Vous avez dit CFAO ?

AO #23 - Dossier spécial "La CFAO à la Faculté de Montpellier"

Bien des choses ont changé depuis la thèse fondatrice de François Duret sur l’empreinte optique, et de fait, l’invention de la CFAO en Odontologie.

 

Durant de nombreuses années, l’image de la CFAO a été associée au système Cerec. Sa vocation première était de réaliser au fauteuil des pièces en céramiques destinées à être collées pour reconstruire en partie ou totalité des dents endommagées. Parallèlement, le système « Procéra » au début des années 2000 a fait découvrir aux praticiens la CFAO de laboratoire et de nouveaux matériaux. Aujourd’hui la CFAO semble omniprésente, impossible d’ouvrir une revue professionnelle sans qu’elle ne soit « à la une ». De plus en plus de praticiens se posent la question : est-il temps de « passer » à l’empreinte optique ? Faut-il intégrer la CFAO dans mon cabinet ? Comment ?

 

Ces questions sont légitimes, mais ceux qui pensent que « la CFAO c’est le futur » sont dans l’erreur. La CFAO c’est le présent. Penser « futur », c’est prendre un train de retard. Avec un peu de recul, ou de hauteur, observer l’évolution de la CFAO est révélatrice de notre exercice futur. Tout a commencé en 1985 avec les systèmes Henson et Cerec, initialement destinés au « chairside » (travail au fauteuil). La CFAO « restait » au cabinet. Dans les laboratoires de prothèse, la CFAO se faisait à partir de modèles en plâtre passés au scanner. La CFAO « restait » dans les laboratoires ou les centres de production. Au début des années 2000 François Unger parlait donc logiquement de CFAO localisée et délocalisée, termes que nous devions remplacer plus tard par ceux de CFAO directe et indirecte (puis semi-directe). Dans les années 2005, le système Itéro a proposé une première externalisation des fichiers issus de l’empreinte optique via des centres d’usinage, pour fabriquer des modèles de travail en matière synthétique. Internet jouait le rôle de « coursier », une première…

 

Ces modèles physiques étaient ensuite utilisés de la même façon que des modèles conventionnels en plâtre issus d’empreintes chimico-manuelles. Si cette méthode s’est avérée peu intéressante (et coûteuse) elle a toutefois marqué un fait d’extrême importance. Il devenait possible de faire circuler des empreintes optiques intra-orales à partir du cabinet via internet. La porte était ouverte, le flux numérique était né. En 2008, une révolution ! La société 3M mettait sur le marché le COS (Chairside Oral Scanner) affiché comme un « porte empreinte numérique ». Les empreintes optiques s’exportaient via internet du cabinet dentaire directement vers les laboratoires, pour la confection de prothèses, et au besoin de modèles de travail par stéréo lithographie. Tous les autres industriels devaient rapidement emboîter le pas et adopter le même concept.

 

Durant une période « intermédiaire » il a été expliqué qu’un nouveau lien entre les laboratoires de prothèses et les cabinets venait de naître et qu’il serait bientôt le standard. Ce concept confortait les praticiens dans leurs habitudes, et rassurait les prothésistes qui ne voyaient pas leur échapper une partie de leur production. La CFAO directe semblait alors se marginaliser. Somme toutes un simple changement de protocole, ne remettant rien de fondamental en question. Ce schéma devait être renforcé par une autre révolution : l’« ouverture » des systèmes. Les industriels abandonnaient peu à peu la notion de « fichiers = propriétaires », générateurs de marchés captifs, pour produire des fichiers types. stl exploitables théoriquement par n’importe quelle machine de laboratoire.

 

Soufflait alors un vent de liberté permettant en théorie, aux praticiens détenteurs de n’importe quelle caméra intra-orale de pouvoir confier leurs fichiers à n’importe quel laboratoire. Parallèlement, se développait un autre phénomène, qui comme les pièces éparses d’un puzzle, finirait inéluctablement par s’assembler : toutes les données concernant nos patients devenaient numérisables. Photographies, radiographies, cinématique mandibulaire, peuvent maintenant se décliner en valeurs numériques produisant des images en 3D. De natures identiques elles deviennent « fusionnables ». Le « patient numérique » va naître. Un même fichier contiendra les éléments du visage, les volumes osseux, les arcades dentaires, la couleur des dents, la cinématique mandibulaire. Ce n’est pas de la dentisterie fiction, c’est déjà possible. L’évolution exponentielle des technologies, sa vulgarisation rendront tout cela accessible à tous dès demain. De nouveaux protocoles de diagnostics et de traitements basés sur le numérique deviendront aussi évidents que l’utilisation des traitements de textes, des tableurs, du courrier électronique. Le fait de rédiger cet article sur une feuille de papier avec un stylo ne m’est jamais venu à l’esprit. On l’a pourtant fait durant des décennies et ça « marchait » très bien. Systèmes ouverts, fusion des données, expéditions des fichiers via internet, le visage « numérique » de notre exercice se dessine inexorablement. Toutefois, si le trajet cabinet – laboratoire semble parfaitement validé, si parallèlement le « chairside » séduit de plus en plus de confrères, il manquait un élément pour que la boucle numérique fût complète : le retour numérique laboratoire – cabinet. Rassurez-vous, c’est fait ! Pas encore clairement déclaré, mais il existe bien. Ivoclar a fait le « buzz » à l’IDS en 2017 en proposant une usineuse destinée aux cabinets dentaires permettant de travailler même la zircone avec un four adapté, et Sirona propose l’usinage au cabinet de zircone avec un four permettant un frittage en moins de 20 mn… Planméca, Carestream proposent aussi de nouvelles usineuses plus= performantes, plus polyvalentes. Après les relevés de mesures numériques (empreintes optiques, scanners faciaux) les procédés de fabrications s’invitent dans les cabinets. Pour qui sait lire entre les lignes c’était inévitable. Juste une question de temps. Manque un élément, la conception informatique de la prothèse… Et l’on parle maintenant de « Design Centers », des centres de modélisation ou de CAO. Le praticien aura sa (ses ?) caméra(s) intra-orale et son matériel de production sur place. S’il n’a pas d’« info-prothésiste » à demeure (à temps plein ou partiel, ça commence à se voir) il pourra envoyer ses fichiers vers un design center qui fera les modélisations et lui renverra à son tour les fichiers correspondants… peut-être même directement vers son unité de fabrication si elle est connectée. Ne restera plus au praticien qu’à lancer la production et gérer une éventuelle finition. Économie de temps, de coût de laboratoire, tout est calculé. Si l’on ajoute à cela la fusion des données permettant la gestion des plans de traitement, des projets esthétiques, les réalisations de gouttières, guides chirurgicaux, provisoires, aligneurs… Le puzzle est assemblé.

 

On comprend dès lors que réduire la caméra intra-orale au seul rôle d’outil permettant d’envoyer des empreintes de prothèse fixée au laboratoire est pour le moins restrictif. Pour le prix d’une caméra, autant se payer une cargaison d’alginate ou de silicone… L’empreinte optique est la partie visible de l’iceberg, ce n’est que le premier maillon de la chaîne qui permettra la numérisation complète de notre exercice.

 

C’est en ce sens qu’il faut l’appréhender

Alors se pose la question : que ferons-nous de nos bols à alginate ? Peut-être les ranger aux archives, entre nos fiches papiers et nos radiographies argentiques…

 

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