache pour n’avoir point de compte à rendre, pas d’interview pour ce dernier opus. On le traite de réactionnaire, il n’en a cure, il refuse le « politiquement correct » et la «bien pensance » « l’aseptisé » produisant un souffle rafraichissant face à la doxa rampante de la plupart des médias. Il y en a qui ont le vin triste, Houellebecq a le cynisme drôle !!

 

Joël ITIC

Rédaction AO News le mag

 

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