Pr Jean-Pierre Bernard (Genève)

Dossier spécial : Une photographie de l'implantologie en France

AONews # 22 - Novembre 2018


Le matériel

Si vous deviez recommander un système implantaire à un praticien inexpérimenté et dûment formé, quels seraient les critères objectifs de choix de ce système ?

  • La forme : implant vis, éventuellement vis cylindro conique favorisant la stabilité primaire
  • Le matériel : Titane de Grade 4 (pur) renforcé Grade 4b (cold ou hard c’est à dire étiré à froid ou alliage biocompatible (titane-Zircone)
  • Eviter le Titane de grade 5 qui n’est en fait pas du titane pur mais un alliage de titane, d’aluminium et de Vanadium avec un risque potentiel de toxicité en particulier un rôle possible dans des affections neurologiques dégénératives. Ce qui au minimum en cas d’emploi devrait être indiqué au patient.
  • Le traitement de surface. Surface « texturée » permettant d’améliorer et d’accélérer l’ancrage osseux et l’utilisation d’implants de dimensions réduites. Un double traitement sablage si possible avec un matériau biologique et attaque acide est actuellement une sorte de standard.
  • La connexion prothétique : connexion conique interne permettant d’assurer, stabilité, étanchéité et résistance mécanique.
  • Une conception de type platform switching, permettant une amélioration de la stabilité osseuse crestale mais surtout une indépendance des diamètres prothétiques et implantaires
  • Une qualité de production éprouvée.

Quel serait pour vous le juste prix d’un implant de bonne qualité ?

Des produits de qualité et de production européenne répondant aux critères de sélection pré cités sont disponibles à un prix unitaire de l’ordre de 100 euros.

 

Un collège de spécialistes ne devrait-il pas être consulté avant commercialisation, pour avis préalable, dans l’esprit des AMM pour les médicaments ?

Les Implants sont des produits de technologie simple dont l’utilisation ne peut en rien être assimilée à celle d’un médicament. Comme le montrent parfaitement la littérature et la pratique, les produits répondant aux critères de sélection cités permettent des résultats semblables. Cette analogie à des produits éprouvés ayant les mêmes caractéristiques utilisées pour les procédures d’agrément type CE ou FDA, semble parfaitement suffisante. Des procédures d’évaluation précise de qualité nécessiteraient des études cliniques très importantes et très longues, sans certitude de voir apparaître des différences et avec des coûts qui se répercuteraient sur celui des produits et représenteraient un frein important a toute innovation, sans vrai intérêt en raison de la qualité globale des résultats observés.

 

Quel serait le recul clinique nécessaire pour la mise sur le marché d’une innovation ?

Il est aujourd’hui considéré, à partir des études existantes, que des taux de survie de l’ordre de 90% à 20 ans peuvent être attendus de tout implant en titane répondant aux critères de sélection. Pour l’implant lui-même, l’avantage d’une modification de résultat lié à une innovation, nécessiterait le suivi d’un grand nombre d’études de valeurs scientifiques élevées, c’est à dire prospective, randomisée et si possible en double aveugle, et un nombre de cas extrêmement important pour espérer montrer une amélioration de qualité de résultat.

Ce délai, le poids et donc le coût de ce type d’évaluation rend pratiquement impossible aujourd’hui la preuve d’une amélioration de qualité de résultats à long terme.

Pour d’éventuelles innovations facilitant l’utilisation ou la pratique clinique, des études spécifiques, si possible prédictives, comparatives et randomisées sur des délais de 1, puis 3 et 5 ans, sont actuellement considérées comme suffisantes pour démontrer qu’une amélioration des pratiques cliniques permettrait de maintenir les résultats connus pour les pratiques utilisées de façon classique.

 

Pensez-vous que l’implant en zircone ait une place légitime dans notre arsenal thérapeutique et pour quelles raisons ?

Pour moi actuellement, la seule place d’un implant en Zircone est l’utilisation chez un patient refusant pour raison de choix personnel l’utilisation de produits métalliques après avoir essayé de la convaincre de la sécurité offerte par le titane et le risque mécanique éventuel d’un implant en zircone en raison du caractère non homogène de la résistance mécanique des produits actuels. Aucun élément scientifique actuel ne montre un avantage clinique suffisant de la Zircone pour accepter de courir un risque de fracture non prédictible.

Même en cas de progrès des produits faisant disparaître ce risque aléatoire, le surcout et la plus grande complexité des connexions ne justifieraient pas le choix systématique du zirconium vis à vis du titane de grade 4.

 

Sur une échelle de 0 à 10, quel crédit accordez-vous respectivement, aux hypothèses d’allergie au titane et de risque de corrosion du titane ?

Les données actuelles concernant les résultats à long terme, correspondraient probablement à une position de l’ordre de 1 -2, peut être pas inexistante mais très peu documentée en termes de réalisation d’un risque d’allergie cliniquement objectivable.

Pour ce qui est de la corrosion tous les matériaux placés au sein de l’organisme y sont soumis et on pourrait donc indiquer 10. Pour le titane pur, présent de façon habituelle dans l’organisme, il n’y a pas de risque particulier, ce qui est différent des abrasions mécaniques observables avec les prothèses orthopédiques. On devrait éviter l’utilisation du titane de grade 5 en raison de la possibilité de diffusion d’aluminium et de vanadium potentiellement toxiques.

 

La mesure objective de l’ancrage osseux par l’ISQ (Osstell®) doit-elle être encouragée, en particulier dans la zone maxillaire postérieure ?

Pour ma part, je n’y trouve pas d’intérêt, comme cela a été démontré par toutes les études à ce sujet. Cette mesure comme celle obtenue avec le Périotest, ne donne qu’une information de stabilité de l’implant, sans aucune relation avec la qualité biologique et mécanique de l’ostéointégration. Elle ne correspond donc en rien à une mesure objective de l’ancrage osseux.

Son utilisation n’apporte rien par rapport à la simple évaluation par percussion avec un objet métallique comme le manche d’un miroir de la stabilité de l’implant !!!

Seule la recherche de la valeur du couple de résistance de l’implant, réalisée lors d’études expérimentales animales, permet une indication de la qualité de l’ostéointégration, mais elle est bien sur irréalisable en pratique clinique. Pour celle-ci, seule la résistance de l’implant lors de l’application du couple de serrage du moignon prothétique confirme la résistance de l’ostéointégration au couple exercé.


Les protocoles opératoires

Hors contexte infectieux, toute extraction ne devrait-elle pas faire l’objet d’un comblement afin de privilégier un profil d’émergence prothétique idéal ?

Le comblement post-extractionnel complique la technique en nécessitant en général une fermeture et augmente le cout du traitement. Il pose surtout le problème du délai d’attente nécessaire pour poser l’implant qui pour une bonne intégration du matériau doit être de plusieurs mois.

Dans ce domaine je respecte de façon constante les prises de position de l’I.T.I. auxquelles j’ai participé.

Extraction la moins agressive possible sans aucun geste complémentaire et pose de l’implant après environ 6 semaines, temps nécessaire à la cicatrisation muqueuse.

Si nécessaire c’est au moment de la pose de l’implant qu’une technique d’augmentation simultanée est réalisée et la mise en charge est réalisée après 6-8 semaines comme dans les poses sans augmentation.

Cette approche regroupe simplicité et diminution des délais et des couts conformément aux principes d’implantologie avancée accessible à tous que je soutiens depuis des années.

 

Du point de vue médico-légal, la réponse n’est pas automatique : l’extraction-implantation-mise en esthétique immédiate fait-elle partie, en 2018, des données actuelles de la science ?

Cette attitude correspond à une tendance actuelle documentée et ne peut donc pas être considérée comme non établie. Elle ne me paraît toutefois pas recommandable de façon systématique, en raison de l’augmentation de sa complexité et de l’obligation de réaliser une étape prothétique supplémentaire augmentant les étapes et couts de traitement.

Sur le plan judiciaire elle pourrait être considérée comme une perte de chance sur le plan esthétique. En effet les études de qualité ont montré qu’elle ne limitait ni perte osseuse ne perte de hauteur gingivale.

Au contraire l’approche conventionnelle permet, sans aucun geste supplémentaire après l’extraction de gagner la fermeture de la zone d’extraction par de la gencive kératinisée permettant d’optimiser la situation gingivale finale autour de l’implant et de ne réaliser dans la majorité des cas que la réalisation de la prothèse d’usage.

Elle peut aussi représenter une perte de chance en termes de succès d’ostéointégration.

Elle ne peut donc se concevoir qu’après avoir informé le patient de ses risques et du surcout de ce choix. Cette absence d’information serait de façon évidente un risque de mise en cause judiciaire.

 

Associer comblement sinusien et pose d’implant doit-il être réservé à un praticien expérimenté ?

Pour moi la réalisation de greffes de sinus ne se conçoit aujourd’hui que dans le cas où la hauteur d’os résiduel rend difficile la stabilisation d’un implant (de l’ordre de 2mm et moins).

Dans ces cas, une greffe de sinus isolée est indiquée, la réalisation de celle-ci est accessible à tout praticien ayant pu profiter d’une formation clinique suffisante.

 

Considérez-vous que le “all on four” maxillaire relève aujourd’hui des données actuelles de la science ?

Un grand nombre de cas ont été réalisés et plusieurs études montrent des résultats favorables. Cette technique ne peut donc pas être considérée comme non adaptée. Pour moi elle ne justifie toutefois pas l’engouement actuel.

En respectant les principes de la médecine dentaire préventive et reconstructive, les indications de réhabilitation maxillaire complètes sont très rares et peuvent être traitées de façon prothétique conventionnelle, avec des piliers implantaires posés selon le plan de réhabilitation prothétique, pour lesquels la pose de deux voire 4 implants supplémentaires ne change pas de façon notable la complexité ni le cout de réalisation du traitement et permet une amélioration de la réhabilitation en offrant une sécurité plus importante.

La tendance et les présentations fréquentes de réhabilitations totales fixes maxillaires immédiates sur implant, en particulier en France, devrait questionner sur la qualité apportée aux traitements dentaires des dents restantes…

 

Pensez-vous que la chirurgie guidée simplifie réellement le geste chirurgical du débutant ?

La chirurgie guidée par guide réalisé par technique numérique ou par navigation a suscité beaucoup d’intérêt ; Elle profite des progrès techniques mais les causes d’erreurs multiples aux différentes étapes ne permettent pas aujourd’hui de garantir une précision suffisante.

Ces guides physiques nécessitent des étapes de préparation, empreintes, wax up, gouttières radiologiques , matériel spécifique qui augmentent la durée, la complexité et les couts des traitements. Les examens radiologiques 3 D augmentent par ailleurs l’irradiation des patients qui n’en ont pas toujours été informés.

Au contraire la chirurgie cliniquement guidée, par le contrôle continue par le praticien et son aide, du parfait positionnement de l’axe de l’implant, permet un positionnement optimal, sans aucune étape de préparation spécifique et donc sans cout et surtout sans irradiation supplémentaire correspondante.

 

L’avènement des PRF en 2001 a-t-il notablement influencé votre pratique ?

Le PRF a apporté une simplification et optimisation de l’utilisation de concentrés plaquettaires et est probablement aujourd’hui le procédé le plus performant dans ce domaine.

Pour moi l’apport essentiel du PRF est l’aide à la cicatrisation alvéolaire en cas d’extraction en situation à risque de nécrose (radiothérapie, Biphosphonates et autres anti resorbtifs).

En Implantologie, les potentielles améliorations de la cicatrisation osseuse et muqueuse ne me semblent pas modifier suffisamment les résultats pour compenser le temps, l’agressivité et le cout du prélèvement.


La péri-implantite

Les difficultés de gestion d’une perte osseuse péri-implantaire et le temps nécessaire à celle-ci, ne justifient-ils pas la création d’un corps professionnel dédié à la maintenance professionnelle ?

Dans ce domaine le premier point pour moi est la surprise devant les chiffres actuellement présentés de survenue de péri-implantite. Après 30 ans d’activité comme enseignant spécialiste, mon expérience ne recoupe pas ces données. Une thèse réalisée dans le service de Genève sur un suivi de plus de 20 ans a retrouvé de l’ordre de 2% des implants posés a la faculté, ayant dû subir un geste chirurgical et une très grande majorité de ceux-ci ont pu être maintenu après celui-ci.

Pour moi et les praticiens Suisses, le risque de péri implantite paraît très limité et ne remet en rien en cause l’énorme apport de l’implantologie à la médecine dentaire.

Pour moi la réponse à la question 1 est simple, et indépendant du risque de péri-implantite : Un corps professionnel dédié à l’enseignement, au contrôle et à la réalisation des techniques d’hygiène est un apport essentiel pour toute la médecine dentaire comme c’est le cas en Suisse avec les Hygiénistes dentaires et plus récemment, les assistantes dentaires en prophylaxie. Cette seconde option est d’ailleurs certainement la plus favorable, moins lourde en formation et plus souple dans l’organisation du cabinet et moins lourde économiquement.

Cette profession dédiée est un apport pour tout patient et en particulier à risque, médical ou parodontal.

 

Pensez-vous que les industriels devraient prendre en compte la prévalence de cette pathologie et proposer leurs implants habituels avec différents états de surface adaptés au profil à risque du patient ?

Les guerres marketing entre industriels ont longtemps voulu montrer des différences sur ce sujet entre les surfaces de titane traitées ou non. En fait, ces différences ne sont pas établies de façon solide dans les études cliniques et revues de la littérature de qualité.

Au contraire, les études expérimentales animales ont montré qu’il était possible d’induire des péri implantites sur toutes les surfaces et qu’après traitement, les surfaces traitées étaient capables de se re osteointégrer, ce qui n’est pas le cas des surfaces non traitées.

Il ne semble donc pas justifié, en dehors d’études cliniques à long terme, et de qualité, de s’intéresser à ces différences de surface.

 

Serait-il souhaitable de revenir à un état de surface implantaire usinée ou mixte ?

Les avantages importants en termes de rapidité et de qualité de l’ostéointégration ne justifient en rien pour moi le retour vers les surfaces non traitées.

Sur le plan de la conception des implants, le point sur lequel le plus d’attention me semblerait devoir être apporté est celle de la conception prothétique.

Pour les superstructures scellées, les implants tissue level limitent beaucoup le risque de ciment sous gingival retrouvé de façon pratiquement constante pour les implants à connexions profondes. Il paraît possible qu’un nombre important de péri implantites soit en relation avec des excès de ciment sous gingival.

Pour les implants à connexion profonde qui deviennent la règle avec le principe de « platform switching », les techniques de couronnes collées au laboratoire sur les moignons, ou CADCAM intégrant le moignon, sont probablement un gros avantage supprimant le risque d’excès de ciment et potentiellement de perte osseuse secondaire.

 

Chez le patient traité pour une parodontite sévère, le test PST devrait -il être systématisé ?

Chez un patient traité pour parodontite sévère le test PST peut avoir un intérêt de compréhension et d’explication de la pathologie.

Il n’a cependant pour moi pas d’intérêt particulier pour l’implantologie.

Tout patient souffrant d’une parodontite sévére sait qu’il a une sensibilité a la perte osseuse et comprend parfaitement que cela pourrait arriver sur des implants.

En cas d’intérêt de l’indication d’information et d’accord de sa part il n’y a pour moi aucun problème à lui poser des implants.

Ce traitement est d’ailleurs un renforcement de la motivation à la qualité de l’hygiene du patient.


La formation professionnelle

Pensez-vous que la formation professionnelle actuelle en implantologie soit satisfaisante ?

Elle est totalement insatisfaisante et en fait Il n’existe pas de formation professionnelle actuellement en implantologie en France !

Je pense qu'en l'absence d'homogénéité actuelle des modalités de formation, une procédure de validation est irréaliste et milite pour une formation théorique et surtout clinique pendant les études dentaires comme pour toutes les autres modalités cliniques.

 

La transmission clinique par un compagnonnage régional organisé ne serait-elle pas une solution à la formation des praticiens ?

En l’absence désespérante, après plus de 30 ans d’évidences scientifiques de l’intérêt de l’implantologie, d’une formation clinique de base, seul le compagnonnage long permet de donner aux praticiens qui le souhaitent une formation clinique adaptée à leur situation d’omni praticien.

Les autres formations comme les DU apportent essentiellement des données théoriques complexes et les approche de différents utilisateurs « spécialistes » dont les modalités de pratique ne sont pas adaptées à celle d’un omni praticien traitant ses patients dans son cabinet.

La majorité des formations sont aussi très proches de l’industrie et transmettent des notions marketing et élitistes beaucoup plus dans l’intérêt des gros utilisateurs que des omnipraticiens souhaitant débuter.

En France la situation peut se résumer simplement, pas de formation clinique de base, et une formation complémentaire complexe et très peu clinique ne répondant pas aux besoins de la profession ni des patients.