Introduction
La parodontite est une maladie inflammatoire chronique multifactorielle associée à un biofilm dysbiotique et caractérisée par une destruction progressive du système d’attache (1). L’apparition de la maladie est due à une infection bactérienne causée principalement par une bactérie anaérobie Porphyromonas gingivalis (Pg). Auparavant, nous pensions que la flore bactérienne buccale était seulement capable de générer des maladies confinées à la sphère orale. Toutefois, de nombreuses études ont montré une corrélation entre la présence de pathogènes parodontaux et plusieurs pathologies générales, notamment par leur capacité à provoquer une inflammation systémique, caractérisée par l'induction de cytokines pro-inflammatoires, de chimiokines et une réponse immunitaire de l'hôte amplifiée. Une des associations bien documentée est celle des maladies cardiovasculaires, suggérant un risque plus élevé de bactériémie, à l’origine de la formation et de la progression de plaque d’athérome (2). Plus spécifiquement, des études ont soulevé l’hypothèse, que le microbiote buccal peut jouer un rôle dans l'apparition de la neuro inflammation, à l’origine des maladies neurodégénératives (3). Cette revue de la littérature se concentrera sur la corrélation entre pathogènes parodontaux et maladies neurodégénératives, suggérant une voie directe par le sang et l'invasion de la barrière hémato-encéphalique, ou indirect, par le biais de la réponse immunitaire.
Les principales maladies neurodégénératives
Les maladies neurodégénératives (MND) regroupent la maladie d'Alzheimer (MA), de Parkinson (MP) et la sclérose latérale amyotrophique (SLA). Ce sont des maladies chroniques progressives, qui touchent le système nerveux central. Elles sont la conséquence de la dégénérescence croissante et de la mort de cellules nerveuses, à l’origine de problèmes liés au mouvement (appelées ataxies) ou au fonctionnement mental (appelées démences). Elles sont invalidantes et aujourd’hui incurables.
Leur fréquence augmente de manière importante avec l’âge. On estime qu’il y a actuellement en France (4) :
Le nombre de personnes atteintes de maladies neurodégénératives continue d’évoluer, en raison du changement des caractéristiques démographiques vers une augmentation du vieillissement de la population et de l’absence de traitement curatif. Les projections de l’ONU et l’OMS prévoient que d'ici 2030, la population mondiale âgée de plus de 65 ans atteindra 1 milliard de personnes, soit 12 % de la population totale ; d'ici 2050, elle représentera 16,7 % (ou 1,6 milliard) de la population mondiale totale (5,6).
Ces maladies sont une source majeure de dépendance, d’invalidité et d’hospitalisation. la qualité de vie des personnes atteintes est fortement impactée ainsi que celle de leurs proches et de leurs aidants. A ce jour, les seuls traitements disponibles sont à visée symptomatique et d’efficacité variable.
Maladie d’Alzheimer
Selon le récent rapport mondial de l’OMS (2023), plus de 55 millions de personnes souffrent de démence, avec une incidence de 10 millions de nouveaux cas par an, ce qui en fait la septième cause de mortalité dans le monde. La maladie d’Alzheimer, représente la forme la plus courante, à l’origine de près de 70% des cas de démence (7).
La maladie d'Alzheimer (MA) est une maladie progressive, dont le facteur de risque prépondérant est l’âge (ce qui explique la prévalence plus importante chez les femmes, qui vivent plus longtemps). La prédisposition génétique ainsi que des influences environnementales et comportementales sont des facteurs associés. La MA est caractérisée par la dégénérescence des neurones, principalement ceux situés au niveau de l’hippocampe. Les changements physiopathologiques du cerveau qui l’initient, comprennent l’accumulation anormale d’une protéine appelée peptide bêta-amyloïde (peptide Aß) à l’extérieur des cellules nerveuses. Celle-ci conduit à la formation de « plaques amyloïdes », aussi appelées « plaques séniles » entre les neurones. On retrouve également une accumulation d’une protéine Tau anormalement phosphorylée sous forme d’agrégats, à l’intérieur des neurones, et responsable de la dégénérescence neurofibrillaire. Les maladies cardiovasculaires (HTA, Diabète, AVC...), l'inflammation et le stress oxydatif, ont également un impact dans la neurodégénérescence.
Il existe deux formes de MA.
Maladie de Parkinson
La maladie de Parkinson (MP) est la seconde maladie neurodégénérative la plus fréquente après la MA. La prévalence de la maladie au niveau mondial a presque doublé ces 25 dernières années, avec près de 8,5 millions de personnes atteintes en 2019.
La maladie de Parkinson est une maladie chronique, causée par la dégénérescence spécifique de neurones dopaminergiques au niveau cérébral. La dopamine est un neurotransmetteur impliqué dans le contrôle de fonctions motrices et cognitives.
Trois processus sont associés à cette dégénérescence neuronale :
Les neurones dopaminergiques de la région nigrostriatale du cerveau (substance noire), en charge de la coordination des mouvements, sont ceux qui dégénèrent préférentiellement et massivement. On retrouve également, des complications cognitives, et psychiatriques. Bien que les principales caractéristiques neuropathologiques soient connues, on sait peu de chose sur son étiologie, qui implique probablement une interaction complexe entre l’âge, les facteurs environnementaux (pesticides et certains métaux) et prédispositions génétiques.
Les patients présentent des symptômes dès que 50% à 70% des neurones dopaminergiques sont détruits. Les trois symptômes moteurs, qui ne sont pas forcément présents en même temps, sont : l’akinésie (difficulté à initier un mouvement), l’hypertonie (rigidité des membres) et les tremblements au repos. Il n’existe aucun traitement qui permet d’endiguer la progression de la maladie. La L-dopa (Levodopa), qui assurent un apport en dopamine visant à traiter les symptômes moteurs, est le traitement de référence (11,12)
Effets secondaires de ces maladies et impact sur la santé bucco-dentaire
Les maladies neurodégénératives se caractérisent par une perte progressive de la structure ou de la fonction des neurones, entrainant des dysfonctionnements cognitifs et moteurs. Ceci impact profondément divers aspects de la santé des patients, comme leur bien-être physique, mental et social. La progression de ces maladies peut interférer avec les mouvements volontaires comme le fait d’ouvrir la bouche, manger ou encore se brosser les dents. La capacité masticatoire est souvent diminuée chez les patients parkinsoniens en raison de l’akinésie des muscles masticateurs et laryngés, avec pour conséquence une limitation des mouvements mandibulaires et une rétention alimentaire (13). Des lésions érosives peuvent également apparaitre en présence de troubles de la déglutition, qui génèrent des reflux gastro-œsophagiens.
Certains médicaments permettent de soulager les symptômes et les comorbidités liées à ces maladies. Des médicaments dopaminergiques et des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont utilisés dans la maladie de Parkinson. Des inhibiteurs de la cholinestérase et un antagoniste du N-méthyl D aspartate (NMDA) (mémantine) sont utilisés pour ralentir la progression des symptômes cognitifs de la maladie d’Alzheimer. Les médicaments psychotropes sont quant à eux destinés à contrôler les symptômes comportementaux. Ces traitements permettent d’améliorer la qualité de vie des patients mais peuvent être responsables d’effets secondaires tels que la xérostomie, la sialorrhée, le bruxisme, l’altération du goût et la gingivite (14).
Des résultats contradictoires sont rapportés dans la revue systématique de Verhoeff et coll., (2023), concernant la fréquence et la méthode de brossage chez les parkinsoniens. Sur les 6 études incluses : 3 études cas-témoins montrent une fréquence de brossage plus faible chez ces patients, tandis qu’aucune différence statistiquement significative n’est constatée dans 3 autres études, avec une méthode et une fréquence au brossage pouvant être majorée par rapport au groupe témoin (brosse à dents électrique, fil dentaire et brossage bi-quotidien). Toutefois, compte tenu des symptômes moteurs et des effets secondaires de certains médicaments, les patients atteints de MND rencontrent des difficultés plus importantes pour maintenir une hygiène bucco-dentaire correct et en arrive parfois à la négliger, ce qui augmente le risque de développement de lésions carieuses coronaires et cervicales, d’apparition de maladies parodontales et in fine, de pertes dentaires (15).
La parodontite, une des maladies les plus répandues au monde (6e), est principalement déclenchée par une hygiène bucco-dentaire inadéquate (16). Des études ont été menées pour évaluer l’état parodontal chez les patients atteints de MND. Dans une étude transversale, Lyra et al., (2020), ont montré à l’aide d’un examen parodontal complet chez 28 patients parkinsoniens, que la prévalence de la parodontite est élevée (75%), dont la majorité, avec des formes sévères - Stade 3/4 (46,4%). Une moyenne de 12 dents absentes et une dent avec une mobilité importante est relevée. Les indices de plaque et de saignement sont respectivement de 37,0 % (± 29,4) et 19,3 % (± 21,1) (17).
Bakke et al., (2011) ont montré que 40% des édentements sont compensés par prothèse fixe ou amovible (contre 27% dans le groupe témoins). Les patients se plaignent toutefois davantage, de l’inconfort et d’un manque de stabilité et de rétention des prothèses amovibles. Ainsi, quatre rapports de cas se sont penchés sur le bénéfice d’une thérapeutique implantaire chez ces patients, pour des restaurations prothétiques fixes ou pour stabiliser une prothèse amovible. Les études ont montré une amélioration de la fonction, de la capacité masticatoire, du choix des aliments et de la qualité de vie (15).
Certaines caractéristiques peuvent expliquer l’augmentation de l’inflammation observée chez ces patients. Malgré une bonne fréquence de brossage et une visité régulière chez le dentiste, la majorité des patients ne peuvent effectuer de nettoyage interdentaire en raison des troubles cognitifs et moteurs. Plus les tremblements et l’hypertonie sont sévères et plus les indices de plaque et de saignement sont élevés, et la profondeur des poches parodontales majoré (4,15mm en moyenne contre 3,81mm dans la population générale). Des dents absentes également en plus grand nombre impactent la capacité à s’exprimer et entrainent des troubles digestifs. Enfin, Einarsdóttir et coll (2009) ont trouvé une quantité plus importante de streptocoques mutans dans le débit salivaire stimulé de patients parkinsoniens (7,4 × 10 5) (contre 5,8 × 10 5 dans le groupe témoin) ainsi qu’une présence plus répandue de Lactobacilles (7,0 × 10 4 contre 4,3 × 10 4) (18).
La capacité à maintenir une hygiène bucco-dentaire optimale, mais aussi la composition de la flore buccale, peuvent être altérées chez ces patients. Cela pourrait expliquer la prévalence plus élevée de lésion carieuses. C’est pourquoi, les brosses à dents électriques, les dispositifs d’irrigation buccale en interdentaire et l’utilisation de fluorures stanneux sont recommandés pour contourner les difficultés liées au brossage. De même, une prise en charge pluridisciplinaire est souhaitable pour proposer une thérapeutique globale (15,17,19).
Est-ce que les bactéries parodontopathogènes peuvent jouer un rôle dans l’apparition et la progression des maladies neurodégénératives ?
Cette dernière décennie, l’attention s’est portée sur le rôle clé de la neuroinflammation dans la pathogenèse du syndrome parkinsonien. Le stress oxydatif suscite également un grand intérêt via la voie des pentoses-phosphates (20).
La parodontite est une maladie inflammatoire chronique multifactorielle associée à un biofilm dysbiotique et caractérisée par une destruction progressive du système d’attache (1). Porphyromonas gingivalis (Pg), Aggregatibacter actinomycetemcommitans (Aa), Tannerella forsythia et Treponema denticola (complexe rouge) sont les pathogènes parodontaux les plus courants, tandis que Fusobacterium nucleatum est connu pour faire le lien entre les colonisateurs précoces et tardifs.
Plusieurs hypothèses ont tenté d’expliquer le chainon manquant du lien entre la maladie parodontale et Parkinson. Parmi elles, l’hyposialie, qui entraine une altération de la santé bucco-dentaire, ainsi que les réponses inflammatoires chroniques, notamment la libération d’interleukine -1 (IL-1), d'interleukine-6 (IL-6), de facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-α), toutes caractéristiques des maladies parodontales, qui pourraient être l'une des causes étiologiques de Parkinson (21).
Une étude rétrospective analysant les échantillons de sang et de salive de 50 patients atteints de Parkinson et 5 témoins sains, à la recherche de biomarqueurs inflammatoires et d’agents pathogènes parodontaux a été réalisée par Laugisch et coll. en 2024.
Il en résulte :
La santé orale a également été considérée comme facteur de risque de la maladie d’Alzheimer. En effet, la parodontite est une maladie inflammatoire dont la physiopathologie est associée à une augmentation des taux sériques de protéine C-réactive (CRP) et de cytokines pro-inflammatoires, ainsi qu'à une diminution des marqueurs anti-inflammatoires (IL-10). (22). De plus, on retrouve souvent un état bucco- dentaire dégradé chez les patients atteints de MA, qui pourrait être expliqué par un déclin cognitif qui peut affecter les routines d’hygiène et la dextérité, ainsi que les consultations chez le dentiste. Toutefois, comme il ressort des études précédentes, les maladies bucco-dentaires et en particulier la parodontite sont un facteur de risque de la neuroinflammation, induite par la prolifération de pathogènes parodontaux, qui pourrait entrainer un seuil inflammatoire systémique chronique élevé et conduire à une neurodégénérescence (23).
Une revue systématique de la littérature réalisée par Pruntel et coll. (2024) a tenté d’évaluer l’association entre maladies bucco-dentaire et Alzheimer. 17 études ont démontré une relation possible entre maladies bucco-dentaire et maladie d’Alzheimer selon 4 scénarios.
Le rôle des agents pathogènes
Sur les 17 études incluses, 8 ont montré des associations entre pathogènes parodontaux et MA, avec des pourcentages plus élevés de bactéries telles que Fusobacterium nucleatum et Prevotella intermedia retrouvés chez les patients atteints de MA par rapport au groupe sain. Dans l’étude de Sparks Stein et coll. (2012), des taux d’anticorps ciblés contre Fusobacterium nucleatum et Prevotella intermedia étaient significativement majorés dans le prélèvement sérique initial des patients Alzheimer. La réponse immunitaire de l’hôte face à ces pathogènes, des années avant l’apparition de troubles cognitifs, suggère que la charge bactérienne de la parodontite pourrait être à l’origine de la pathogénèse de le MA. Le délai médian entre évaluation initiale et diagnostic de la MA est de 9,6 ans (24).
Le rôle des médiateurs inflammatoires
Cinq études ont évalué le rôle des médiateurs inflammatoires retrouvés chez les patients Alzheimer. Les cytokines pro-inflammatoires (IL-1 et IL-6) et le facteur de nécrose tumorale-α (TNF-α). Ces derniers pourraient être associés à une santé bucco-dentaire dégradée et à la MA par pénétration de la barrière hémato-encéphalique. Les principales cellules du tissu conjonctif gingivales que sont les fibroblastes vont, en réaction à la présence des pathogènes parodontaux, contribuer à l’apparition de la parodontite. Ils peuvent également déclencher la production de protéine bêta-amyloïde et la phosphorylation de Tau, conduisant à des lésions neuronales et des troubles cognitifs, et ainsi être impliqués dans le développement de la MA. De plus, les pathogènes parodontaux semblent moduler la réponse immunitaire des patients Alzheimer. Toutefois, les pathogènes buccaux et les médiateurs inflammatoires semblent amplifier une réaction en chaîne, mais aucune preuve claire d'une association entre les médiateurs inflammatoires buccaux et la MA n’existe à ce jour.
Le rôle des allèles apolipoprotéine (APOE)
Les allèles APOE-4 semblent jouer un rôle essentiel dans la neuroinflammation, en favorisant la colonisation du cerveau par Pg.
Le rôle du peptide Aβ
La protéine bêta amyloïde pourrait également contribuer au développement de la MA et expliquer l’association entre cette dernière et la maladie parodontale. On sait que les patients atteints de parodontite stade 3/4, présentent des concentrations plasmatiques élevées de protéines bêta amyloïde qui, par le biais de la circulation sanguine, vont s’accumuler dans des régions cérébrales sensibles à la MA (25).
Aucune étude n’a identifié le mécanisme d’interaction entre les bactéries de la flore buccale et MA. Seuls Rivière et coll, ont émis l’hypothèse d’une pénétration des pathogènes par des branches du nerf trijumeau (26).
Le facteur génétique pourrait être à l’origine de la modulation bidirectionnelle du microbiote oral et de certains gènes impliqués dans la MA, mais les preuves sont insuffisantes. De plus, la virulence de la maladie d’Alzheimer, résulte du passage d’une inflammation transitoire localisée comme réponse immunologique de notre système immunitaire face aux lésions cellulaires/tissulaires, à une inflammation exacerbée systémique ou chronique.
La surnutrition est un facteur favorisant cette dérive du processus inflammatoire, empêchant les débris des cellules détruites d’être correctement éliminés. Ils deviendront sources de prolifération bactérienne ou seront transformés en intermédiaires lipidiques, induisant une lipotoxicité, paralysant le processus de guérison des tissus (22).
Etant donné le faible niveau de preuves cliniques, des mécanismes physiopathologiques reliant parodontite et MA, la revue systématique de Salhi et coll (2023) propose d’analyser le nombre conséquent d’études précliniques sur les rongeurs afin de comprendre les mécanismes potentiels. Il a été démontré que les pathogènes parodontaux peuvent se propager dans la circulation sanguine entrainant une augmentation de l’inflammation systémique. Ces bactéries génèrent également une neuroinflammation qui conduit à des lésions du tissu cérébral et des troubles cognitifs/comportementaux, compatibles avec la MA. Cette revue contient plusieurs études précliniques qui ont montré qu’après inoculation de pathogènes parodontaux, l’inflammation systémique qui en résulte induit une perméabilité de la barrière hémato-encéphalique (BHE) par diminution des taux de claudine 5 et dégradation du collagène et de la fibronectine. Il en résulte une destruction de la membrane basale des cellules endothéliales cérébrales, qui autorise l’incursion d’autres bactéries (27). Elle montre également comment les bactéries parodontales (P. gingivalis, T. denticola,) et leurs facteurs de virulence accèdent au système nerveux central, principalement à l’hippocampe et au cortex cérébral conduisant à des lésions cérébrales par neuroinflammation, amyloïdogenèse et phosphorylation de la protéine tau, qui sont les signes pathologiques caractéristiques de la MA.
Neuroinflammation :
les mécanismes moléculaires de la neuroinflammation associés à la parodontite sont liés à l'activation de la voie NF-κB, à l'implication de la Cathepsine B, à la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires et à l'activation du système du complément. Les LPS, les gingipaïnes, les capsules et les fimbriae de Pg favorisent l'accès des bactéries aux cellules cérébrales, perturbent la fonction phagocytaire de l'hôte et contribuent à la destruction neuronale. De plus, Pg et ses sous-produits se lient aux récepteurs TLR-4/CD14 et TLR 2/4 qui induisent des niveaux accrus de cytokines pro-inflammatoire intracérébrales. Pg affecte également les gènes qui régulent le système du complément et altère les cascades de signalisation pro-inflammatoire et la libération de médiateurs pro-inflammatoires systémiques. Ceci contribue à l'aggravation de la neuroinflammation et des troubles cognitifs, et conduit et à la mort neuronale.
La Cathepsine B
est une autre molécule qui joue un rôle dans la neuroinflammation liée à la parodontite, via la régulation positive de NF-κB. Elle augmente encore l'expression de cytokines pro-inflammatoires.
Amyloidogenèse :
l’exposition systémique chronique au Pg (et LPS…) induit l'expression d'IL-6 et d'IL-17 dans le cortex cérébral. La production de ces cytokines est corrélée à l'accumulation de peptides Aβ dans les neurones. Elle augmente également le TNF- α et l'IL-1β. De plus, la Cathepsine B prolonge la voie NF-κB, contribuant à l'afflux et l’accumulation de peptides Aβ dans les neurones et aux monocytes/macrophages inflammatoires périphériques. Enfin, la production induite d’anticorps dans le cerveau peut être utilisée comme substrat pour l’adhésion bactérienne, favorisant leur colonisation et augmentant l’inflammation in situ et l’amyloïdogenèse.
Protéine Tau :
la présence de pathogènes parodontaux ou de facteurs de virulence induit une hyperphosphorylation de la protéine Tau et la formation d’agrégats neurofibrillaires intra-neuronaux. Ces modifications microgliales conduisent à la progression de la MA, par inhibition de l'activité de la protéine phosphatase 2A (PP2A), conduisant ainsi à une neuroinflammation (27).
Quelle prise en charge pour les patients atteints de maladie neuro-dégénératives ?
Pour le praticien, le maintien de la santé bucco-dentaire chez les patients atteints de maladies neuro-dégénératives, constitue un défi. Leur prise en charge est souvent complexe en raison de la diminution de leurs capacités motrices qui influe sur leur aptitude à éliminer la plaque dentaire, de leur difficulté à combattre les infections microbiennes en raison de l’immunosénescence et des troubles de la fonction cognitive.
Nombres d’études qui ont observé un lien entre maladie parodontale et Alzheimer ou Parkinson, soulignent le rôle essentiel du praticien dans la prise en charge de patients à risque de développer une MND ou le traitement de patients déjà diagnostiqués comme tel.
Bien que les troubles de la mémoire et autres altérations cognitives soient des symptômes caractéristiques de la maladie d’Alzheimer, des manifestations biologiques peuvent débuter des décennies avant l’apparition des signes cliniques connues. Ils comprennent, la formation de plaques bêta-amyloïdes, la neuroinflammation et l’hyperphosphorylation des protéines Tau. Dans les formes les plus courantes de la MA, le facteur génétique joue un rôle clé, par la capacité de l’hôte à générer une réponse inflammatoire plus destructrice face à l’infection. Par conséquent, il est crucial de détecter en amont les signes précurseurs de la maladie d’Alzheimer, notamment avant le déclin cognitif et de déterminer plus précisément les patients à risque, afin de pouvoir proposer des approches préventives et thérapeutiques ciblées. Une des pistes de recherche récente sur la maladie d’Alzheimer, serait la microflore parodontale en raison de son impact sur la réponse de l’hôte et l’exacerbation de la réponse inflammatoire, conduisant potentiellement à la dégénérescence neuronale. La réduction de la charge bactérienne et des réactions inflammatoires qui en découlent serait à la fois primordiale pour le traitement des parodontites des patients qui présentent un dysfonctionnement cognitif mais permettrait d’avoir un impact bénéfique sur la réduction de l’incidence et de la gravité du déclin cognitif.
La thérapeutique repose sur un enseignement à l’hygiène orale pour aider le patient à améliorer son contrôle de plaque. Un débridement supra et sous gingival réalisé par le praticien, l’adjonction d’agents antimicrobiens locaux ou systémiques lorsque cela est indiqué et l’avulsion de dents au pronostic défavorable. Lee et coll (2017) ont montré, dans une étude de cohorte sur la population Taiwanaise, que le risque de développer une démence est significativement plus important chez les personnes atteintes de maladies parodontales non traitées par rapport à ceux qui bénéficient d’une prise en charge (28). L’étude longitudinale de Rolim et coll (2014) a même permis de constater une amélioration de la fonction cognitive chez les patients atteints de MA, après thérapeutique parodontale (29). Bien que le niveau de preuves soit limité, l’avantage du traitement parodontal peut se justifier, selon les études qui montrent une connexion entre pathogènes parodontaux et neuroinflammation.
Ainsi, un examen bucco-dentaire approfondie doit être réalisé afin d’établir un plan de traitement individualisé des patients. Ryder et Xenoudi (2021) ont établi une liste d’éléments à prendre en compte.
Une approche thérapeutique basée sur les stades de la maladie d’Alzheimer (léger, modéré et sévère), adaptée de celle décrite par Niessen et coll (30), est ainsi proposée (Tableau 2)
La maladie d’Alzheimer étant progressive, le fait de connaitre la date du diagnostic permet au praticien de présager la capacité du patient à maintenir un niveau d’hygiène bucco-dentaire correct. Au stade le plus précoce, le praticien doit tout mettre en œuvre pour traiter la maladie parodontale, prévenir toute récidive et restaurer la dentition du patient. A mesure que la MA progresse l’objectif de traitement varie de la restauration/réhabilitation à la phase d’entretien.
Les principaux symptômes moteurs que l’on retrouve chez les patients atteints de maladie de Parkinson, à savoir, les tremblements de repos, l’akinésie et l’hypertonie, affectent également la santé bucco-dentaire et leur capacité à maintenir un contrôle de plaque optimal. On retrouve quelques recommandations pour améliorer la prise en charge de ces patients :
Lors de l’élaboration du plan de traitement personnalisé, le praticien devra décider : d’extraire ou de conserver les dents ; de la nécessité de remplacer les dents absentes et de la meilleure manière de le faire.
La responsabilité du soignant étant de gérer la douleur du patient, de contrôler l’infection et d’empêcher la survenue et la progression d’autres maladies. Le critère d’évaluation premier pour déterminer la nature des soins à prodiguer est de connaitre la capacité du patient à maintenir un haut niveau d’hygiène orale. Le traitement parodontal doit donc figurer en tête de liste des priorités de traitement des patients atteints de MA (31).
Conclusion
Bien que l’étiologie des MND soit multifactorielle, la parodontite peut constituer un des nombreux facteurs de risque de ces dernières. Les mécanismes responsables de cette association sont complexes et nécessitent d’être encore étudiées. Toutefois, une connexion entre la sphère orale et la voie systémique est retrouvée, par la diffusion des pathogènes parodontaux qui peuvent atteindre le système nerveux central et entraîner l’apparition de MND. De même, une inflammation chronique due à la présence d’une maladie parodontale, peut contribuer aux dysfonctionnements neurologiques aux premiers stades des MND. Ainsi, l’hygiène bucco-dentaire individuelle et professionnelle doit être une mesure prophylactique majeure, afin de limiter le risque d’apparition ou de progression des MND. Cependant, le contrôle de plaque individuel elle peut s’avérer difficile en raison des troubles cognitifs et comportementaux associés.
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