Critères constitutionnels de la détermination de l’âge des migrants

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AO 50 - Juin 2022

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4. CRITERES DETERMINATION AGE MIGRANTS A
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Introduction

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 21 décembre 2018 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1242 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Adama S. portant sur l’article 388 du code civil.

Dans sa décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les deuxième et troisième alinéas de l’article 388 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance.

 

Les dispositions contestées

 

Le premier alinéa de l’article 388 du code civil fixe à dix-huit ans l’âge de la majorité.

Les deux alinéas suivants encadrent le recours à des examens radiologiques osseux pour s’assurer de la minorité d’un individu et déterminent la valeur probatoire de ces examens. Le dernier alinéa interdit l’évaluation de l’âge fondé sur le développement pubertaire des caractères sexuels. Ces dernières dispositions ont vocation à s’appliquer dans tous les cas où il importe de savoir si une personne est majeure ou mineure. Par principe, ces dispositions ne sont pas utiles lorsqu’il est possible de déterminer l’âge d’une personne en prenant connaissance de son état civil.

En pratique, ces dispositions s’appliquent essentiellement pour déterminer l’âge des mineurs isolés étrangers (MIE), désormais appelés mineurs non accompagnés (MNA), c’est-à-dire les ressortissants étrangers de moins de 18 ans qui se trouvent séparés de leurs représentants légaux sur le territoire français. La détermination de leur âge est nécessaire, principalement, pour l’application des règles relatives au séjour des étrangers et, corrélativement, pour la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) en cas de la minorité. Elle est également indispensable, dans l'hypothèse de poursuite pénale, pour juger de l’applicabilité des règles de procédure pénale spécifiques aux mineurs. Depuis la loi du 14 mars 2016, le législateur a précisément encadré le recours aux examens osseux afin de déterminer l’âge d’une personne. Toutefois, ces examens demeurent largement contestés.

 

Les enjeux liés à la détermination de la minorité

 

S’ils remplissent les conditions de droit commun, les mineurs peuvent bénéficier d’une prise en charge par l’ASE, chargée de mettre en œuvre la protection de l’enfance. L’admission d’un mineur à l’ASE est décidée au terme d’une procédure comportant une phase administrative et une phase judiciaire. Cette évaluation, qui peut être réalisée par les services du conseil départemental ou, par délégation, par une structure associative, s’appuie essentiellement sur des entretiens conduits par des professionnels disposant d’une formation ou d’une expérience définie par un arrêté interministériel, et avec le concours de l’autorité judiciaire lorsque des examens radiologiques osseux apparaissent nécessaires à la détermination de son âge.

Sur la base de cet avis motivé et du rapport d’évaluation, le président du Conseil départemental apprécie la nécessité d’une saisie de l’autorité judiciaire, soit aux fins d’assistance éducative, soit afin de solliciter la réalisation d’investigations complémentaires dans le respect des conditions posées à l’article 388 du code civil. C’est dans ce cadre que peut être demandée la réalisation d’examens radiologiques osseux.

Les dispositions encadrant le recours aux examens radiologiques osseux pour évaluer l’âge

 

Elles subordonnent le recours aux tests osseux à la réunion de quatre conditions.

Les deux premières donnent aux tests osseux un caractère subsidiaire en prévoyant qu’il ne peut y être recouru que lorsque l’intéressé est dépourvu de documents d’identité valables et que l’âge qu’il allègue n’est pas vraisemblable. La Cour de cassation a jugé que des examens radiologiques osseux peuvent être ordonnés en présence de documents d’identité contenant des erreurs ou de nombreuses contradictions, dans la mesure où l’âge allégué n’était pas vraisemblable.

Les deux autres conditions correspondent à des autorisations. D’une part, seule l’autorité judiciaire peut autoriser le recours à de tels tests. Ces derniers peuvent être ordonnés par le juge des enfants, mais également par le procureur de la République pendant la phase administrative d’examen de la situation d’un mineur, d’autre part l’intéressé doit y consentir.

Par ailleurs, l’article 388 du code civil limite la portée conférée aux examens osseux puisque son troisième alinéa exige que leurs conclusions précisent la marge d’erreur et, surtout, que ceux-ci ne peuvent être retenus à eux seuls comme preuve de la minorité ou non de l’intéressé, auquel le doute, à cet égard, doit profiter.

 

Les techniques d’examen osseux

 

Trois types d’examens semblent principalement utilisés : la radiographie du poignet et de la main, la radiographie de la clavicule et la radiographie dentaire.

Ce recours à des examens osseux aux fins de détermination de l’âge demeure très controversé.

De nombreuses autorités ou associations soulignent que la marge d’erreur de ces examens est telle qu’ils ne permettent pas d’aboutir à des résultats probants, en particulier pour des mineurs de plus de seize ans. L’ensemble des avis et recommandations s’accorde sur le fait que les tests osseux présentent, autour de l’âge de 18 ans, une marge d’erreur de 18 à 24 mois.

 

L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

Le requérant conteste la constitutionnalité de l’article 388 du code civil au regard de plusieurs droits et libertés.

Selon lui, ces dispositions méconnaissent tout d’abord l’exigence de protection de l’intérêt de l’enfant fondée sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, dès lors que le manque de fiabilité des examens radiologiques osseux conduirait à juger comme majeurs des mineurs étrangers isolés et à les exclure en conséquence du bénéfice des dispositions législatives destinées à les protéger. Il soutient également que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit à la protection de la santé en ce qu’elles permettent le recours à une expertise médicale qui comporte des risques pour la santé des mineurs, sans fin diagnostique ou thérapeutique et sans le consentement réel des intéressés. Il considère, pour les mêmes motifs, que le recours aux examens radiologiques osseux autorisé par l’article 388 du code civil méconnaît le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Ces dispositions sont également, selon lui, contraires au droit au respect de la vie privée dans la mesure où elles aboutissent à la divulgation de données médicales concernant les mineurs isolés, sans que ceux-ci y aient consenti. Enfin, elles sont entachées d’incompétence négative dans des conditions portant atteinte au principe d’égalité devant la loi en tant qu’elles permettent le recours à des examens osseux en l’absence de documents d’identité valables sans préciser cette notion ni renvoyer à d’autres dispositions législatives qui le feraient.

Au regard de ces griefs, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait uniquement sur les deuxième et troisième alinéas de l’article 388 du code civil (§ 3).

 

De nombreux intervenants ont été admis. Ceux-ci soulevaient des griefs similaires à ceux du requérant. Selon certains, les dispositions contestées méconnaissaient également le droit au respect de l’intégrité physique et le principe de précaution.

 

Sur le grief tiré de la méconnaissance de l’exigence de protection de l’intérêt de l’enfant

Le Conseil constitutionnel, selon une formulation inédite, réaffirme clairement l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt de l’enfant. Après avoir rappelé les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, il indique qu’Il en résulte une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (§ 5 et 6).

Ainsi, pour la première fois, le Conseil constitutionnel utilise l’expression d’intérêt supérieur de l’enfant, reprenant ainsi une expression usuellement utilisée en droit international.

Le Conseil constitutionnel indique ensuite qu’il est établi que les résultats des examens osseux peuvent comporter une marge d’erreur significative (§ 7) tout en relevant que seule l’autorité judiciaire peut décider de recourir à un tel examen (§ 8), et en rappelant le caractère subsidiaire de cet examen.

Le Conseil constitutionnel écarte, en conséquence, le grief tiré de la méconnaissance de l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (§ 13).

 

Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à la protection de la santé

Le contrôle du Conseil sur l’appréciation faite par le législateur en matière d’évaluation des risques médicaux ne peut qu’être restreint, sauf à substituer sa propre appréciation à celle du législateur dans un domaine particulièrement technique et sensible. Or, s’il est acquis que les bénéfices attendus de l’examen radiologique osseux ne sont pas d’ordre thérapeutique, ce qui n’est pas en soi contraire à la protection de la santé, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’éléments lui permettant de considérer qu’en l’état des connaissances, la réalisation de ce seul examen, de manière isolée et sur des personnes d’un âge suffisamment avance pour que leur minorité puisse être jugée incertaine, présente des risques pour la santé.

Au regard de ces éléments, le Conseil écarte donc le grief tiré de la méconnaissance du droit à la protection de la santé (§ 16).

 

Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité humaine et de l’inviolabilité du corps humain

Le Conseil constitutionnel relève d'abord que l’objectif poursuivi par les examens osseux ne peut en soi être regardeé comme contraire au principe de dignité de la personne humaine, ces examens visant uniquement à déterminer l’âge d’une personne (§ 18).

Il relève ensuite que ces examens ne peuvent être réalisés sans l’accord de la personne (même §). Enfin, il fait valoir que ces examens n’impliquent aucune intervention corporelle interne et ne comportent aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des personnes (même §).

Après avoir écarté les autres griefs, le Conseil constitutionnel juge ainsi conformes à la Constitution les deuxième et troisième alinéas de l’article 388 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.

Outre les garanties citées plus haut, la décision du Conseil rappelle ainsi qu'il appartient à l'autorité judiciaire d'apprécier la minorité ou la majorité de la personne se disant MNA en prenant en compte les autres éléments ayant pu être recueillis, tels que l'évaluation sociale ou les entretiens réalisés par les services de la protection de l'enfance. De même, le Conseil rappelle que la majorité d'une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux et que si les conclusions des examens radiologiques sont en contradiction avec les autres éléments d'appréciation susvisés et que le doute persiste au vu de l'ensemble des éléments recueillis, ce doute doit profiter à la qualité de mineur de l'intéressé.

Si le Conseil constitutionnel valide ainsi le principe des examens radiologiques osseux, il entoure néanmoins sa décision d'un ensemble de rappels et de considérants qui resonnent comme autant de garde-fous vis-à-vis de possibles dérives et pourraient étayer d'éventuels recours. Le - long - titre de son communique est d'ailleurs très explicite, puisqu'il indique que le Conseil constitutionnel consacre une exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et rappelle les garanties applicables à un examen radiologique osseux pour déterminer l’âge d'une personne.

 

Conclusion

 

Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 2018-768 du 21 mars 2019, a déclaré conformes à la Constitution les deuxième et troisième alinéas de l’article 388 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance.

Il a donc considéré que les griefs soulevés vis à vis de l'article 388 du CC étaient infondés et donc que les critères constitutionnels de la détermination de l'âge des jeunes migrants étaient respectés dans toutes leurs dispositions, à savoir :

- l'exigence de protection de l'intérêt de l'enfant fondée sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;

- l'absence d'atteinte au droit à la protection de la santé ;

- le respect du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ;

- le respect de la vie privée malgré la divulgation de données médicales ;

- le principe d'égalité devant la loi ;

- le droit au respect de l'intégrité physique ;

- le principe de précaution.

Le Conseil accompagne toutefois sa décision d'un ensemble de considérants et de précisions qui en encadrent sérieusement la pratique.

 

Des garanties juridiques solides...

Pour justifier sa décision, le Conseil constitutionnel considère en effet que seule l'autorité judiciaire peut décider de recourir à un tel examen et que celui-ci ne peut être ordonné que si la personne en cause n'a pas de documents d'identité valables et si l'âge qu'elle allègue n'est pas vraisemblable. Il appartient à l'autorité judiciaire de s'assurer du respect du caractère subsidiaire de cet examen.

Autre garantie prise en compte par le Conseil pour justifier sa validation des examens radiologiques osseux : l'examen ne peut intervenir qu'après que le consentement éclairé de l'intéressé a été recueilli, dans une langue qu'il comprend. Le législateur a également pris en compte l'existence d'une marge d'erreur, reconnue par tous les professionnels de santé, sur les résultats de cet examen.

Enfin, le Conseil écarte les arguments - il est vrai assez peu convaincants - selon lesquels la pratique de ces examens contreviendrait au droit au respect de la vie privée, au principe du respect de la dignité de la personne humaine et à l'inviolabilité du corps humain, ou encore mettrait en danger la santé des personnes se disant MNA.

 

... et des rappels sur la pratique

Si le Conseil constitutionnel valide ainsi le principe des examens radiologiques osseux, il entoure néanmoins sa décision d'un ensemble de rappels et de considérants qui résonnent comme autant de garde-fous vis-à-vis de possibles dérives et pourraient étayer d'éventuels recours. Le - long - titre de son communiqué est d'ailleurs très explicite, puisqu'il indique que le Conseil constitutionnel consacre une exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant et rappelle les garanties applicables à un examen radiologique osseux pour déterminer l'âge d'une personne.

Outre les garanties citées plus haut, la décision du Conseil rappelle ainsi qu'il appartient à l'autorité judiciaire d'apprécier la minorité ou la majorité de la personne se disant MNA en prenant en compte les autres éléments ayant pu être recueillis, tels que l'évaluation sociale ou les entretiens réalisés par les services de la protection de l'enfance. De même, le Conseil rappelle que la majorité d'une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux et que si les conclusions des examens radiologiques sont en contradiction avec les autres éléments d'appréciation susvisés et que le doute persiste au vu de l'ensemble des éléments recueillis, ce doute doit profiter à la qualité de mineur de l'intéressé.

 

Au tour du Conseil d'État...

Dernier rappel, qui s'adresse en particulier très directement aux départements : Il appartient aux autorités administratives et judiciaires compétentes de donner leur plein effet aux garanties précitées. Une allusion feutrée à l'un des principaux arguments invoqués par les requérants, selon lesquels les garanties juridiques apportées par le législateur seraient en l'espèce purement formelles, les intéressés n'ayant pas la possibilité de refuser l'examen et certains départements ne s'embarrassant pas de la marge d'erreur de ce dernier ou de la prise en compte d'éléments complémentaires pour écarter la minorité d'une personne se disant MNA.

Le débat autour des examens radiologiques osseux n'est toutefois pas clos. Le recours des associations contre le décret du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d'évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes, est en effet toujours pendant devant le Conseil d'Etat.

Bibliographie sommaire

Parinet, Pauline, La constitutionnalité des tests osseux : pas de printemps pour les mineurs non accompagnés ! Recueil Dalloz, 11 avril 2019, n° 13, p. 742-746

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Catto, Marie-Xavière, L'intérêt supérieur de l'enfant, exigence constitutionnelle opératoire ? La Gazette du Palais, 21 mai 2019, n° 19, p. 26- 28

Bonfils, Philippe, Examen osseux et consécration d'une dimension constitutionnelle de l'intérêt de l'enfant, Droit de la famille, juin 2019, n° 6, p. 34-35

Caire, Anne-Blandine, L'examen radiologique osseux de l'article 388 du code civil, un simple indice dans la détermination de l'âge, Revue de droit sanitaire et social, mai-juin 2019, n° 3, p. 453- 462

Escach- Dubourg, Thomas, Les examens osseux des jeunes étrangers isolés, Actualité juridique.

Droit administratif, 15 juillet 2019, n° 25, p. 1448- 1454

de Corson, Priscillia, Examens radiologiques osseux : quand le Conseil constitutionnel faire rimer absence de fiabilité avec conformité, Lettre Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 1er avril 2019, n°avril 2019, p. 1-7