Le prélèvement vestibulaire :

un nouveau site donneur de la greffe épithélio-conjonctive ?

Dossier spécial : Les innovations en parodontologie ; aménageons la gencive - AONews #29 (Oct.2019)

Introduction

 

Le rôle du tissu kératinisé dans le maintien de la santé parodontale a fait l’objet de nombreux débats et discussions au cours des 50 dernières années. Les conclusions des publications scientifiques ont fluctué, certaines attestant de la nécessité d’une hauteur minimale de tissu kératinisé afin de permettre les mesures d’hygiène et d’assurer l’absence d’inflammation parodontale (Lang et Löe, 1972). De nos jours, il est admis que 3mm de tissu kératinisé ne sont plus une obligation; les études ont démontré qu’en l’absence d’inflammation parodontale, il n’est pas nécessaire d’avoir du tissu kératinisé pour maintenir la santé parodontale (1), sauf dans les cas particuliers des dents

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 présentant des limites prothétiques intrasulculaires (2), des dents supports de crochets de prothèses amovibles, des parodontes fins devant subir un traitement orthodontique ou encore de certaines restaurations implantaires (3), cas dans lesquels un renforcement par apport de tissu kératinisé est nécessaire.Il peut également être nécessaire de recouvrir des récessions parodontales, définies par Pini Prato comme la migration apicale de la gencive marginale par rapport à la position de la jonction amélo-cémentaire avec migration du système d’attache (4) et décrites dans la récente classification de Cairo (2011) (5) (cf. article Classification des maladies parodontales).

De nombreux protocoles chirurgicaux d’augmentation de tissu kératinisé ont été décrits et sont utilisés aujourd’hui, dont la greffe épithélioconjonctive ou greffe gingivale libre, décrite pour la première fois par Nabers en 1966, associée à un prélèvement le plus souvent palatin.

 

Protocole conventionnel de la greffe épithélioconjonctive

 

Le protocole chirurgical de la greffe épithélio-conjonctive est détaillé en 1966 par Nabers, qui pose son indication dans le traitement des pathologies mucogingivales du secteur incisif mandibulaire, présentant fréquemment des insertions frénales hautes, peu ou pas de hauteur de gencive attachée, une gencive attachée très fine, souvent en association avec un vestibule insuffisamment profond. Cette greffe autologue est adaptée d’un protocole chirurgical d’approfondissement du vestibule également décrit par Nabers en 1965 (6).

Dans les années 70/80, elle est considérée comme le protocole chirurgical de référence pour l’approfondissement du vestibule et le renforcement parodontal et est également utilisée à des fins de recouvrement des récessions, mais pour des résultats mitigés, en l’absence de tout critère de prédictibilité (n’arrivant que bien plus tard). La greffe épithélioconjonctive peut aujourd’hui être dite de renforcement ou de substitution, lorsque le but est d’améliorer les méthodes d’hygiène et de modifier le morphotype parodontal par la création de gencive attachée et l’approfondissement du vestibule (7), ou dite de recouvrement dans le cas de traitement des récessions parodontales.

 

Avantages et inconvénients de la greffe épithélio-conjonctive

 

Parmi les points positifs, on retrouve une augmentation très efficace et prédictible de tissu kératinisé, que ce soit au niveau des dents comme des implants ; le gain moyen de tissu kératinisé avoisine les 3,5mm (9,10,11), supérieur à celui obtenu par lambeau déplacé apicalement. Ce gain important de tissu kératinisé semble par ailleurs d’une grande stabilité dans le temps. Elle peine cependant à soutenir la comparaison avec les lambeaux pédiculés et les greffes de conjonctif enfoui dans sa deuxième indication, à savoir le recouvrement des récessions parodontales. Elle présente en effet un taux et un pronostic de recouvrement (respectivement de 73 et 57%) (12) peu satisfaisants et significativement inférieurs aux lambeaux déplacés associés ou non aux greffes de conjonctif enfoui.

Il est en outre important d’étudier et d’évaluer le ressenti du patient après l’intervention, à savoir les douleurs ressenties ainsi que son confort post-opératoire, à l’aide d’une échelle visuelle analogique ou EVA, graduée de 0 à 10. Cette analyse est d’autant plus importante dans le cas des greffes éptihélioconjonctives, car la cicatrisation de seconde intention qui se met en place au site donneur est plus douloureuse et plus longue qu’une cicatrisation de première intention. Elle est d’autant plus longue quand la fibromuqueuse est initialement peu épaisse (moins de 2mm d’épaisseur) (13). La douleur est maximale au premier jour post-intervention, et décroît ensuite pendant les 28 jours de la cicatrisation (14), est directement et positivement corrélée à l’épaisseur du greffon prélevé, et négativement corrélée à l’épaisseur initiale de la muqueuse palatine (15), et corrélée à la durée de l’intervention. Ainsi, la greffe épithélioconjonctive se retrouve systématiquement en première place du classement des techniques opératoires provoquant le plus de douleurs post-opératoires (16,17,18,19).

Enfin, la greffe épithélio-conjonctive est la technique opératoire qui obtient le moins bon score esthétique (20), évalué par le Root Coverage Esthetic Score (21), dans le recouvrement des récessions unitaires, en comparaison avec les lambeaux déplacés coronairement, avec ou sans greffon de conjonctif associé, de par son aspect de surface hyperkératinisé, parfois « en rustine », une intégration chromatique incomplète du greffon dans le morphotype parodontal environnant et le déplacement apical de la ligne mucogingivale.

La greffe épithélioconjonctive présente donc le grand avantage d’être une technique efficace et reproductible pour l’augmentation de tissu kératinisé, autant sur les dents que sur les implants, mais présente également les inconvénients non négligeables de causer des suites post-opératoires importantes et un résultat esthétique souvent peu satisfaisant.

Il a donc été proposé de modifier à la fois le site de prélèvement et la nature de tissu prélevé pour tenter de pallier ces inconvénients ; il en est ressorti un nouveau protocole, dans lequel le greffon est directement prélevé au niveau de la gencive attachée vestibulaire, prélevant ainsi un tissu de même nature que le tissu du site receveur, pouvant être envisagé sur des morphotypes parodontaux de type I ou III de Maynard et Wilson (22) afin que la gencive vestibulaire soit suffisamment épaisse pour être prélevée, et sur des sites présentant une hauteur de tissu kératinisé importante, d’environ 6 à 7mm (1mm de gencive marginale, et minimum 4-5mm pour la hauteur du futur greffon).


 

Discussion

 

Le prélèvement vestibulaire doit compenser les inconvénients posés par le prélèvement palatin classique de la greffe épithélio-conjonctive.

Ainsi, il devrait :

  • donner de meilleurs résultats esthétiques que le greffon palatin ou tubérositaire, car prélevé dans la muqueuse alvéolaire donc histologiquement du même nature tissulaire que le site receveur. On attend une absence de cicatrice, une intégration complète en couleur, volume et texture, et un refoulement plus discret de la ligne mucogingivale ;
  • diminuer la rétraction du greffon, car moins fibreux ;
  • diminuer les douleurs post-opératoires en supprimant le site de prélèvement palatin à l’origine de la majorité des suites douloureuses ;
  • s’affranchir du risque hémorragique (certes faible) du fait de l’absence de paquet vasculonerveux dans la gencive vestibulaire (à l’exception de la zone du foramen mentonnier qui ne peut donc pas faire l’objet d’un prélèvement épithélioconjonctif).

Le case report précédent a montré que le gain de tissu kératinisé avec un greffon vestibulaire était tout aussi satisfaisant qu’avec un greffon palatin, tout en permettant une diminution des douleurs post-opératoires et un bien meilleur résultat esthétique.

Cette technique n’a en revanche jusqu’à présent jamais été décrite dans la littérature, et doit faire l’objet de recherches standardisées, afin d’évaluer quantitativement et qualitativement la stabilité au long terme de ce type de prélèvement, ainsi que d’envisager d’élargir l’utilisation de ce prélèvement aux cas de recouvrement de récessions parodontales.

 

Conclusion

 

Ce nouveau type de prélèvement semble permettre, dans les cas de renforcement du tissu kératinisé sur dents naturelles en comparaison avec un greffon d’origine palatine :

- un gain de tissu kératinisé équivalent,

- une nette diminution des douleurs post-opératoires,

- un meilleur résultat esthétique.

 

Bibliographie

1 Wennström, « Lack of association between width of attached gingiva and development of soft tissue recession : a 5-year longitudinal study ».

2 Stetler et Bissada, « Significance of the width of keratinized gingiva on the periodontal status of teeth with submarginal restorations ».

3 Mattout et Vaida, « Tissu mou kératinisé péri-implantaire ; intérêt de la greffe gingivale de substitution ».

4 Pini-Prato, « Mucogingival deformities ».

5 Cairo et al., « The interproximal clinical attachment level to classify gingival recessions and predict root coverage outcomes : an explorative and reliability study ».

6 Nabers, « Free gingival grafts ».

7 Scheyer et al., « Periodontal soft tissue non–root coverage procedures : a consensus report from the AAP regeneration workshop ».

8 Holbrook et Ochsenbein, « Complete coverage of the denuded root surface with a one-stage gingival graft »

9 Agudio et al., « Free gingival grafts to increase keratinized tissue : a retrospective long-term evaluation (10 to 25 years) of outcomes ».

10 Thoma et al., « Clinical and histologic evaluation of different approaches to gain keratinized tissue prior to implant placement in fully edentulous patients ».

11 Chambrone et al., « Root-coverage procedures for the treatment of localized recession-type defects : a cochrane systematic review ».

12 Camargo, Melnick, et Kenney, « The use of free gingival grafts for aesthetic purposes ».

13 Keskiner et al., « Quantitative changes in palatal donor site thickness after free gingival graft harvesting : a pilot study ».

14 Burkhardt, Hämmerle, et Lang, « Self-reported pain perception of patients after mucosal graft harvesting in the palatal area ».

15 Burkhardt, Hämmerle, et Lang, « Self-reported pain perception of patients after mucosal graft harvesting in the palatal area ».

16 Griffin et al., « Postoperative complications following gingival augmentation procedures ».

17 Thoma et al., « Clinical and histologic evaluation of different approaches to gain keratinized tissue prior to implant placement in fully edentulous patients ».

18 Kim et Neiva, « Periodontal soft tissue non–root coverage procedures : a systematic review from the AAP regeneration workshop ».

19 Tatakis et al., « Periodontal soft tissue root coverage procedures : a consensus report from the AAP regeneration workshop ».

20 Pini-Prato et al., « Esthetic evaluation of root coverage outcomes : a case series study ».

21 Cairo et al., « Root coverage esthetic score : a system to evaluate the esthetic outcome of the treatment of gingival recession through evaluation of clinical cases ».

22 Maynard et Wilson, « Diagnosis and management of mucogingival problems in children ».

23 Cairo et al., « Root coverage esthetic score : a system to evaluate the esthetic outcome of the treatment of gingival recession through evaluation of clinical cases ».

 

 

 

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