Prévention des échecs et des complications en chirurgie muco-gingivale

Dossier spécial : Les innovations en parodontologie ; aménageons la gencive - AONews #29 (Oct.2019)

 La chirurgie muco-gingivale est vraisemblablement la discipline qui a le plus évoluée ces vingt dernières années au même titre que les protocoles de collage en dentisterie restauratrice. L’évolution des thérapeutiques et des protocoles nous permettent d’améliorer les résultats et d’obtenir des recouvrements radiculaires qui semblaient impossibles autrefois. Néanmoins, échecs et complications sont des aléas thérapeutiques que les parodontistes doivent prévenir ou prendre en charge.

L’échec est défini par Le Larousse comme un résultat négatif d’une procédure, une défaite et un insuccès. Les complications sont présentées comme un élément nouveau imprévu, un concours de circonstances qui entravent le déroulement normal de quelque chose (la cicatrisation) en créant des difficultés.

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4. Prévention des échecs et des complica
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L’analyse de la littérature internationale rapporte peu d’études sur les échecs et complications autour des dents. Pour prévenir ces risques, il est nécessaire de comprendre les différents paramètres qui permettent d’obtenir un succès en chirurgie muco-gingivale.

 

 

Les paramètres indépendants du praticien

 

Il existe des contre-indications d’ordre général selon les recommandations de la SFCO de 2015 : les patients à risque infectieux (endocardite infectieuse, immunodéprimé, risque d’ostéoradionécrose) et les patients à risque hémorragique (traitement par anti-coagulant, anti-aggrégant plaquettaire).

Un diabète non équilibré est aussi une contre-indication car chez ces patients les processus de cicatrisation et de vascularisation sont très perturbés.


Le tabac (1)

Il a été démontré depuis de nombreuses années que les risques d’échec et de complications sont très largement augmentés chez les patients fumeurs. Il est donc nécessaire d’obtenir chez ces patients une fenêtre thérapeutique sans tabac de six semaines : avant pour que la revascularisation devienne fonctionnelle et quatre semaines pour que l’angiogenèse s’établisse sans perturbation.
Sur la figure 2 un lambeau déplacé coronairement associé à un conjonctif enfoui a été réalisé. Le patient n’ayant pas respecté la fenêtre thérapeutique.

On constate à une semaine post-opératoire une nécrose du tissu conjonctif exposé.Il faut alors laisser la partie nécrosée s’éliminer d’elle-même pour tenter de conserver le tissu conjonctif qui reste enfoui. Une application topique de chlorhexidine et un arrêt strict du tabac permettent d’éviter une aggravation de la situation.

De même dans la situation de la nécrose palatine (Fig. 3), les mêmes précautions sont recommandées chez le patient, à savoir : arrêt du tabac strict et usage de chlorhexidine.

 


 

L’hygiène orale et le brossage traumatique (2)

On retrouve des anomalies muco-gingivale à la fois chez des patients à haut standard d’hygiène comme chez des patients à faible hygiène bucco-dentaire.

Il est nécessaire dans ces différentes situations de corriger les habitudes de nos patients avant d’envisager toute thérapeutique chirurgicale. Chez les patients présentant une quantité de plaque et de tartre importante, une thérapeutique étiologique devra être réalisée en amont. Sur la figure 6, la 32 présente une récession parodontale associée à de la plaque et du tartre. Après des séances de détartrage et de surfaçage radiculaire, on observe à un mois une diminution de l’inflammation et une modification des paramètres cliniques de la gencive (couleur, contour, texture, forme, consistance).

Une mauvaise hygiène orale diminue les résultats d’une chirurgie muco-gingivale. Wennström et Zucchelli ont démontré depuis 1996 qu’un brossage traumatique est source de récurrence de lésion après traitement. Il est donc primordial de corriger et d’éduquer nos patients avant toute thérapeutique.

 

 

Analyse de la situation clinique

 

Un certain nombre de paramètres doivent être pris en compte en amont d’une intervention de chirurgie muco-gingivale afin de décider de l’objectif thérapeutique.

 

Le niveau des septa osseux (3)

C’est un critère essentiel à analyser pour connaître le potentiel de recouvrement espéré lors de nos thérapeutiques. La classification de Miller repose en parti sur l’atteinte ou non de cet os interdentaire. Ainsi, pour les classes I et II de Miller où il n’y a pas d’atteinte des septa osseux, un recouvrement complet pourra être espéré alors que pour les classes III et IV où il y a une atteinte osseuse interdentaire, seul un recouvrement partiel pourra être obtenu. Il est obligatoire de faire cette analyse osseuse à l’aide de radiographies rétro-alvéolaires.

 La quantité et l’épaisseur de tissu kératinisé (4)

Dans les années 70, le critère essentiel était la hauteur de tissu kératinisé mais depuis une dizaine d’années l’épaisseur est au moins aussi importante que la hauteur. On pourra donc être amené dans certaines situations à juste épaissir le morphotype parodontal sans pour autant créer du tissu kératinisé.

Ainsi Zweers et al. ont établi une nouvelle classification des morphotypes parodontaux (classification reprise par la conférence de consensus AAP & EFP de 2017) (5) :

- biotype fin et festonné : association de dents triangulaires, convexité cervicale, contacts interproximaux proches du bord incisif, zone étroite de tissu kératinisé, gencive fin et os alvéolaire fin ;


- biotype épais et plat : dents carrées, convexité cervicale importante, contacts interproximaux situés plus apicalement au bord incisif, tissu kératinisé étendu, gencive fine et os alvéolaire épais ;

- biotype épais et festonné : dents fines, zone étroite de tissu kératinisé, feston marqué, gencive épaisse.

Pour les thérapeutiques de recouvrement radiculaire, l’adjonction d’un greffon de conjonctif enfoui est recommandée par Baldi et al. (6) si l’épaisseur du lambeau est inférieure à 0,8 mm. Fig. 8

 

Épaisseur du greffon

Quelle que soit la nature du greffon : épithélio-conjonctif ou conjonctif, il est nécessaire d’avoir une épaisseur de greffon homogène avec le morphotype parodontal environnant. Ainsi, dans les situations cliniques de la figure 9, des greffons épithélio-conjonctifs trop épais ont été prélevés et donnent un aspect de type rustine inesthétique, inhomogène et compliquant le brossage. Fig. 9


 Position de la dent (V/P/L) et couloir parodontal

Les dents en position vestibulaire sont généralement en dehors du couloir parodontal. Les dents en dehors du couloir parodontal (osseux) présentent souvent des récessions qui peuvent être associées à des défauts de tissu kératinisé. Ainsi, cette position doit être prise en compte pour déterminer les objectifs de traitement et le protocole chirurgical.

Dans la situation clinique de la figure 10, la 42 est en position vestibulaire avec une absence de gencive attachée, une inflammation tissulaire très importante et sur la radio 3D la destruction totale de la corticale vestibulaire. La conservation de cette dent peut être mise en cause au vu de sa situation clinique et du faible taux de succès d’un recouvrement et d’aménagement tissulaire.

Dans ces situations, la thérapeutique muco-gingivale ne permettra qu’un renforcement et recouvrement partiel. Il est envisageable également de combiner une thérapeutique orthodontique pour ramener la dent dans son couloir parodontal.

Dans la figure 11, la 33 est en position vestibulaire en dehors du couloir osseux, l’aménagement est réalisé par une greffe épithélio-conjonctive de substitution sans chercher un recouvrement complet.

Dans la situation clinique 12, 23 et 24 présentent des récessions de classe II de Miller avec une bande de tissu kératinisé apical. 23 et 24 sont en position vestibulaire. La thérapeutique réalisée est un lambeau déplacé coronairement avec conjonctif enfoui. Le résultat sur la 24 est satisfaisant mais sur la 23 le recouvrement est partiel et une récession a été créée sur 11 et 12. Cet échec peut s’expliquer par une position trop vestibulaire de 13 créant une concavité osseuse entre 12 et 13 mais également une tension trop importante sur le lambeau. Il est parfois difficile d’identifier un seul paramètre responsable d’un échec ou d’une complication. Cela est généralement la combinaison de plusieurs paramètres. Avant d’envisager toute réintervention ou correction chirurgicale, il est nécessaire d’attendre au minimum trois mois afin que les tissus cicatrisent totalement.


Caries et lésions cervicales (7)

De nombreuses récessions parodontales sont associées à des lésions cervicales d’usure (ou carieuses). En fonction de la sévérité de ces lésions (supérieures à 2 mm en hauteur et en profondeur), il est nécessaire de réaliser un composite afin d’éviter une perturbation de la cicatrisation avec un caillot ou un tissu conjonctif non stable.

En termes de recouvrement, les études ne montrent pas de différence entre les dents indemnes de carie et les dents cariées traitées.

Dans la situation clinique de la figure 13, des récessions parodontales multiples apparaissent dans le secteur postérieur gauche avec d’anciens composites au niveau de 34 et 35. Les dents présentent des lésions cervicales hautes (> 2 mm). Les composites n’ont pas été restaurés et la lésion sur 33 n’a pas été comblée. Un lambeau déplacé coronairement associé à un conjonctif est réalisé. On note le positionnement coronaire de 2 mm du lambeau par rapport à la jonction amélo-cémentaire. La tension labiale trop importante, l’irritation du lambeau par un composite inadapté (35) et la vestibuloposition des dents sont responsables de l’échec du recouvrement radiculaire dans ce secteur.

 

Objectifs de l’intervention

 

Après analyse complète de la situation clinique et des différents paramètres qui peuvent interférer sur les résultats cliniques il est nécessaire que le praticien se fixe un objectif de traitement. 

Le renforcement muco-gingival

Il peut se faire en apportant du tissu kératinisé et de la gencive attachée sur une zone dépourvue ou modifier un biotype parodontal fin en l’épaississant et le transformer en un biotype épais. Dans la situation 14 ou il n’y a pas de tissu kératinisé ni de gencive attachée sur le secteur antérieur mandibulaire avec déjà la présence de récessions et d’une alvéolyse horizontale (objectivée par la présence de trous noirs). La réalisation d’une greffe épithélio-conjonctive a permis de créer de la gencive attachée et de modifier le morphotype parodontal. (fig 14)

 Le recouvrement radiculaire

Il est parfois impossible d’obtenir un recouvrement complet des dénudations radiculaires et il est essentiel que le praticien explique et informe le patient sur les résultats parfois partiels au vu des patients mais qui sont le maximum des capacités biologiques atteignables. (fig 15)

 

Objectif mixte

On peut obtenir à la fois le recouvrement des dénudations radiculaire et la modification du biotype parodontal en une seule intervention. Dans la situation 16 on note une dénudation radiculaire avec un manque de gencive attachée associé à un frein iatrogène. Une greffe épithélio-conjonctive de recouvrement a permis de renforcer et recouvrir la 14. (fig 16)


 

Les paramètres à prendre en considération pendant l’intervention

 

Incisions et Vascularisation (9)

Des incisions dépendent la vascularisation de nos greffons et de nos lambeaux. Les designs des lambeaux ont évolué pour préserver au maximum la vascularisation des tissus. Les protocoles de tunelisation évitant de sectionner la vascularisation des papilles permettent d’améliorer nos résultats tout comme les designs des lambeaux de Zucchelli. Burkardt & Lang, en 2005, ont montré que la micro chirurgie permet aussi d’améliorer les résultats au niveau de la vascularisation des tissus et en gain de recouvrement (Fig. 17)

 

Traitement des surfaces radiculaires

Il y a aujourd’hui consensus sur la nécessité de traiter mécaniquement la surface radiculaire lors des thérapeutiques de recouvrement. En revanche concernant le traitement chimique des racines il n’y a pas eu d’étude montrant un réel bénéfice pour les résultats en termes de recouvrement. (Fig. 18)


Le positionnement des lambeaux et des greffons

Dans un souci de préservation de la vascularisation et d’éviter la nécrose des greffons il faut toujours laisser reposer au moins 2/3 de la surface d’un greffon sur une surface déjà vascularisée. Dans la situation clinique de la figure 19, la 31 présente une dénudation radiculaire avec absence de tissu kératinisé et un frein iatrogène sans alvéolyse horizontale. L’erreur dans cette situation a été de prélever un greffon pas assez haut et de le positionner de façon trop coronaire. Ainsi le greffon reposant en grande partie sur une surface avasculaire se nécrose et conduit à un échec du à l’opérateur. (Fig. 19)

Dans la situation clinique de la figure 20, la 13 présente une dénudation radiculaire. La dissection du lambeau n’a pas été suffisante pour la tunelisation et le greffon de conjonctif n’est pas assez enfoui et ne bénéficie pas de la vascularisation du lambeau.

La partie exposée du conjonctif se nécrose mais la partie enfouie permet de modifier le biotype parodontal. (Fig. 20)


Il est nécessaire d’obtenir en fin d’intervention des lambeaux stables et sans tension pour ne pas perturber la cicatrisation. Les sutures périostées jouent un rôle fondamental dans la stabilisation de nos lambeaux (Fig. 21)

 

Conclusions

 

Pour éviter ou minimiser les échecs et complications il est obligatoire de prendre le temps d’analyser les situations cliniques, de choisir le bon objectif thérapeutique et mettre en place le protocole chirurgical adapté en préparant les patients en amont (thérapeutiques étiologique et arrêt du tabac).

La compréhension des échecs peut être parfois difficile car ils sont souvent pluri factoriels et l’importance de la photographie pré, per et post opératoire est indispensable.

 

Bibliographie  :

1/ Wound Healing and Infection in Surgery: The Pathophysiological Impact of Smoking, Smoking Cessation, and Nicotine Replacement Therapy: A Systematic Review Sorensen, Lars Tue MD , Ann Surg. 2012 Jun;255(6):1069-79

2/ Wennstrom JL, Zucchelli G Increased gingival dimensions. A significant factor for successful outcome of root coverage procedures? A 2-year prospective clinical study. J Clin Periodontol 1996: 23: 770–777.

3/ Miller, P D, Jr. “A Classification of Marginal Tissue Recession.” The International Journal of Periodontics & Restorative Dentistry 5, no. 2 (1985): 8–13.

4/ TONETTI et al. Clinical efficacy of periodontal plastic surgery procedures: Consensus Report of Group 2 of the 10th European Workshop on Periodontology J Clin Periodontol 2014; 41 (Suppl. 15): S36–S43

5/ ZWEERS et al. Characteristics of periodontal biotype, its dimensions, associations and prevalence: a systematic review. J Clin Periodontol. 2014 Oct;41(10):958-71.

6/ ZWEERS et al. Characteristics of periodontal biotype, its dimensions, associations and prevalence: a systematic review. J Clin Periodontol. 2014 Oct;41(10):958-71.

8/ Goldstein M, Nasatzky E, Goultschin J, Boyan BD, Schwartz Z Coverage of previously carious roots is as predictable a procedure as coverage of intact roots. J Periodontol 2002: 73: 1419–1426.

9/ Burkhardt & Lang Coverage of localized gingival recessions: comparison of micro- and macrosurgical techniques. J Clin Periodontol 2005; 32: 287–293.