Rééducation maxillo-faciale et troubles temporo-mandibulaires (TTM)

Hélène GIL, Paris et Wacyl MESNAIS, Paris

 

Introduction

Tous praticiens, que ce soit en omnipratique ou en exercice exclusif, est amené à se confronter à des patients présentant des douleurs, des limitations d'ouverture buccale, des claquements, des difficultés à mastiquer etc.
Ces TTM ne constituent pas en première intention un motif de consultation, car souvent le processus d'installation se fait à «bas bruit» sans impacter la capacité fonctionnelle. Selon Bonjardim et al. (2009) 50% de la population générale présente au moins un signe de TTM traduisant une pathologie combinée, discale, musculaire ou articulaire. Plus récemment (2013), Descroix parle de 4 à 88 % de la population générale. D’après Robin et Carpentier (2006), « les signes de TTM ne peuvent être considérés comme pathologiques dans tous les cas et ne nécessitent donc pas une prise en charge thérapeutique systématique ».

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 En effet, malgré l’importance de la prévalence des dysfonctions, le besoin et la demande de traitement demeurent faibles tant que la gêne n'est pas invalidante. Le jour où le patient décide de consulter pour des douleurs à la fonction, des bruits articulaires ou des dyskinésies, il se retrouve souvent dans l'errance médicale, avant de voir sa plainte pris en considération. Si alors, les TTM ne font pas l'objet d'une prise en charge, ils risquent d'entraver le bon déroulement des traitements d'une part et aggraver les symptômes du patient d'autre part. Ainsi, les exercices présentés dans cet article peuvent être proposés aux patients, en première intention.

 

Généralités sur la rééducation maxillo-faciale

Il y a une cinquantaine d’années, la kinésithérapie s'est dotée d'un nouveau champ de compétences : la rééducation maxillo-faciale, qui était plus communément attribuée aux orthophonistes. Cette approche thérapeutique permet de considérer le patient dans sa globalité puisqu'il ne s'agit pas juste de faire cesser des claquements ou augmenter l'amplitude d'ouverture buccale, mais surtout de traiter à plus long terme en établissant un lien entre souffrance physique et psychique, à travers la symptomatologie. La rééducation consiste à agir localement en visant le relâchement musculaire et l'acquisition d'une cinétique mandibulaire correcte. Cependant, dans de certains cas, il est nécessaire de proposer une prise en charge plus globale car l'origine des TTM n'est pas que locale. Ainsi, les travaux de Selye (1936) ont eu le mérite d’intégrer la notion de stress dans les troubles neuro musculaires. Il ouvre la voie à un abord plus psycho-physiologique des TTM, plus seulement mécanique et occlusal. Le Gall et Lauret (2002) font un lien entre stress et l'hyperactivité musculaire pouvant être à l’origine des douleurs musculaires. La rééducation oro-myo-fonctionnelle permet d'établir un équilibre myo-fonctionnel, abolir les habitudes nocives qui sont à l'origine ou qui entretiennent les douleurs et dysfonctions de l'appareil manducateur.

 

La thérapeutique : exercices à proposer en première intention

Il est possible de proposer au patient des conseils et exercices de détente musculaire, avant d’engager une véritable prise en charge kinésithérapique. Dans tous les exercices préconisés ci-dessous, il est essentiel de respecter la règle de non douleur et de fatigabilité. Aucun exercice n'est profitable s'il occasionne la moindre douleur ou la moindre gêne, au risque de provoquer une réaction nociceptive pouvant se solder par une contracture réflexe. Le patient doit apprendre à faire les exercices lui-même, afin d'une part de contrôler l'intensité de ses gestes et d'autre part d'avoir une sédation plus rapide de ses douleurs car il pourra utiliser ces techniques aussi souvent que nécessaire.

 

La thermothérapie

C'est le premier moyen qu'il est souhaitable de proposer au patient très douloureux.

Indication : douleur et contractures musculaires.

Technique : application locale de chaleur sur les masséters algiques.

Durée : 20 minutes environ. Plusieurs fois par jour lorsque cela est nécessaire.

Principes : utilisation de compresses auto-chauffantes ou de petits packs de gels à mettre à la casserole ou aux micro-ondes. Cela est préférable à l'emploi d'un sèche-cheveux ou de coussin remplis de graines, dont la température de chauffe est plus difficile à maîtriser et qui peuvent ainsi occasionner plus de risques de brûlures. Cependant, les personnes qui présentent des douleurs d'origine arthralgique tolèrent mieux la cryothérapie.

Effet physiologique : l'effet antalgique de l'application de chaleur sur le muscle douloureux peut s'expliquer pat la diminution de la transmission des messages nerveux. Ainsi, les sensations de douleur ont plus de difficultés à passer de la zone chauffée vers le cerveau.

Le massage endo-buccal

Dans la plupart des cas, les douleurs sont d'origines musculaires et concernent essentiellement les masséters profonds.

Indication : douleur et contractures musculaires.

Technique : l'impact et l'effet antalgique sont beaucoup plus grands lorsque ceux-ci sont massés transversalement par voie exo et endo-buccale. Il s'agit de placer le pouce (au niveau de la muqueuse buccale) et l'index (au niveau de la joue) de part et d'autre du masséter et de faire glisser les doigts vers la commissure des lèvres.

Durée : environ 5 minutes à répéter plusieurs fois par jour.

Principes : cette manœuvre, comme tous les exercices de kinésithérapie, doit être infra-douloureuse. Le massage est efficace lorsqu'il peut être répété plusieurs fois par jour. Ce sont ces raisons que nous devons l'enseigner à notre patient. Premièrement, afin que celui-ci puisse contrôler ses points douloureux. En effet, le kinésithérapeute peut parfois masser trop fort et provoquer une réaction nociceptive : le muscle douloureux va se contracter encore plus de façon réflexe. Deuxièmement, le patient sera autonome et capable d'utiliser l'auto-massage quand il en éprouvera le besoin. Ainsi les masséters se détendront plus rapidement et plus efficacement. Le massage des muscles ptérygoïdiens est affreusement douloureux et nous ne sommes jamais sûrs d'être vraiment dessus. La technique du contracter-relâcher est plus efficace pour les détendre.

 

Effet physiologique :

Sur le système vasculaire

Le massage provoque une hyperthermie locale, par vasodilatation des vaisseaux sanguins superficiels, qui se traduit par une rougeur et une chaleur de la peau sur le site massé. Ce phénomène permet une augmentation du flot sanguin, donc un apport accru en oxygène et en nutriment et, par le fait même, une accélération du transit des toxines.

Le système lymphatique et immunitaire

Le massage a pour effet de stimuler le système lymphatique et immunitaire. La lymphe et les organes lymphatiques contribuent à la protection de l'organisme en filtrant les éléments pathogènes, les cellules anormales et les particules étrangères. Ceux-ci seront ensuite rejetés dans la circulation sanguine.

Le système nerveux autonome

Le massage sollicite le système nerveux parasympathique qui va réduire le rythme cardiaque, la fréquence respiratoire, améliorer la fonction digestive et la détente musculaire. Conjointement à cela, il y aura une diminution de sécrétion d'hormones du stress. Le massage a un impact sur la sécrétion d'endorphines au niveau du cerveau. Ces hormones ont un effet analgésique et procure un état de bien-être.

Le système musculaire

Malgré la rareté des études scientifiques et cliniques, l'action antalgique du massage est souvent reconnue par les patients. La théorie du « gate control » a de nombreuses reprises été évoquée mais aussi critiquée. D'après celle-ci, le massage déclencherait des stimulations passant par les fibres myélinisées de gros calibre et à conduction rapide (fibres alpha et béta). Il s'ensuit alors une inhibition pré-synaptique. La porte se ferme, empêchant l'atteinte de la cellule cible et la transmission du message douloureux au cortex.

 

Le contracter-relâcher

Indication : contractures musculaires, trismus et limitations d'amplitude articulaire.

Techniques : il existe cinq types de mouvement : la fermeture buccale, l'ouverture buccale, la propulsion de la mandibule et les latéralités droite et gauche.


Durée : 3 secondes, 5 fois de suite seulement mais à répéter plusieurs fois par jour au besoin.

Principes : c'est un mouvement purement isométrique, donc sans déplacement, contre résistance importante. Tous les mouvements doivent se faire exclusivement sans contact occlusal. Le but est la libération des tensions musculaires et ainsi des blocages articulaires. Cet exercice est le plus efficace sur les trismus et les limitations d'ouverture buccale.

Si la douleur est trop importante, il est alors plus judicieux de suspendre pour un temps cet exercice et utiliser plutôt l'application de chaleur et le massage. Quand le patient est moins algique, le contracter-relâcher peut être repris sur 1 seconde et en très petite amplitude d'ouverture buccale. La progression se fera sur l'augmentation du temps de contraction et l'amplitude d'ouverture buccale

Effet physiologique :

Le contracter-relâcher est basé sur le principe d'inhibition réciproque de Sherrington qui permet deux réponses motrices. La première stipule que l'excitation d'un muscle s'accompagne de l'inhibition de ses antagonistes, grâce à un interneurone inhibiteur. Et deuxièmement, cette contraction musculaire isométrique facilitera l'activité de ses agonistes. Le contracter-relâcher optimise aussi le relâchement immédiat d'un muscle après sa contraction intense. En effet, Gottlieb et Agarwal (1973) évoque la modification de l'état de raideur visqueuse du muscle après lui avoir imposé un effort de contraction préalable.

 

 

Conclusion

 

Dans la prise en charge d'une dysfonction de l'appareil manducateur, il est indispensable de faire prendre conscience au patient de la nécessité de modifier son comportement. Ses douleurs et inconforts en bouche ne s'expliquent pas seulement par une luxation discale réductible ou irréductible, à un soin en bouche qui s'est mal déroulé ou à un équilibre occlusal qui a été modifié. Ils sont surtout dus ou entretenus par une dyspraxie linguale, par la présence de mauvaises habitudes et tics qu'il faudra corriger. Le but étant l'acquisition d’une certaine afin de posséder les outils qui permettront la gestion de ses propres tensions.

 

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