Super hôte de Kate Russo

Éditions La table ronde - AO News #48 - février 2022

To be or not to be Air B and B…
Kate Russo est une artiste peintre américaine et ce premier roman, dont l’action se déroule à L ondres, a connu un grand succès aux É tats Unis. Traduit en français par Séverine Weiss, ce roman nous raconte les désordres existentiels et amoureux de Bennett Driscoll, un artiste peintre (oserais-je dire un collègue !) dans la cinquantaine qui avait jadis un nom dans le monde de l’art londonien.

 Sa femme l’a quitté, sa fille, artiste peintre elle aussi, vole de ses propres ailes, il a décidé de mettre en location sur AirBed, sosie romanesque de RB and B, sa maison devenue trop grande pour lui, ne conservant que son minuscule atelier au fond du jardin pour vivre et continuer son art. Il ne retrouve pas l’inspiration qui lui a valu son éphémère renommée, les critiques d’art l’ont délaissé et dorénavant son seul titre de gloire est d’être nommé « super hôte » par son site d’hébergement. De cet atelier où il tourne en rond, il observe ses locataires de passage : Alicia, qui le renvoie à sa propre solitude, Emma à ses obsessions et à ses angoisses d’artiste, ou Kirstie à son incapacité à rebondir.

Sa rencontre avec Claire, serveuse dans un bar à vins de Soho, est peut-être l’occasion de faire un pas en avant ; encore faut-il lui expliquer pourquoi il est un étranger dans sa propre maison. Elle lui inspire un portrait qui pourrait relancer sa carrière, mais l’échec de son mariage le fragilise encore et plusieurs années après, il doute toujours : l’anatomie était son truc ; il comprenait à merveille la silhouette humaine et ses proportions. C’était l’affect qu’il avait du mal à maitriser. A ses yeux, peindre les sentiments de ses modèles était un peu comme tromper Eliza (sa femme). Comprendre assez une autre femme pour être capable de peindre son humeur s’apparentait à de l’infidélité. Par contre lorsqu’il peignait un tissu ou une nature morte, il pouvait soutirer à ses sujets toute leur vérité. On le voit par ces quelques lignes, c’est superbement écrit, avec en prime l’œil et la réflexion du peintre.

La liberté de ton et l’humour sont constamment présent. La réaction de Bennet découvrant pour la première fois les tableaux de sa fille, d’immenses vagins, m’ont fait penser à l’irrésistible humour anglais de David Lodge. Courbet s’était, quant à lui, limité à l’origine du monde ! Le sarcasme côtoie en permanence la légèreté et la tendresse : C’est parce que c’est une angoissée, songe-t-il ; c’est pour ça qu’elle lui fait du bien. Les personnes angoissées envisagent aussi bien les conséquences positives que négatives. Certains se contentent de craindre le pire, mais d’autres, comme Claire, souffrent presque davantage parce qu’ils ont osé imaginer le meilleur. On est pour ainsi dire dans un code génétique ashkénaze !!

C’est un roman savoureux, qui vous donne envie de prendre de suite un billet pour Londres, tant la ville et ses rues y sont dépeintes avec une précision amoureuse. C’est un bouquin à s’offrir ou à offrir pour s’évader du loin du Corvidé et autres violences des débats politiques du moment. Un dernier petit passage pour le plaisir : Combien je t’aime ? Compte les étoiles dans le ciel. Mesure les eaux des océans avec une cuillère à café. Dénombre les grains de sable du bord de mer. Oui, avait-elle pensé, c’est exactement ça : l’incommensurable…

Joël ITIC

 

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