Comparaison entre les centres dentaires et les cabinets libéraux

Dossier spécial Focus sur le DU d'expertise médico-légale, Paris 7 - AONews #28 - Sept 2019

La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (ou loi HPST) découle de la révision générale des politiques publiques et a notamment comme objectif l’amélioration de l’accès à des soins de qualité.

Elle simplifie la création et le contrôle des centres de santé, qui peuvent être gérés par des mutuelles, des collectivités locales ou des associations à but non lucratif. Parmi ce troisième type de structure, va apparaître un nouveau concept, le « low-cost » dentaire. En affichant des prix très attractifs dans un contexte de crise économique, ce type de centre dentaire connait une expansion que rien ne semble brider. Des enseignes multiplient les ouvertures à Paris et dans les grandes agglomérations.

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Les médias se penchent sur ce nouveau phénomène permettant apparemment l’accès aux soins pour tous. Une initiative décrite comme bénéfique autant pour les patients que pour les praticiens y exerçant : ceux-ci, n’ayant plus les charges administratives de gestion du cabinet, se consacrent uniquement aux soins.

Si la déontologie demeure un socle pour la pratique du chirurgien-dentiste, existe-t-il des différences en matière de responsabilité civile ou disciplinaire en fonction du mode d’exercice ?

La justice a été, à de multiples reprises, saisie par les syndicats et les instances ordinales pour évaluer l’éventuelle concurrence déloyale de ces structures par rapport à l’utilisation de la publicité. Un certain nombre d’interrogations sont soulevées quant au mode de fonctionnement de certains centres dentaires dits « low-cost » : si une rationalisation des moyens mis en œuvre conduit à des économies d’échelle, le respect des principes éthiques fondamentaux et la relation patient-praticien doivent rester la base des bonnes pratiques dentaires. Au vu de certaines affaires médiatisées dernièrement, certains auraient peut-être entraperçu un vide règlementaire dans la loi, permettant une exploitation mercantile de notre système de santé sans contrôle possible des pouvoirs publics.

Les cabinets libéraux et les centres de soins dentaires sont-ils sur un pied d’égalité ?

 

Cadre juridique et conventionnel des centres dentaires

 

Le code de la Santé Publique

La loi Bachelot, promulguée le 21 juillet 2009, supprime l’agrément de l’autorité administrative, jusqu’ici obligatoire, pour y substituer la présentation par le centre d’un projet de santé et d’un règlement intérieur. Le projet de santé doit inclure « des dispositions tendant à favoriser l’accessibilité sociale, la coordination des soins et le développement d’actions de santé publique » et les centres doivent être « créés et gérés soit par des organismes à but non lucratif, soit par des collectivités territoriales, soit par des établissements de santé publique ». La loi précise que « les médecins qui exercent en centre de santé sont salariés »

Ainsi, la loi HPST définit un nouveau régime de création des centres de santé : une simple déclaration à l’Agence Régionale de Santé (ARS) et un projet de santé suffisent à obtenir un numéro FINESS ouvrant droit au remboursement des soins par la sécurité sociale. L’ARS ne peut ainsi plus s’opposer juridiquement à l’ouverture d’un centre de santé et garde uniquement un rôle d’inspection et de contrôle. L’objectif était de favoriser l’ouverture des centres de santé tout en gardant leur mission première, mais elle crée en réalité un vide réglementaire.

 

Le code de la Sécurité Sociale

Le cadre conventionnel

Un accord national a été signé le 8 juillet 2015 par l’ensemble des organisations représentatives des centres de santé et l’assurance maladie pour une durée de 5 ans.

Les objectifs de la convention sont :

- un renforcement de l’accès aux soins dentaires sur l’ensemble du territoire pour les plus démunis, par la création d’un contrat visant à maîtriser les dépassements des tarifs des actes prothétiques et orthodontiques ;

- l’organisation, la coordination des soins, la valorisation de la qualité et de l’efficience des pratiques médicales avec notamment la tenue d’un dossier médical et un engagement en matière de prévention ;

- la modernisation des relations dématérialisées entre les centres et la CPAM.

L’atteinte de ces objectifs est encouragée par une rémunération forfaitaire, qui peut par exemple être majorée en fonction du taux de précarité des patients du centre (patients CMU-C et AME). Ils perçoivent également des subventions de la CPAM en application de l’article L162-32 du Code de la santé publique : « les caisses primaires d’assurance maladie versent aux centres de santé une subvention égale à une partie des cotisations dues par ces centres en application de l’article L241-1 pour les personnes qu’ils emploient et qui relèvent des catégories de praticiens ou d’auxiliaires médicaux relevant des sections 1 et 2 du présent chapitre »

 

Les outils de contrôle

En cabinet libéral, les caisses d’assurance maladie disposent de plusieurs sources d’information pour mener des contrôles d’activité. La télétransmission et l’informatisation ont rendu ces outils performants avec l’identification du praticien et de ses actes sur chaque feuille de soins.

Les relevés SNIR (Système National Inter-Régimes) permettent de connaitre le volume d’actes global par praticien.

Les TSAP (Tableaux Statistiques d’Activité des Praticiens) permettent aux caisses et aux syndicats de connaître le volume et la répartition des actes. Ils permettent d’identifier un professionnel ayant une activité atypique ou de sélectionner des professionnels sur la base de certains critères.

Le SIAM (Système Informationnel de l’Assurance Maladie) a pour but d’améliorer la connaissance statistique tant globale qu’individuelle des acteurs du système de santé ainsi que la pertinence des contrôles réalisés. Il fonctionne par thèmes : activité d’un praticien, cumul d’actes, respect de la règlementation, … (SABEK, 2004).

 

La problématique des centres dentaires

L’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) souligne dans son rapport de 2016 que « lorsque les soins sont réalisés dans un centre de santé dentaire, les extractions statistiques vont être beaucoup plus difficiles pour plusieurs raisons :

- le numéro FINESS est affecté au centre dentaire, et non à un praticien déterminé, puisque les soins sont facturés par le centre et remboursés au centre par les caisses. C’est donc le gestionnaire du centre qui est connu de la caisse et non le praticien salarié ;

- les feuilles de soins télétransmises devraient être cosignées par le gestionnaire et le praticien avec leurs cartes respectives, mais que cette validation a souvent été déléguée au personnel administratif sans contrôle par rapport aux actes réellement réalisés ;

- alors que l’analyse des profils d’activité des dentistes libéraux permet de déceler d’éventuelles atypies de pratique dans les actes réalisés, pour les centres de santé, aucun suivi de profil n’est réalisé en routine. Il faut que le praticien conseil aille sur place pour sortir la liste des patients reçus par le dentiste présent le jour du contrôle et la compare à la liste des actes réalisés et facturés.

 

La responsabilité médicale

La responsabilité civile

Elle concerne uniquement le chirurgien-dentiste exerçant en libéral. C’est une responsabilité contractuelle : un contrat synallagmatique se conclut entre le praticien, qui a une obligation de moyens, et le patient, qui a l’obligation de suivre les prescriptions du praticien et de le rémunérer.

La loi du 4 mars 2002 a reformulé la nature de cette obligation de moyens avec une référence aux « connaissances médicales avérées » et réaffirme la responsabilité pour faute du praticien (Sabek, 2003). Elle a imposé au chirurgien-dentiste la souscription d’une assurance professionnelle en responsabilité civile.

 

La responsabilité du praticien salarié en centre dentaire

Depuis le 4 juin 1991, l’arrêt Boksenbaumu de la cour de cassation dispose que : « le contrat de soin est conclu entre la clinique et le patient » Le praticien bénéficie d’une immunité civile et c’est l’établissement de santé qui sera responsable des actes du praticien. (Bernard, 2010) Cette décision a été confirmée par la cour de cassation en décembre 2005 : le praticien salarié n’engage pas sa responsabilité mais celle de son employeur, il est donc exonéré de sa responsabilité face à un dommage à un tiers.

Rappelons que la loi relative aux centres de santé impose que les praticiens y soient salariés.

 

La responsabilité disciplinaire

Tout chirurgien-dentiste doit être inscrit au tableau de l’Ordre National des Chirurgiens- Dentistes pour pouvoir exercer et a l’obligation de respecter le Code de Déontologie. L’article L. 4121-2 du Code de la Santé Publique dispose que : « l’Ordre des chirurgiens-dentistes veille au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l’exercice de l’art dentaire et à l’observation, par tous leurs membres, des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie prévu à l’article L.4127-1 (…)» C’est la pratique du chirurgien-dentiste qui doit être déontologique, indépendamment de son mode d’exercice ou de la structure de soins.

Publicité et concurrence déloyale

La déontologie

L’article R.4127-215 du code de la santé publique établit que : « La profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont notamment interdits :

- l’exercice de la profession dans un local auquel l’aménagement ou la signalisation donne une apparence commerciale,

-  tous procédés directs ou indirects de publicité (…) »

Concernant sa plaque professionnelle, les seules indications qu’un chirurgien-dentiste est autorisé à faire figurer à la porte de son immeuble sont ses noms, prénoms, sa qualité, sa spécialité et les diplômes, titres ou fonctions reconnus par le Conseil National de l’Ordre. (Art. R.4127-218) Il y est également précisé que « ces indications doivent être présentées avec discrétion, conformément aux usages de la profession ».

 

Concernant les centres de soins, l’article L 6323-1 indique sans trop de précisions : « L’identification du lieu de soins à l’extérieur des centres de santé et l’information du public sur les activités et les actions de santé publique ou sociales mises en œuvre, sur les modalités et les conditions d’accès aux soins ainsi que sur le statut du gestionnaire sont assurées par les centres de santé ».

Voici l’exemple de deux centres dentaires dans le 17ème arrondissement de Paris, à une rue l’un de l’autre :

Et à Levallois-Perret, où pour comparaison intéressante on retrouve à côté de la plaque du centre dentaire celles de professions libérales médicales exerçant dans le même immeuble.

Il paraît difficile d’accepter que pour un chirurgien-dentiste la plaque doive être de dimensions discrètes alors qu’à proximité de son cabinet, le centre dentaire inscrive son nom et son numéro de téléphone en lettres géantes sur bandeaux et panneaux. L’Ordre national des chirurgiens-dentistes a publié en 2016 une charte ordinale relative à la publicité et à l’information dans les médias.

« Le praticien contreviendra à sa déontologie si la communication est publicitaire, c’est-à-dire si elle a pour but de promouvoir sa pratique ou son cabinet.(…) Le recours à certains supports peut être, en soi, publicitaire, et ce, indépendamment du contenu du message qui est diffusé. En effet, par l’utilisation de ces procédés, l’information s’impose à des personnes qui ne l’ont pas demandée ou recherchée.

(…) L’apposition de grands panneaux dans les rues d’une ville ou sur des véhicules qui «se contentent » de mentionner les coordonnées d’un cabinet médical a été jugée publicitaire.(…)»


La couverture médiatique de certains centres

Dès l’annonce de leur ouverture, certains centres dentaires « low cost » ont bénéficié de nombreux reportages télévisés et d’article de presse.

Dans Le Monde, du 9 mars 2012, on peut lire : « Sous l’appellation Dentexia, des cabinets de soins dentaires à bas prix se multiplient dans la région lyonnaise. Le premier a ouvert au mois de janvier dans le chic 6ème arrondissement de Lyon (…). Le deuxième doit démarrer le 12 mars dans le quartier des hôpitaux, à Grange- Blanche (…). Un troisième site est prévu le 2 avril à Vaulx-en-Velin (…). “La santé dentaire pour tous“. Tel est l’objectif affiché sur le site internet de Dentexia, qui dit vouloir « mettre la santé bucco-dentaire à la portée de tous en pratiquant des prix près de trois fois inférieurs à ceux couramment constatés ». Par exemple, le centre propose un forfait d’un montant de 970 euros pour la pose d’un implant, contre une moyenne de l’ordre de 2000 euros. Avantage pour le public : réduire considérablement la part non remboursée des soins dentaires les plus chers. (…) »

De nouveau dans Le Monde du 4 octobre 2012, sous le titre « Dans le nord, Dentifree inaugure un centre dentaire low-cost », on retrouve à nouveau des informations très précises, rappelant celles d’un devis : « Alors que le débat s’anime sur le coût de la santé, des centres dentaires réussissent à baisser les prix de 40%, provoquant la colère des libéraux. Pour remplacer une molaire par un implant dentaire, il vous en coûtera 1160 euros. Soit 60 euros de scanner, 500 euros pour un implant, 100 euros pour un pilier dentaire et 500 euros pour une couronne céramique. Sur son site internet (http://www.dentifree-lille.com/), Dentifree Lille affiche plusieurs exemples d’actes de ce type (…) »

Et donne un exemple pour un patient : « Son nouveau devis devrait être de 3000 euros, soit 2000 euros de moins que le devis de son dentiste habituel. (…) »

Dans La Voix Du Nord, du 18 septembre 2013, est écrit : « La zone d’activité de la Cessoie accueille désormais un cabinet dentaire spécialisé dans les maladies des gencives (Dentifree). Avec une idée phare : les dents qui se déchaussent et le dentier ne sont plus une fatalité, même quand on n’a pas les moyens. Comment proposer des implants moins chers ? (…) Le défi d’offrir des prix inférieurs de 40% en moyenne (…) Nicolas Thibert ironise un peu sur les pratiques des dentistes : “Ici, pas de tableaux de maîtres, les chaises de la salle d’attente ne sont pas très luxueuses, ce n’est pas immense…»

Dans un article paru dans 20 minutes le 12 septembre 2014, on peut lire : «Le centre dentaire Saint Lazare pourra proposer des couronnes à 390 € et des implants à 970 €, deux fois moins chers que chez un dentiste traditionnel.»

Ces articles fournissent un nombre d’informations très précises pouvant être assimilées à de la publicité gratuite, et pour certains, à un dénigrement des cabinets libéraux.

 

Les actions en justice

Dans le Chirurgien-Dentiste de France du 13 juin 2013, Sabek déclare : « La médecine dentaire ne peut être exercée comme un commerce. C’est un fondement déontologique dont l’objectif est de protéger le patient. D’où l’interdiction de la publicité et de toute démarche promotionnelle qui finit par assimiler le patient à une marchandise.»

 

Avec le Conseil national de l’Ordre, la CNSD (Confédération Nationale des Syndicats Dentaires) a décidé de poursuivre tout écart des règles déontologiques, qu’il soit le fait des praticiens des centres (ce qu’on a rarement vu) ou des dirigeants. Ces derniers agissent au mépris de l’éthique qui gouverne la médecine bucco-dentaire : publicité tapageuse, opérations promotionnelles, refus de soins, référence à des prix de prothèse qui seraient plus avantageux que des moyennes inventées pour déconsidérer l’exercice libéral, etc….

 

On ne peut laisser ces structures violer les principes déontologiques et dénaturer la relation du chirurgien-dentiste avec son patient. Au-delà, ces pratiques, commises derrière l’écran associatif, constitue une concurrence déloyale à l’égard des libéraux. Comment accepter que pour le chirurgien-dentiste libéral, la plaque soit discrète et que, dans la même rue, le panneau d’un centre dentaire couvre un mur entier, avec bandeaux lumineux, lettres géantes, etc. ? Ni le bon sens, ni le droit ne l’admettent. Et la jurisprudence est constante et abondante en la matière ; les principes déontologiques sont opposables non seulement aux chirurgiens- dentistes, mais également à toute structure qui les emploie, quelle que soit sa forme juridique »

 

Le 11 septembre 2013, le tribunal condamne en première instance pour concurrence déloyale et publicité une association loi 1901 pour le développement de l’accès aux soins dentaires (ADDENTIS). Cette dernière avait mis sur son site internet des articles et reportages télévisés qui « relayaient l’ouverture du centre de santé dentaire d’une manière particulièrement avantageuse, visant manifestement à promouvoir les nouveaux services proposés et à inciter le public à s’y rendre ».

La sanction de 1500€ à payer au Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes (CNOCD) et à la CNSD était accompagnée d’une injonction de cesser tout acte publicitaire de concurrence déloyale qu’il soit matériel ou virtuel. L’association ADDENTIS a fait appel de ce jugement et la cour d’appel infirme le jugement en févier 2016. Les magistrats ont donc considéré que le code de déontologie ne s’appliquait qu’aux dentistes salariés de l’association et que celle-ci pouvait donc faire une campagne publicitaire.

L’Ordre national et les syndicats se pourvoient en cassation. Le 26 avril 2017, la cour de cassation confirme que le code de déontologie n’est pas opposable à l’association (personne morale) qui emploie un chirurgien-dentiste. Mais elle condamne la réclame promotionnelle en tant que concurrence déloyale.

 

Le 19 septembre 2017, la cour d’appel applique la jurisprudence de la cour de cassation consacrée par les deux arrêts du 26 avril 2017. Elle condamne la société DENTEXIA (alors en liquidation judiciaire) pour l’utilisation « d’une signalisation particulièrement voyante tant par la dimension des panneaux que par la couleur et l’éclairage des inscriptions donnant une apparence commerciale au local. Les indications (…) dépassent la simple information objective (…) la mention « santé pour tous » (…) constitue un slogan publicitaire »

Ces procédés caractérisés sont de nature à favoriser l’activité des chirurgiens-dentistes employés par l’association et sont « constitutifs, comme tels, d’actes de concurrence déloyale au préjudice des praticiens exerçant la même activité hors du centre de santé » (CDF, Sabek, 2017).

 

Les modes de fonctionnement de certains centres et les dérives possibles

Montage juridique

Ces centres de santé « low-cost » dirigés par des associations loi 1901 bénéficie de la fiscalité des associations. La loi du 1er juillet 1901 précise qu’une association ne peut légalement distribuer de bénéfice à ses membres, sinon elle devient une société créée de fait. Une association peut faire du commerce, mais elle doit réinjecter les bénéfices dans l’activité de la société.

Plusieurs sites (arcad-dentaire.fr, synergiedentaire.com) se sont intéressés au montage juridique de certains centres « low-cost » qui dissimulent des liens avec des entreprises à but purement lucratif, dont les dirigeants étaient les mêmes.

« Les associations sont gérées grâce au support de sociétés, qui sont, elles, commerciales. Les sociétés facturent des frais de gestion et de relations publiques aux associations (formation des salariés, produits, matériel, immobilier, etc…). Les associations engendrent donc des profits ensuite recueillis par ces sociétés, contrôlées par les mêmes acteurs que ceux des associations (…) ces bénéfices, quand ils existent, peuvent être appréhendés par le biais des salaires de certains dirigeants dont des amis ou la famille composent l’association ou par surfacturation à l’association de fourniture, de prestations ou de loyers. »

Ainsi, certaines associations loi 1901 serviraient d’écrans à des sociétés commerciales de prestations de service, pour siphonner les bénéfices.

Zones d’installation des centres low-cost

 Il est difficile de trouver des chiffres précis sur le nombre de centres dentaires.

La CNAMTS dénombrait 228 ouvertures entre 2012 et 2015. Le rapport de l’IGAS relève 73 nouveaux centres en 2016. La FSDL a établi un zonage des ouvertures de certains centres dentaires entre 2012 et 2015 : sur 69 centres, 63,7% ont ouvert en zone très ou sur-dotées, et seulement 1,6% dans les zones sous et très sous-dotées. Cette analyse des lieux d’implantation semble un peu différente de leur propagande sur l’accès aux soins pour les plus démunis.

Sur une simple recherche Google dans un quartier du 17ème arrondissement de Paris, quartier pourtant à priori bien pourvu en chirurgiens-dentistes, on trouve 3 centres dentaires à proximité les uns des autres.

 

Mode de fonctionnement du low-cost

Le principe du low-cost est d’enlever tout ce qui va être superficiel dans le produit ou le service. En l’appliquant au domaine de la santé dentaire, le besoin premier est donc le soin.

Lors de la première consultation dans un cabinet libéral, un certain temps va être consacré par le praticien lui-même à l’accueil du patient et à la mise en place de la relation de confiance. Cette approche relationnelle, chronophage, prenante psychologiquement et financièrement, est pourtant essentielle au bon établissement de la relation thérapeutique.

Dans un système low-cost, les temps d’échanges et de communication avec le patient avant et après le début des soins vont être réduits au maximum, afin d’augmenter la productivité et le regroupement des actes. Les protocoles appliqués allongent les durées de rendez-vous, sans tenir compte de l’avis du patient, qui peut se retrouver à subir de longs temps de fauteuil. Le taux d’utilisation du fauteuil sera ainsi maximisé ; mais dépouillée de sa dimension humaine, l’offre de soins s’approche d’un aspect mercantile (arcad-dentaire, 2016).

Le site analyse ensuite l’organisation du centre, qui est basée sur une analyse rigoureuse de la production et l’application de protocoles, s’apparentant au taylorisme, pour fournir un rendement maximum. Le pôle administratif gère la relation avec le patient pour ce qui est de la gestion des dossiers, des plannings de rendez-vous, des devis, des encaissements, …. Le pôle clinique est constitué de plusieurs binômes de chirurgiens-dentistes et d’assistantes dentaires par fauteuil. Le praticien est déchargé de toute tâche autre que le soin et donc une productivité accrue.

Les cabinets low-cost copient les fonctionnements de la grande distribution, en adaptant les méthodes à la spécificité de l’exercice : sélection des patients en fonction de la rentabilité des soins à réaliser, coaching des praticiens pour une optimisation de la productivité...

Et avec une force de frappe importante concernant les achats de prothèses, d’implants et de matériel en grande quantité, leur permettant d’obtenir des tarifs sur leur commandes de fournitures qu’un praticien libéral seul dans son cabinet n’aura jamais. (T. Soulier, CDF juin 2013)

 

L’ensemble des syndicats dentaires signait à ce même moment une lettre ouverte au président de la Fédération nationale des centres de santé en rappelant la perversité induite par le système low-cost : ne sélectionner que les actes les plus rentables ou les réaliser en grand nombre pour changer la donne économique. Dans les cabinets libéraux, 2/3 des actes réalisés sont des actes de prévention et de soins à des tarifs opposables très sous évalués au regard des obligations de qualité, de sécurité et d’évolution des techniques. Le reste des actes à honoraires libres (prothèse, implants, orthodontie, …) permettent d’équilibrer les déficits engendrés par les soins. (Le CDF, 2013).

 

Modification de la loi HPST

 

L’ordonnance du 12 janvier 2018 réaffirme une gestion non lucrative mais ouvre leur création et leur gestion à des sociétés purement commerciales, ce qui parait étonnant après le scandale Dentexia ou le rapport de l’IGAS. La non distribution des bénéfices y est clairement inscrite, mais rien ne semble pour autant empêcher des contrats reliant le centre à des sociétés de service ayant le même gestionnaire. Elle inscrit que toute forme de publicité en faveur des centres de santé est interdite.

Le centre devra préalablement remettre à l’ARS un engagement de conformité dont le contenu sera fixé par un arrêté du ministère chargé de la santé. L’ARS n’a toujours qu’un rôle d’enregistrement, mais le texte de loi renforce le pouvoir de contrôle à postériori et de sanction.

L’arrêté du 27 février 2018 établit quant à lui très précisément un ensemble de caractéristiques relatives au projet de santé (notamment un diagnostic des besoins du territoire), au fonctionnement (pour l’hygiène et la sécurité des soins) et aux informations financières (sur les charges et les sources de financement). C’est donc l’ensemble de l’article L6323-1 du code de la santé publique qui est réécrit, afin de refonder totalement les dispositions législatives et de mieux encadrer les activités des centres de soins. Mais les garde-fous ne semblent pas suffisamment adaptés pour éviter de nouveaux dévoiements mercantiles de notre système de santé.

En dépit des alertes du conseil de l’Ordre et des syndicats dès 2010, les pouvoirs publics et les médias semblent toujours croire en cette émergence soudaine de philanthropes dentaires sauvant la santé publique, contre le corporatisme des dentistes libéraux et ses lieux communs bien ancrés, et ce malgré le scandale sanitaire, financier et humain de Dentexia….. Seul espoir en vue, une proposition de loi visant à rétablir l’agrément préalable des ARS avant l’ouverture d’un centre vient d’être déposée par un député LR de Meurthe-et-Moselle. Elle viserait aussi à aligner les règles de déontologie des professionnels exerçant en centre sur celles applicables aux cabinets libéraux et à réguler les activités des centres afin qu’elles ne soient pas exercées comme un commerce…. Mais l’équité semble encore loin…

Bibliographie

 

 

Livres, revues et périodiques

 

 

- M.Bernard « 160 questions en responsabilité médicale », éditions Elsevier 2010

 

- IGAS : Rapport N°RM2013-119P : « les centres de santé : situation économique et place dans l’offre de soins de demain » ; Rapport N°2016-075R : « L’association Dentexia, des centres de santé dentaire en liquidation judiciaire depuis mars 2016 : impacts sanitaires sur les patients et propositions »

 

- Le Chirurgien-Dentiste de France :

 

N°1515-1516 février 2012 : « la CNSD se rebiffe ! »

 

N°1517 février 2012 : « Santé low-cost ou santé publique ? » R. L’Herron

 

N°1578-1579 juin 2013 : « Tous les syndicats dentaires unis contre le low-cost » ; « Les origines du low-cost » T. Soulie ; « Low-cost : la santé paye le prix fort »

 

N°1697-1698 mars 2016 : « L’écran…publicitaire » M. Sabek, « Les coups bas du bas coût », « Avec l’Ordre, nous étions bien seuls… », « La fin d’une incurie ? » P. Balagna

 

N°1699 mars 2016 : « Médecine social ou mercantile » C. Mojaisky

 

N°1700-1701 mars 2016 : « les masquent tombent » C. Mojaisky

 

N°1702-1703 mars-avril 2016 : « Les racines du mal ! » L. Chauveau

 

N°1728 novembre 2016 : « Dentexia : le rapport qui fait mal » J. Richard

 

N°1754-1755 mai 2017 : « Publicité et concurrence déloyale : nouvelle condamnation des centres low-cost »

 

- La Lettre de l’Ordre :

 

N°162 novembre 2017 : « Projet de textes sur les centres de santé : ce que l’Ordre propose »

 

N°165 février-mars 2018 : « Centres de santé : un contrôle encore insuffisant »

 

N°166 avril 2018 : « Où est le rapport fantôme sur les centres de santé ? »

 

- Marc Sabek, « Le chirurgien-dentiste et les caisses d’assurance maladie : conventions, contrôles, contentieux. », éditions SNPMD, 2004

 

- Marc Sabek « Les responsabilités du chirurgien-dentiste », éditions les Études Hospitalières, 2003

 

 

 

Sites internet

 

- www.ameli.fr/sites/defaults/files/documents/5440/documents/accords-centres-santé- dentaires_assurance-maladie.pdf

 

- http://affairesjuridiques.aphp.fr/textes/cour-dappel-de-paris-18-fevrier-2016-n- 1319101-centre-de-sante-dentaire-publicite-deontologie-concurrence-deloyale/

 

- www.arcad-dentaire.fr/?p=1116 “les cabinets low-cost” février 2016

 

- www.arcad-dentaire.fr/?p=1195 « odontologie et low cost » février 2016

 

- http://ancien.cnsd.fr/actualite/news/1894-publicite-et-concurrence-deloyale-nouvelle- condamnation-des-centres-low-cost

 

 - www.courdecassation.fr/publications_26/arrets_publies_2986/premiere_chambre_civi le_3169/2017_7946/avril_8087/488_26_36703.html ; arrêt du 26 avril 2017, pourvois n°16-14.036 et n°16-15.278 contre Addentis

 

- www.courdecassation.fr/publications_26/arrets_publies_2986/premiere_chambre_civi le_3169/2017_7946/juin_8142/723_9_37106.html

 

- www.doctrine.fr/d/CA/Lyon/2017/C61FD93D4624B9BC8A27A arrêt du 19 septembre 2017 appliquant la jurisprudence du 26 avril 2017 de la cour de cassation

 

- www.dynamiquedentaire.com/publicite-des-centres-de-sante-condamnes-pour- concurrence-deloyale/

 

- www.fsdl.fr/wp-content/uploads/2015/10/fichier-.pdf

 

- www.fsdl.fr/le-low-cost-enfin-dans-le-collimateur-du-ministere-de-la-sante/

 

- www.lavoixdunord.fr/archive/recup/economie/dentifree-l-easy-jet-des-implants- dentaires-ia0b0n1552381

 

- www.legifrance.gouv.fr : 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ; Arrêté du 30 juillet 2010 relatif au projet de santé et au règlement intérieur des centres de santé mentionnés aux articles D.6323-1 et D.6323-9 du code de la santé publique ; Arrêté du 27 février 2018 relatif aux centres de santé ; Article R4127-249 relatif à l’exercice salarié

 

- www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072665&i dArticle=LEGIARTI000006691345&dateTexte&categorieLien=cid Article L6323-1 relatif aux centres de santé

 

 - www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000036484700&catego rieLien=id : ordonnance du 12 janvier 2018 relative aux conditions de création et de fonctionnement des centres de santé

 

- www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000034550742 : arrêt du 26 avril 2017, pourvois n°16-11.967 et n°16_15.108 contre la mutualité française d’Alsace

 

- www.lelanceur.fr/dentexia-que-vont-devenir-les-3-000-victimes/ (2016)

 

- www.lemonde.fr/societe/article/2012/03/09/soins-dentaires-a-lyon-l-ouverture-de- cabinets-low-cost-derange_1655410_3224.html

 

- www.lemonde.fr/sante/article/2013/10/04/dans-le-nord-dentifree-inaugure-un-centre- dentaire-low-cost_3490001_1651302.html

 

- www.ordre-chirurgiens-dentistes.fr/code-de-deontologie/consulter-le-code-de- deontologie.html

 

- www.ordre-chirurgiens-dentistes.fr/chirurgiens-dentistes/securisez-votre- exercice/divers/charte-publicite-information-medias.html (2014)

 

- www.ordre-chirurgiens-dentistes.fr/actualites/annee-en-cours/actualites.html?tx_ttnews%5Btt_news%5D=692&cHash=3c291ba2a1ebf61b1f3 015c72c069cd5 : « publicité : la déontologie s’applique à tous » (2017)

 

- www.synergiedentaire.com/?p=1659 « les centres de soins dentaires loi 1901 »

 

- www.20minutes.fr/paris/867256-20120126-soins-dentaires-prix-casses