Le grand débat sur la régénération parodontale

Philippe Bouchard - Responsable scientifique : Maria Clotilde Carra

Dossier ADF 2022 : morceaux choisis par la team AONews – AO News #56 – Février 2023


Spécificité de la cicatrisation parodontale

 

Les maladies parodontales comprennent :

- les gingivites, caractérisées par une inflammation sans atteinte du système d’attache. Une augmentation de la valeur du sondage peut avoir lieu en raison de l’augmentation du volume des tissus mous ;

- les parodontites, caractérisées par une atteinte du système d’attache supracrestal, c’est-à-dire une dissociation de l’attache épithéliale et conjonctive de la surface dentaire ainsi qu’une perte osseuse.

La cicatrisation parodontale est obtenue par un réacollement du système d’attache à la surface dentaire. Au sens large, la cicatrisation d’une plaie cutanée consiste en une coaptation des berges de tissus mous histologiquement identiques. La singularité de la cicatrisation parodontale consiste en un réacollement de tissus biologiquement distincts, à savoir les tissus mous et la surface radiculaire (rigide, acellulaire et avasculaire).

 

La cicatrisation parodontale se déroule en 4 étapes (Giannobile et al., 2019)

 

Une nouvelle attache est-elle possible au cours de la cicatrisation ?

 

Au cours de l’histoire, l’évolution des thérapeutiques a joué un rôle majeur dans l’optimisation de la cicatrisation parodontale. Le surfaçage radiculaire ainsi que le lambeau muco-périosté d’assainissement (LMPA) seul, aboutissent à une cicatrisation parodontale dite « naturelle » que l’on qualifie de réparation avec la formation d’un long épithélium jonctionnel (LEJ). Puis les techniques résectrices ont fait leur apparition engendrant la formation d’un court épithélium de jonction (CEJ). En 1986, les techniques de gain d’attache visent à régénérer le système d’attache par comblement de la lésion. L’idée est d’obtenir un gain osseux par une cicatrisation de première ou de seconde intention sans se soucier de l’élément fondamental de la cicatrisation en général, qui consiste en une « fermeture » de la plaie. Dans cette perspective, les thérapeutiques régénératrices et la chirurgie minimalement invasive ont vu le jour. Leur objectif est de favoriser un gain d’attache et un comblement osseux ainsi qu’une fermeture primaire du site permettant une régénération partielle du système d’attache.

 

Des études expérimentales sur chiens beagles ont ouvert la voie à l’étude de la cicatrisation parodontale.

Le protocole consiste en l’extraction d’une dent. Sa couronne est ensuite sectionnée et une encoche horizontale est réalisée sur la racine. La partie coronaire à l’encoche est surfacée de manière à éliminer le ligament parodontal tandis que le ligament est conservé dans la partie apicale à l’encoche. La dent est ensuite réimplantée en position verticale, horizontale ou oblique.

Dans le modèle de réimplantation verticale, on observe dans la partie coronaire qui ne présente plus de ligament, une résorption osseuse. Conclusion : le tissu osseux ne permet pas la formation d’une nouvelle attache (Karring et al., 1980).

Dans le modèle de réimplantation horizontale, la surface radiculaire privée de ligament a subi une résorption radiculaire et la formation de fibres parallèles au contact du tissu conjonctif. Conclusion : le tissu conjonctif n’autorise pas la formation d’une nouvelle attache (Nyman et al., 1980).

Dans le modèle de réimplantation oblique, l’épithélium est perforé à différents moments chez plusieurs animaux. Cela permet d’étudier la migration de l’épithélium à intervalles réguliers. Conclusion : la migration apicale naturelle de l’épithélium permet de protéger la surface radiculaire du contact avec le tissu conjonctif et d’éviter la résorption radiculaire (Karring et al., 1984).

A la lumière de ces résultats, le principe d’exclusion cellulaire par le biais d’une membrane non résorbable a vu le jour (Melcher, 1976).

Une nouvelle attache est donc possible par néoformation d’os, de cément et du desmodonte, sous réserve de : chronologie cellulaire, maintien de l’espace, protection du caillot, stabilité du caillot.

 

 

 

 

 

 

Les 4 étapes du traitement parodontal

 

Une fois le diagnostic de maladie parodontal posé, les patients doivent être traités selon une approche progressive (Sanz et al., 2020).

- Education thérapeutique : enseignement à l’hygiène oral (contrôle du biofilm dentaire supra-gingival) et contrôle des facteurs locaux et systémiques.

- Thérapeutique étiologique permettant la réduction/élimination du biofilm sous gingival et du tartre.

- Thérapeutique chirurgicale des sites qui ne répondent pas à la seconde étape : présence de poches ≥4 mm avec saignement au sondage ou présence de poches parodontales profondes (≥6 mm), dans le but d'accéder davantage à l'instrumentation sous-gingivale, ou dans le but de régénérer ou de réséquer les lésions qui compliquent la prise en charge de la parodontite (lésions intra-osseuses et inter-radiculaires).

- Thérapeutique parodontale de soutien qui vise à maintenir la stabilité du parodonte.

 

Qu’est-ce que les biomatériaux ?

 

Les biomatériaux sont des matériaux, synthétiques ou vivants, utilisables à des fins médicales pour remplacer une partie ou une fonction d’un organe ou d’un tissu (Inserm).

La compréhension du processus de cicatrisation parodontal a permis de développer différents biomatériaux dont l’objectif est d’optimiser les conditions de cette cicatrisation, en favorisant la régénération parodontale. L’utilisation de membranes et de dérivés de la matrice amélaire aboutit à une néocémentogénèse, induisant secondairement une nouvelle attache voire une régénération parodontale. Les matériaux de comblement sont quant à eux ostéoconducteurs, mais ne permettent pas de régénération du système d’attache.

 

D’où viennent les biomatériaux ?

 


  • Autogène : Gold standard car il s’agit du seul matériau à présenter un potentiel ostéogénique, ostéo-inducteur et ostéoconducteur.
  • Allogène : Os de banque (tête fémorale) : Puros®, Biobank®
  • Matrice dermique acellulaire : Alloderm®
  • Xénogène : Substituts osseux : Bio-oss®
  • Matrice dermique acellulaire : CopiOs®, Mucograft®, Bio-Gide®.
  • Alloplastique
  • Agents biologique : Agents bioactifs : Emdogain®, PDGF®, PRF®.

Dans une revue systématique publiée en 2015, Sculean et al., ont résumé les preuves histologiques disponibles sur l’effet des biomatériaux associés au traitement chirurgical de défauts intra-osseux, en termes de régénération parodontale. Ils en concluent que la régénération parodontale est assez similaire entre les différents biomatériaux. Les approches combinées et les autogreffes semblent fournir les meilleurs résultats tandis que l’adjonction d’un matériau alloplastique seul entraine une régénération parodontale limitée voire inexistante (Sculean et al., 2015).

 

Résultats cliniques (Nibali et al., 2020 ; Sanz et al., 2020)

 

Lésions intra-osseuses (LIO)

  • Quelle que soit la thérapeutique régénératrice, le gain d’attache clinique est 1,34mm supérieur au lambeau d’accés seul (LMPA).
  • Les dérivés de la matrice amélaire (gain d’attache clinique > 1,27mm/ LMPA) et la régénération tissulaire guidée (gain d’attache clinique > 1,43mm/ LMPA) sont les techniques de référence comparés au lambeau d’accés seul.
  • ATTENTION : L’hétérogénéité est modérée à importante, le niveau de preuve est faible à modéré.
  • Le lambeau de préservation papillaire améliore le résultats cliniques
  • Le comblement par xénogreffe peut être utile dans les lésions larges.
  • La morbidité en cas de membrane non résorbables est importante.

Lésion inter-radiculaires (LIR)

  • LIR classe II : La chirurgie régénératrice est supérieure au lambeau d’accés (en termes de fermeture de l’espace inter-radiculaire ou de conversion en classe I).
  • Le comblement seul > Comblement + Dérivés de la matrice amélaire (DMA) > DMA seul
  • Pas de différence entre les membranes résorbables et non résorbables
  • Les thérapeutiques régénératrices peuvent être recommandées pour améliorer les résultats chirurgicaux des LIR classe II mais aucun traitement « Gold Standard » n’est recommandé

Analyse coût/ Efficacité

 

Aujourd’hui le matériau le plus efficace et le moins cher c’est l’autogreffe tandis que le moins efficace et le plus cher est l’allogreffe. Entre les deux, il existe un ratio plafond entre cout et efficacité qu’il faut prendre en compte. Les membranes et les matériaux de comblement osseux par exemple, se situent sous ce seuil plafond et constituent donc un traitement acceptable, tandis que les agents bioactifs et les thérapies combinées sont discutables, en l’absence de preuve d’un bénéfice supplémentaire.


 

Bibliographie :

Giannobile, W. V., Berglundh, T., Al‐Nawas, B., Araujo, M., Bartold, P. M., Bouchard, P., ... & Reseland, J. Biological factors involved in alveolar bone regeneration: Consensus report of Working Group 1 of the 15th European Workshop on Periodontology on Bone Regeneration. J. clin. periodontol, 2019, 46 : 6-11.

Karring T, Nyman S, Lindhe J. Healing following implantation of periodontitis affected roots into bone tissue. J Clin Periodontol, 1980, 7 : 96-105. 5.

Karring T, Nyman S, Lindhe J, Sirirat M. Potentials for root resorption during periodontal wound healing. J Clin Periodontol 1984, 11 : 41-52.

Melcher AH. On the repair potential of periodontal tissues. J Periodontol, 1976, 47 : 256-260.

Nibali L, Koidou VP, Nieri M, Barbato L, Pagliaro U, Cairo F. Regenerative surgery versus access flap for the treatment of intra-bony periodontal defects: A systematic review and meta-analysis. J Clin Periodontol. 2020 Jul;47 Suppl 22:320-351.

Nyman S, Karring T, Lindhe J, Plantén S. Healing following implantation of periodontitis-affected roots into gingival connective tissue. J Clin Periodontol 1980, 7 : 394-401.

Sanz, M., Herrera, D., Kebschull, M., Chapple, I., Jepsen, S., Berglundh, T., ... & Wennström, J. Treatment of stage I–III periodontitis—The EFP S3 level clinical practice guideline. J. clin. periodontol, 2020, 47 :4-60.

Sculean A, Nikolidakis D, Nikou G, Ivanovic A, Chapple IL, Stavropoulos A. Biomaterials for promoting periodontal regeneration in human intrabony defects: a systematic review. Periodontol 2000. 2015 Jun;68(1):182-216.