Prise en charge raisonnée d’un échec implantaire

Dossier spécial Focus sur le DUCICP - AO News #31 Décembre 2019

Introduction

Selon Albrektsson et Coll. en 2014, plus de 12 millions d’implants sont posés annuellement à travers le monde avec des taux de survie implantaire, dans les situations de prothèse unitaire, d’environ 95% à 10 ans (14). Ce volume important d’implants posés s’accompagne malheureusement de complications dont les formes varient en fonction de la chronologie du traitement (.22).

Parmi ces complications, qu’elles soient biologiques ou techniques (14,21,22, 21,22), certaines ont pour origine un mauvais positionnement implantaire dans le volume osseux disponible. Une malposition implantaire se traduit souvent, après ostéointégration, par des protocoles de traitement prothétiques très complexes voire impossibles, indiquant parfois la dépose de l’implant.

Le cas clinique présenté ici illustre la gestion d’un implant non exploitable sur le plan prothétique qui doit être déposé. Le protocole d’explantation et le traitement implanto-prothétique mis en œuvre sont présentés.

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Prise en charge raisonnée d'un échec implantaire AON#31 Déc 2019
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Présentation du cas clinique

Mr DM. a été adressé en octobre 2017 à l’hôpital Rothschild, dans la vacation du Diplôme Universitaire Clinique d’Implantologie Chirurgicale et Prothétique (Paris VII) pour terminer un traitement implanto prothétique initié dans un centre de soins low cost. Agé de 35 ans, il est ingénieur en communication. Il est en bonne santé générale et fume environ 4 cigarettes par jour depuis une dizaine d’années. Il a reçu un traitement orthodontique à l’adolescence.

En 2013, le patient a perdu ses dents lactéales 85 et 75 qui persistaient sur l’arcade du fait d’une agénésie bilatérale des 2èmes prémolaires mandibulaires. Elles ont été remplacées par deux implants dans un centre Dentexia. Une couronne unitaire d’usage a été scellée en situation de 36 mais mais pas en 46. Le traitement n’a pas pu être terminé du fait des complications rencontrées lors du traitement prothétique puis de la fermeture du centre en question (.14, 17, 19).

Examen clinique

A l’examen exobuccal, le visage est ovalaire, symétrique et son profil est convexe. Les trois étages de la face sont équitablement répartis. Son sourire est large et découvre jusqu’aux molaires. Sa ligne du sourire est asymétrique; elle est haute du côté droit correspondant à la classe 2 de Liebart (2) et moyenne du côté gauche laissant apparaître les papilles inter dentaires (Fig. 1).

Des facettes d’usures modérées sont visibles sur les pointes cuspidiennes ainsi que sur les bords incisifs de toutes les dents maxillaires et mandibulaires. Le patient ne rapporte pas de grincement des dents en particulier mais en raison de ces usures, une gouttière de relaxation devra être prévue pour éviter leur progression.

En vue occlusale, on note la présence de multiples infiltrations au niveau des sillons occlusaux et des lésions carieuses sur 34, 47 et 48.

Les 1ères prémolaires maxillaires et les 18-28 ont été extraites dans le cadre d’un traitement orthodontique à l’adolescence (Fig.. 3a et b).

Une couronne céramo-métallique supra implantaire présentant une largeur vestibulo linguale réduite est visible en situation de 36. Le volume horizontal des tissus de soutien de l’implant sous-jacent s’avère très limité.

En situation de 46, un pilier de cicatrisation a été placé sur un implant dont l’émergence est distalée dans un espace prothétique d’une longueur mésio distale de 10,5 mm.

A ce niveau, l’espace vestibulo-lingual se rétréci en direction mésiale décrivant une concavité vestibulaire signe d’une perte osseuse horizontale (5,6). Fig. 4 a et b)

Le biotype gingival est moyennement épais et festonné. Au niveau des 45 et 47, des récessions gingivales sont visibles, probablement liées à un bossage traumatique aggravant les séquelles des incisions de décharges pratiquées lors des interventions chirurgicales antérieures (15). Fig. 5 a et b)


L’examen parodontal révèle des profondeurs de sondage inférieures à 4mm au maxillaire. A la mandibule, des pertes d’attache de 5mm en regard de 47, 45, 37 et 35 sont mesurées (Fig. 6). Il est retrouvé également une atteinte de la furcation au niveau de 47 correspondant à une classe 2 de Hamp (4) (sondage ≤ à 3mm).

En regard du site 46, la hauteur du tissu kératinisé est d’environ 5mm. La concavité vestibulaire présente à ce niveau devra être comblée par un aménagement muco-gingival afin de favoriser une meilleure intégration biologique et esthétique de la future couronne implanto portée (16).


Du fait de la perte d’attache mesurée au niveau du site le plus atteint (5mm), de la consommation de tabac et du besoin en réhabilitation implantaire, le diagnostic parodontal s’oriente vers une parodontite de stade 4 grade A ou faible selon la nouvelle classification parodontale (7).

La radiographie panoramique réalisée en décembre 2018 montre deux implants en site 36 et 46 décalés distalement dans le sens méso distal. L’implant 46 semble émerger sous la zone proximale de contact mésial de la couronne située en 47 (Fig. 7)

En site de 46, les coupes de l’examen cone beam montrent deux corticales vestibulaires et linguales bien distinctes. Les dimensions du site osseux mesurées sur ces coupes sont de 5,25mm par 12,5mm. L’étroitesse et la forme de la crête sont ici typiques d’une agénésie dentaire (5,6). L’implant posé en site de 46 présente un diamètre de 3,75mm et hauteur de 10mm. (Fig. 8)


Décision thérapeutique

Le motif de consultation du patient est lié à la réhabilitation prothétique sur l’implant posé en site de 46.

Après examen clinique et radiographique, la décision d’explantation est prise en raison de la position très distalée de l’implant, des difficultés techniques majeures de réalisation du traitement prothétique ainsi que des risques biologiques et mécaniques inhérents à cette situation défavorable (Fig. 9).

Pour prendre en compte la demande du patient de voir terminé son traitement le plus rapidement possible pour des raisons professionnelles, une implantation immédiate après explantation est envisagée. Une prothèse provisoire sera réalisée après l’implantation.

 

Plan de traitement implanto prothétique

 

Planification implantaire

Après réalisation d’un modèle d’étude de la situation clinique, celui-ci est numérisé au laboratoire de prothèse à l’aide d’un scanner de table. Le fichier stl obtenu est superposé numériquement (étape de matching) avec le fichier radiologique CBCT enregistré sous un format Dicom.

Une planification implantaire est ensuite réalisée en utilisant le logiciel DTX Studio design (NoobellBiocare™) (Fig. 10).

Un wax up virtuel est effectué en site 46 puis plusieurs types d’implants sont virtuellement positionnés successivement dans le volume osseux sous-jacent au projet prothétique modélisé. Leurs positionnements dans les 3 plans de l’espace sont contrôlés. Il est retenu un implant Nobel Replace Conical Connection RP de diamètre 4.3mm et de longueur 10mm (NobelBiocare™) notamment pour optimiser le profil d’émergence en secteur molaire (Fig. 11).

A la suite de cette planification, un guide premier forage à appuis dentaires est commandé afin d’optimiser la position de l’implant lors de la phase chirurgicale qui suit l’explantation (Fig. 12).


Étapes chirurgicales explantation / implantation (8-22)

La chirurgie débute par l’utilisation d’un instrument “tourne à gauche” (Zimmer Dental™) au niveau de l’implant à déposer. Après quelques manœuvres de vissage/dévissage, l’instrument se fracture, laissant son extrémité rompue coincée dans l’implant.

En respectant le principe d’une dépose mini invasive, un élévateur est utilisé en complément d’un davier avec un mouvement proche de celui d’une avulsion dentaire. Une tréphine travaillant sous irrigation abondante complète le matériel utilisé dans la procédure afin de libérer les premiers millimètres de l’implant. Afin d’être le moins délabrant possible et au vu de la proximité osseuse avec la 47, l’ostéotomie est terminée avec un insert de piézochirurgie courbé à 90° (Mectron™). A l’issue de ce protocole long et minutieux, l’implant est finalement déposé à l’aide d’une paire de précelles. (Fig. 13)

Après forage initial réalisé au travers du guide pilote, la séquence de forage est effectuée sans difficulté sous irrigation abondante afin de préserver l’os. Trois forets de diamètre croissant sont nécessaires pour la préparation du lit implantaire avant la mise en place de l’implant.

Le défaut osseux distal à l’implant inséré dans la position planifiée, est comblé à l’aide d’1g d’os xénogénique d’origine bovine (Bio-Oss®, Geistlich). Une régénération osseuse guidée (ROG) de renfort en vestibulaire complète le comblement péri implantaire.

La partie coronaire du lambeau vestibulaire est désépithélialisée puis enroulée vers l’intérieur afin d’épaissir le tissu kératinisé du site opéré. Enfin, des sutures 5/0 non résorbables (Ethilon™) permettent de fermer hermétiquement et sans tension les berges du lambeau autour d’un pilier de cicatrisation de 5☓5mm.

 

Etape prothétique

A 8 semaines post opératoire, une couronne provisoire transvissée est réalisée afin de guider la maturation gingivale encore incomplète notamment en distal (.16).

Pour cela, il est vissé un transfert optique (scan body ou corps de scannage) sur l’implant après avoir déposé le pilier de cicatrisation. Une empreinte optique de situation implantaire est effectuée à l’aide d’une caméra CEREC Omnicam (Dentsply Sirona) Les données numériques sont transmises au laboratoire qui modélise puis usine la dent provisoire en PMMA. Cette provisoire est ensuite collée sur un pilier transvissé. Puis, la prothèse est transvissée et torquée à un couple de serrage de 30 N.cm. L’obturation du puits de vissage est effectuée à l’aide de résine composite (Ceram.x Spectra™ ST flow, Dentsply Sirona) avant de contrôler les points de contacts occlusaux en intercuspidie et lors des mouvements de latéralités ainsi que de protrusion. La maturation gingivale est surveillée dans l'attente de la réalisation de la prothèse d’usage céramique transvissée.

 

Discussion (8-22)

La réintervention sur un site d’échec implantaire est une situation complexe à gérer du fait du grand nombre de paramètres cliniques à prendre en compte, et notamment l’imprévisibilité du délabrement osseux entrainé par l’explantation.

Actuellement il n’existe pas de consensus concernant un protocole de dépose des implants ostéointégrés. La seule recommandation évidente est de privilégier l’utilisation d’une méthode minimalement invasive.

Néanmoins, l’équipe de Stajčić en 2016, a proposé un arbre décisionnel afin de choisir une technique appropriée de dépose d’un implant ostéointégré en fonction de la proximité de l’implant par rapport à la dent ou l’implant adjacent.

La dépose de l’implant étant imprévisible quant au volume osseux résiduel, plusieurs options thérapeutiques sont possibles pour envisager la ré implantation sur le site opéré.

Dans la situation la plus favorable où le délabrement s’avère très limité, l’implant pourra être posé immédiatement avec un comblement du défaut osseux résultant de la dépose implantaire précédente. Une régénération osseuse guidée (ROG) de renfort sera réalisée si nécessaire.

Dans la situation où les parois vestibulaire et linguale sont détruites par l’ostéotomie, la pose d’un nouvel implant devra être différée. Une ROG sera nécessaire afin de reconstruire le volume osseux perdu après dépose de l’implant. En fonction de la situation clinique, la mise en place d’un nouvel implant sera associée secondairement à une ROG de renfort en vestibulaire ainsi qu’à une greffe gingivale.

 

Conclusion (8-22)

Dans une situation oùu la situation implantaire complique ou interdit une réalisation prothétique sans risque quant à sa pérennité, l’explantation représente souvent la meilleure solution.

Malheureusement, la prédictibilité du volume osseux résiduel obtenu après cette dépose est impossible. La décision d’implanter immédiatement après la dépose d’un implant ou de différer l’intervention est complexe et dépend de plusieurs facteurs. En complément des caractéristiques cliniques spécifiques du cas à traiter en termes de volume osseux initial, de risques anatomiques, d’état inflammatoire ou infectieux du site, le plateau technique utilisé permettant une dépose minimalement invasive et l’expertise du praticien dans la gestion du défaut osseux résultant de la dépose implantaire sont autant de facteurs essentiels à prendre en compte dans cette décision.

 

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