Des concepts contemporains pour la restauration des dents temporaires

Elisabeth Dursun – Élodie Savard – Maguy Martins – Céline Pujade,Lucy Hoang – Aude Monnier-Da Costa – Christian Moussally – Fadi Bdeoui

AONews # 19 - Dossier spécial Focus sur le Service hospitalo-universitaire de Soins, d’Enseignement et de Recherche Dentaire de l’Hôpital Henri Mondor

Elisabeth Dursun, Créteil

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Des concepts contemporains pour la restauration des dents temporaires - AO # 19
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Les orientations actuelles en dentisterie restauratrice tendent résolument à la préservation tissulaire, en fraisant a minima les tissus dentaires (s’appuyant sur le concept de minimally invasive dentistry) [1] et en privilégiant les restaurations partielles aux restaurations périphériques (selon le principe du « gradient thérapeutique ») [2]. Ce qui est possible grâce au collage des restaurations aux tissus dentaires.

 

En outre, l’importance considérable de l’apparence dans notre société, impose la réalisation de restaurations esthétiques et a donné naissance à l’approche biomimétique. Son dessein est la reconstitution de l’organe lésé en répondant aussi bien aux impératifs biologiques et fonctionnels, qu’aux impératifs esthétiques, en quête d’une ressemblance maximale à la dent naturelle, pour une parfaite intégration. Si ces courants se sont largement démocratisés chez l’adulte, ils le sont beaucoup moins chez le jeune patient. Or, pourquoi ne pas appliquer ces concepts contemporains à la dent temporaire, sous prétexte que sa durée de vie sur arcade est limitée ? Le but de cet article est de montrer dans quelle mesure, nous pouvons légitimement répondre à ces concepts dans le cadre de la restauration de la dent temporaire, aussi bien pour des petites pertes de substances (restauration directe), en employant les ciments verres ionomères à haute viscosité, que pour des pertes de substances plus importantes (restauration « indirecte » mais au fauteuil), en recourant à la Conception Fabrication Assistée par Ordinateu (CFAO). Après un rappel des spécificités des dents temporaires nous décrirons et illustrerons ces propositions de traitement.

 

Particularités des dents temporaires et du jeune patient

Les dents temporaires présentent une morphologie, une anatomie et une physiologie propre, se distinguant de celles des dents permanentes. Les conséquences du processus carieux, tout comme les propriétés attendues d’un biomatériau pour les restaurer seront ainsi différentes de celles des dents permanentes.

 

Morphologiquement :

elles ont une faible hauteur coronaire et une constriction cervicale marquée, et sont de plus bordées de papilles gingivales volumineuses. L’étanchéité parfaite du champ opératoire est ainsi parfois compliquée à obtenir, rendant difficile l’emploi de biomatériaux hydrophobes [3]. D’où l’intérêt de les restaurer avec un biomatériau hydrophile.

 

Anatomiquement :

elles sont formées d’une fine épaisseur d’émail, avec des prismes de moindre cohésion, comparé aux dents permanentes, et orientés verticalement en proximal, à l’origine d’une destruction rapide et importante en cas de lésion carieuse. La dentine est également de faible épaisseur avec des tubules larges, ce qui facilite la pénétration bactérienne et accélère donc le risque de contamination pulpaire. D’où l’intérêt de les restaurer avec un biomatériau étanche. La chambre pulpaire est proportionnellement beaucoup plus volumineuse que sur la dent permanente et les cornes pulpaires proéminentes. Une lésion carieuse se situe ainsi vite à proximité de la pulpe. D’où l’intérêt de les restaurer avec un biomatériau adhésif, ne nécessitant pas de zones délabrantes de rétention cavitaire secondaire, pouvant aboutir à une effraction pulpaire. L’atteinte des surfaces lisses chez les plus jeunes patients ou les lésions débutantes des sillons occlusaux ou des faces proximales [4] requièrent également l’emploi d’un biomatériau adhésif. Également, dès l’éruption des premières molaires permanentes, les points de contacts deviennent des surfaces de contact, favorisant le développement de caries. Un biomatériau relarguant des fluorures placées en proximal, permettrait, chez un patient au risque carieux maîtrisé, de diminuer le risque de carie sur la face proximale de la dent adjacente. D’où l’intérêt d’utiliser un biomatériau bioactif [5].

 

Physiologiquement : elles sont, par définition, vouées à s’exfolier. Le temps résiduel sur arcade parfois court, permet l’emploi de biomatériaux de longévité limitée, compatibles avec cette durée. Les contraintes masticatoires inférieures à celles de l’adulte [6], autorisent des biomatériaux pas nécessairement très résistants mécaniquement. Enfin, n’oublions pas qu’au-delà de la dent, c’est un jeune patient, pas toujours aussi accommodant que souhaité, que nous soignons. D’où l’indéniable intérêt d’employer un biomatériau à la mise en oeuvre simple et rapide.

Somme toute, un biomatériau idéal pour restaurer les dents temporaires doit concilier : étanchéité, adhérence aux tissus dentaires, tolérance à la mise en oeuvre, bien sûr être biocompatible, et si possible bioactif.

 

Pertes de substance petites à modérées et restauration directe.

En cas de perte de substance petite à modérée, une restauration en technique directe pourra tout simplement être réalisée. La famille des ciments verres ionomères (CVI) s’esquisse comme celle répondant le mieux au portrait dressé, en particulier, les CVI à haute viscosité, exempts de résine et dont les dernières formulations offrent des propriétés mécaniques intéressantes. Les CVI-HV sont, comme leur nom l’indique, des CVI de viscosité accrue, dans l’idée d’améliorer leurs propriétés. Comme tout CVI, ils présentent une adhésion intrinsèque aux tissus dentaires, sont tolérants à l’humidité et relarguent des fluorures. En outre, leur mise en oeuvre est davantage simplifiée avec un conditionnement de surface optionnel, une mise en place en un seul incrément et une prise chimique, accélérée dans certaines formulations. L’absence de résine leur confère une grande biocompatibilité. Enfin, les dernières générations offrent une résistance mécanique supérieure et une meilleure esthétique.

Les CVI-HV sont plus faciles à utiliser (digue non nécessaire, incrément unique) et plus biocompatibles (absence de résine) que les résines composites. Leur résistance mécanique et leur esthétique ne les égalent pas, mais ils restent largement satisfaisants pour la restauration de dents temporaires. Comparé aux amalgames, leurs avantages sont évidents : aussi simples à utiliser, mais en sus, ils sont plus biocompatibles, moins délabrants et plus esthétiques.

 

Pertes de substances modérées à sévères et restauration CFAO au fauteuil

En cas de perte de substance plus étendue et/ou après une pulpotomie, surtout chez le très jeune patient, avec une dent au temps résiduel sur arcarde long, une coiffe pédodontique préformée est très souvent réalisée. C’est certes une technique fiable et simple [7], mais assez délabrante et très inesthétique. Plusieurs alternatives ont été proposées (coques préformées en polycarbonate ou résine acrylique, coiffes avec facette vestibulaire, coiffe en composite ou plus récemment en zircone [8]). Aucune ne concilie économie tissulaire, propriétés mécaniques suffisantes et esthétiques. Dans l’idée de suivre les orientations de la dentisterie actuelle, en conciliant préservation tissulaire et esthétique, tout en réalisation

 Ces onlays en CFAO permettent de concilier : économie tissulaire (par une préparation limitant au maximum la perte de substance dentaire), renforcement des structures résiduelles (grâce au collage de la pièce prothétique aux tissus), facilité d’exécution et de mise en oeuvre (préparation aux contours simples, utilisation d’une colle auto-adhésive, n’obligeant pas la pose de la digue, restauration en une séance, possible retouche ou réparation ultérieure par ajout de composite), bonne acceptation par le patient (petite caméra, temps au fauteuil court), biocompatibilité (bloc de composite hautement polymérisé avec un relargage de monomères quasi-inexistant) et esthétique satisfaisante. Toutefois, quelques limites persistent avec l’absence de la morphologie des dents temporaires dans les bases de données des logiciels actuels et surtout le coût d’acquisition du dispositif.

 

Conclusion

Il est ainsi possible de restaurer les dents temporaires avec des biomatériaux conciliant bonnes propriétés mécaniques, esthétique, haute biocompatibilité et tolérance à la manipulation, l’un des paramètres les plus importants chez l’enfant pas toujours coopérant. La prise en charge contemporaine de nos jeunes patients devrait s’inscrire dans cet état d’esprit. Toutefois cela nécessite, pour les restaurations en CFAO, l’acquisition de machines encore onéreuses.