Du projet esthétique au collage : les facettes démystifiées

Jean-François Lasserre - Responsable scientifique : Mathieu Contrepois

Dossier ADF 2022 : morceaux choisis par la team AONews – AO News #56 – Février 2023


Dans une atmosphère particulièrement chaleureuse, Jean François Lasserre et Mathieu Contrepois ont nous exposé chronologiquement les étapes clés du traitement par facettes.

 

Réaliser un projet esthétique et le transférer en bouche pour validation avant de réaliser des préparations

 Pour réaliser le projet esthétique, deux options existent : soit par modelage direct en bouche, soit par réalisation d’un wax up au laboratoire. Des clés sont réalisées ensuite. (Fig.1) La technique directe, préférée par J.F. Lasserre, consiste à utiliser du composite (GC) étiré au pinceau artistique en nylon. Il rappelle qu’il ne faut surtout pas utiliser d’adhésif, mais du liquide à modeler Bis GMA / TEGDma afin de lier les charges composites. Il explique qu’il vient modeler les lignes de transitions au pinceau puis réalise deux clés en silicone : une clé simple pour le contrôle de l’épaisseur des préparations et une clé festonnée pour la réalisation des provisoires. D’ailleurs pour ces clés, il partage un conseil technique : il recommande de ne pas prendre simplement un silicone extra dur, mais un silicone par condensation encore plus rigide de type Zetalabor (Zhermac).

Fig 1

L’autre technique, dite de masque indirect et préférée par M. Contrepois, fait appel au prothésiste. Le masque est d’abord élaboré numériquement via Digital Smile Design (DSD). Cela permet de mener l’étude esthétique du sourire et de réaliser le projet esthétique numériquement. Cette préfiguration virtuelle aide à anticiper les plasties gingivales et dentaires nécessaires, à valider l’alignement esthétique et à préfigurer le résultat final. Puis le DSD est adressé au laboratoire pour que ce dernier réalise un wax up et trois clés : une clé de mock up pour transférer le projet en bouche et deux clés de réduction permettant de valider les espaces incisal et vestibulaire. Enfin, une fois les coronoplasties réalisées, pour se conformer au DSD transmis au laboratoire, le mock up est réalisé en résine bisacryl au fauteuil. Cela permet au patient d’avoir une vision immédiate de son nouveau sourire. (Fig. 1)

 

Préparer les dents en respectant l’émail et en contrôlant les axes d’insertion des futures facettes

 

Bien que le collage à la dentine soit bon, l’hydrolyse de la couche hybride conduit à une rupture après 5 ans environ, nous met en garde J.F. Lasserre. Le vieillissement de l’adhésion à l’émail, quant à lui, est très bon. Un des enjeux majeurs des préparations réside donc dans la conservation du maximum d’émail. Mais l’épaisseur du tissu amélaire est de 0,6mm ! Il explique qu’il faudrait idéalement préparer l’émail sans anesthésie et sans spray pour mieux contrôler la préparation et conserver 95% de tissu. Quant au côté lingual, où l’épaisseur d’émail est plus fine, la préparation à préférer au retour palatin est le butt-margin, nous recommande l’intervenant.

La préparation de dents se réalise sur le mock-up positionné en bouche. Mais pour ce faire, les deux intervenants ont chacun leur technique de prédilection. M. Contrepois utilise en effet des fraises cannelées (Fig. 2). Il rappelle d’ailleurs que dans la mesure où l’émail cervical est très fin, si la dent est courte, il faut faire deux rainures avec la fraise cannelée et trois rainures si la dent à préparer est plus longue.

Le Dr Lasserre, quant à lui, préfère de loin utiliser des fraises de petit diamètre, puis des congés très fins, et enfin des ultrasons pour calibrer l’enlèvement qui sera contrôlé dans les sens vertical et horizontal par la double clé de silicone (Fig. 3).

Au sujet de l’instrumentation, il a développé un kit minimal invasive (Komet). On y trouve une fraise congé 0.7 avec une tige très fine pour aller dans les embrasures. De plus, il recommande de marquer les dents préparées en proximal d’une petite trace (petit rainurage de 0,3) afin d’ indiquer au prothésiste où arrêter la céramique précisément. Une autre fraise intéressante de ce kit est la micro flemme à tige longue pour enlever les becquets d’émail qui remontent au point de contact avec la dent voisine. Et pour finir les préparations, il recommande d’utiliser les ultrasons afin que les empreintes soient plus belles même si c’est invisible à l’œil nu (Fig. 4).

Il fait remarquer que des gingivoplasties et ostéoplasties sont souvent nécessaires lorsqu’on réalise des facettes

Fig 2

Fig 3

Fig 4


La préparation des dents sous-tend 3 points fondamentaux.

 

Le design périphérique

Contrairement aux préparations pour les couronnes classiques, les préparations pour facettes présentent des formes verticales et axiales compliquées par rapport aux points de contact. De plus, en palatin, il y a plusieurs possibilités que sont le butt-margin, le recouvrement léger, moyen ou total.

Deux types de finitions proximales existent selon que le point de contact se trouve préparé ou non. En effet, l’absence de préparation du point de contact conduit à retrouver la forme en hélice qui va rentrer dans l’embrasure cervicale, contourner le point de contact et arriver en mourant au bord ou rejoindre le butt-margin. Mais il faut s’enfoncer en proximal pour cacher le joint, notamment avec les facettes en disilicate de lithium qui laissent davantage voir le joint, que celles en feldspathiques, explique le Dr Lasserre. Lorsque le point de contact est préparé, une finition viendra alors réunir les niveaux de préparation palatin et vestibulaire, ce qui donnera une forme progressive et régulière sans angle vif remontant en proximal.

 

Les axes d’insertion

Les axes d’insertion sont multiples. Le champ d’insertion est donc choisi en fonction de la situation rencontrée nous explique-t-on.

Pour une facette simple, le champ d’insertion sera très large. Aussi, il ne permet pas d’être certain du positionnement correct de la facette au moment du collage, surtout lorsqu’une digue unitaire empêche de voir les dents voisines… Ainsi, J.F. Lasserre préconise de réaliser une forme hémisphérique de centrage au niveau de la jonction entre tiers moyen et tiers incisal. Cela permet un engrènement de la facette sur la dent et assure un positionnement précis au moment du collage. Cette insertion frontale est souvent utilisée, notamment pour des facettes feldspathiques dans le cas de no prep lorsqu’il y a un sertissage périphérique.

Dans les cas où le praticien cherche à fermer les trous noirs inesthétiques, l’objectif sera d’emmener de la céramique dans les embrasures quasiment jusqu’à l’angle palatin. Par conséquent, le praticien devra choisir un champ d’insertion par le haut.

En effet, en présence de trous noirs, les dents sont triangulaires, le diamètre cervical des dents est étroit et le diamètre au point de contact plus large. Si bien que l’insertion frontale nécessiterait de paralléliser, mais cela conduirait à enlever la moitié de l’émail. Or l’émail doit être conservé pour le collage ! Par conséquent il sera nécessaire de garder l’aspect triangulaire des dents et donc de choisir une insertion par le haut pour que la facette ferme les embrasures. Ces facettes sont de type dit 3 faces : elles rentrent dans les embrasures, elles vont jusqu’à l’angle palatin et ferment les trous noirs. Elles ne peuvent fonctionner qu’avec un butt margin. Un retour palatin créerait des contre dépouilles par rapport à l’axe d’insertion. Quand on fait le butt margin, (ou biseau ad vestibulum), cela donne au prothésiste l’axe d’insertion de la préparation.

Dans le cas d’une dent fracturée, ou abrasée, chez un bruxomane qui aurait perdu la moitié de la hauteur par exemple, la gencive n’a pas déshabité les zones proximales et il faut rallonger la dent en faisant un recouvrement. Dans ce cas, le champ d’insertion se fera par le bas.

Dans le cas d’une amélogénèse imparfaite qui nécessite d’éliminer l’émail pathologique, le point de contact sera préparé et on cherchera à avoir de la céramique en palatin et en vestibulaire. L’axe d’insertion sera donc coronoradiculaire. On choisira donc un champ d’insertion axial.

Fig 5

La prise d’empreinte après les préparations

Il est recommandé d’utiliser un fil imprégné de chlorure d’aluminium pour obtenir une déflexion de la gencive et que les limites de préparation soient bien visibles. De plus, quand les embrasures sont ouvertes, il faut remplir les embrasures en palatin avec de la digue liquide sans atteindre les limites en vestibulaire. Cela évite les déchirures de l’empreinte. (Fig. 5).

 

Gérer la phase de temporisation avec des provisoires esthétiques et fiables

Les provisoires peuvent être réalisées en bisacryl injecté dans une clé en silicone obtenue par isomoulage dupliquant le mock up comme le fait M. Contrepois. Mais pour des provisoires de plus longue durée, J.F. Lasserre recommande d’utiliser une résine Unifast retravaillée par cut back et stratifiée au composite après application d’un adhésif universel. Ces facettes provisoires sont alors scellées au CVI MAR additionné à 25% de la vaseline.

 

Choisir une céramique adaptée en fonction de la situation clinique

Le choix de la céramique est fonction de l’esthétique et de la résistance recherchées. Il faut donc faire les choix les mieux adaptés dans chaque situation. La zircone se colle au MDP mais ce collage est insuffisant d’après nos conférenciers. Le disilicate de lithium est le matériau qui se colle le mieux. Quant aux facettes feldspathiques, elles sont très belles mais très fragiles : elles se fissurent.

Dans un cas de dyschromies liées aux tétracyclines par exemple, la meilleure solution est de choisir la feldspathique, car il est possible de réaliser des bandes opaques, semi translucides et translucides, ce que ne permet pas le disilicate de lithium.

Autrement le disilicate de lithium, en pressé plutôt qu’en CFAO, est utilisé dans la majeure partie des cas.

(Fig. 6)

La couleur est principalement influencée par le support de la dent et par la céramique. Le film de colle est bien trop fin (Fig. 6). C’est pourquoi, le tips est qu’il faut indiquer au prothésiste la couleur de céramique avec teintier spécifique à l’Emax et lui envoyer une photographie du support.

 

Coller dans le respect des protocoles de collage et d’isolation indispensable pour la pérennité des facettes

Avant de coller, il faut réaliser un essai clinique des facettes sans pâte d’essai pour vérifier leur ajustage. Cette étape sera susceptible d’entrainer des corrections pour que l’ajustage soit trouvé. Puis, avant la déshydratation de la dent, il faudra observer la couleur pour la vérifier. On utilisera, pour faire tenir la facette à cette étape, une pâte d’essai qui remplit l’espace entre la facette et la dent. Une fois, les excès essuyés et soufflés, le patient se retrouve en mesure d’observer le résultat global. Le praticien peut, quant à lui, faire des photos pour transmettre au laboratoire les éventuels ajustements de teinte. Enfin la forme est vérifiée selon les grandes lignes de référence du visage et de manière plus précise par rapport aux lignes esthétiques du sourire, des dents adjacentes et des embrasures. Attention il est impossible de contrôler l’occlusion avant le collage car il y a un risque de fracture de la céramique, met en garde M. Contrepois.

Le collage nécessite une isolation du sang, de la salive, de la vapeur d’eau libérée à l’expiration. Il est possible de réaliser une digue unitaire avec une digue fine, un crampon unique et une ligature. Mais cela prive d’un champ visuel dégagé, permettant d’utiliser les autres dents comme repères. C’est pourquoi la digue sectorielle est à préférer. Elle est réalisée avec une feuille de digue plus épaisse stabilisée grâce à deux crampons postérieurs. Un crampon volant sera déplacé pour le collage de chaque facette. Cela offre une meilleure vue d’ensemble. Il est à noter que lors de l’étape collage, il est important d’une part de protéger les dents adjacentes avec du téflon. D’autre part, il est nécessaire de réessayer chaque facette avant de la coller pour vérifier que l’isolation ne gêne pas son bon positionnement.

Dans les cas où une contention palatine est présente (et si l’on veut éviter de la déposer), il faudra réaliser une digue fenestrée. Une clé palatine en silicone lourd sera utilisée ainsi que du silicone light et un cordonnet viendra isoler le sulcus. Idem, si la gencive est en cours de cicatrisation dans le cas d’ostéoplasties et de gingivoplasties. Il faudra utiliser une digue fenestrée et de l’espasyl qui sera éliminé avec un pinceau et du sérum physiologique.

Enfin, le collage des facettes doit respecter les fondamentaux. Le pré-traitement est nécessaire car les colles n’ont pas de potentiel adhésif. De l’acide fluorhydrique est déposé sur la facette pendant une durée variant selon la céramique choisie, puis le rinçage à l’eau est abondant. De l’acide othophosphorique est ensuite utilisé pour ôter les résidus blancs. Après un rinçage, puis séchage, le silane est appliqué pendant une minute et la facette est mise à l’abri de la poussière.

Après protection des dents adjacentes au téflon, les dents sont traitées par sablage, puis mordançage à l’acide orthophosphorique 15 sec sur émail. Il faut rincer, sécher avant d’appliquer l’adhésif qui sera séché et photopolymérisé.

Ensuite, il faudra charger la colle sur la facette pré-traitée avant de la positionner et de la maintenir afin d’éliminer les excès de colle. Puis vient la photopolymérisation.

 

Réaliser une finition du joint suite au collage avec une instrumentation adaptée pour ne pas abîmer la céramique.

Au niveau du joint, J.F. Lasserre conseille de passer une couche de glycérine, et de photopolymériser de nouveau. Ensuite une lame de bistouri 12 est utilisée pour gratter le joint de colle révélé à la lampe aux ultraviolets. Un joint poli miroir peut être obtenu avec des polissoires puis une pate diamantée. La gencive adorera venir au contact d’un joint bien poli.

(Fig. 7)

Enfin, l’occlusion est contrôlée en OIM avec du papier 40 micron sur dents sèches. On demande au patient de fermer d’un coup sec. Puis l’occlusion dynamique est vérifiée en propulsion et en latéralités. On demande au patient de mastiquer, ruminer, inciser. Et pour finir, le Dr Lasserre recommande d’utiliser un papier de 10 à 12 microns d’épaisseur qui glissera en OIM entre les dents antérieures. (Fig. 7)

Illustrations transmises par Mathieu Contrepois