La zircone, avancée biotechnologique et recul clinique en implantologie orale

Philippe DUCHATELARD

Dossier spécial Les Implants Zircone - AO News #33 Avril 2020

 

Le titane comme le zirconium sont des métaux de transition, groupe IV du tableau de Mendeleïev (Fig.1) dans laquelle on retrouve avec les groupes jusqu’à XII la plus grande partie des éléments constitutifs des alliages métalliques utilisable en dentisterie. Leur avidité pour l’oxygène fait, qu’à la surface, il leurs confère des propriétés remarques de bio tolérance mais qu’en inclusions, il est un élément de fragilisation mécanique.

Historiquement, le choix du matériau est indissociable du développement de l’implantologie orale. Le premier alliage utilisé pour des implants endo-osseux sous forme de vis est le Chrome-Cobalt- Molybdène (Vitallium®) (Alvin Strock, 1939), toujours utilisé de nos jours pour les appareils amovible stellite. Lorsque le choix s’est porté sur un métal pur, c’est le Tantale qui a été le premier employé, avec lui l’implantologie moderne est née sous forme d’implants spiralés, simple hélice (Manglio Formiggini, 1947).


Fig 1 - Tableau de Mendeleiev

 

A suivi, avec l’imagination des précurseurs et les possibilités techniques offertes par ce métal, des implants doubles hélices (Raphaël Chercheve, Max Jeanneret, 1960), aiguilles (Jacques Scialom, 1962), lame (Leonard I.Linkow, 1963). Contemporain de l’usage du Tantale, les implants céramiques à base d’alumine ont été utilisés avec succès sur le plan biologique par Willi Schülte (1) (implant immédiat de Tübingen) et par Sami Sandhaus (implant C.B.S. Crystalline Bone Screw) qui vient de nous quitter. Le manque de fiabilité en clinique avec les bris mécaniques liés aux manques de résistance de l’alumine et des assemblages collés de cette époque, les difficultés de production ont mis un frein à l’usage et au développement des céramiques pour cette application.

Actuellement, les formes vis font consensus avec des variantes dans leur design et les caractéristiques structurelles, mécaniques et physico-chimiques liées à la composition du matériau choisi conditionnent le succès clinique. L’engouement pour une implantologie sans métal a permis le développement de nouveaux matériaux céramiques type Y-TZP (Yttria stabilized Tetragonal Zirconia Polycristals) répondant aux cahiers des charges pour la confection d’implants blancs, couleur blanche support de l’imaginaire marketing des fabricants, pur, perle, neige…mais d’un point de vue rationnel, qu’en est-il des qualités de la zircone pour un usage clinique en implantologie orale ?

La zircone ou dioxyde de zirconium (ZrO2) est une céramique, c’est-à-dire que son degré d’oxydation est optimal pour la stabilité électronique. Il ne peut y avoir d’échange ionique, c’est un isolant électrique avec une absence de bimétallisme, de flash aux scanner et à l’IRM, une haute résistance à toutes formes de corrosion. Cette inertie chimique explique sa biocompatibilité tissulaire.

La zircone est une céramique polycristalline totalement cristallisée, « ceramic steel ? » (2). Les deux double-liaisons covalentes entre le zirconium et l’oxygène explique son réseau cristallin et ses caractéristiques mécaniques (Fig. 2). La zircone a plusieurs structures cristallographiques : monoclinique, quadratique (tétragonale) et cubique qui a la particularité de se modifier suivant la température (Fig. 3).

 

Les deux propriétés de résistance mécanique qui caractérisent les céramiques et permettent une utilisation clinique comme implant ou prothèses sont : la résilience, la résistance aux chocs et la ténacité, la résistance à la propagation de fissure. Il est à noter que ces deux propriétés, résilience et ténacité, sont également des qualités humaines appréciées chez tout bon(ne) praticien(ne) !

 

Pour amplifier sa stabilité sous contraintes mécaniques de son réseau polycristallin céramique il faut incorporer d’autres types de céramiques : on utilise le Y2O3, oxyde d’Yttrium ou Yttria, le CeO2, oxyde de Césium ou Céria, l’Al2O3, oxyde d’aluminium ou alumine. Le but d’incorporer 3% en mole d’Yttria est de la maintenir à température ambiante sous sa forme quadratique. C’est un état métastable qui peut évoluer vers la forme monoclinique soit sous l’effet de de contraintes mécaniques, ce qui bloque la propagation des fissures et est la cause de sa remarquable résistance mécanique, soit sous l’effet de contrainte hydro-thermique, dégradation à basse température (Low Temperature Degradation) (3).

Les différentes compositions en pourcentage de masse avec les conditions de frittage température, temps, pression sous atmosphère d’air ou d’argon déterminent des produits manufacturés (Fig. 4) aux spécificités structurels et propriétés de résistances mécaniques qui répondent à deux normes qui mettent en œuvre des tests de flexion biaxiale (4). L’ISO 13356 pour la résistance à la flexion en statique dans l’air à température ambiante et l’ISO 14801 pour la résistance à la fatigue cyclique à 10 hertz, 106 cycles dans l’eau distillée à 37°C. C’est un enjeu actuel de caractériser au plus près des conditions d’utilisations cliniques ces matériaux. En particulier, le comportement sous charge en milieu humide et de manière répétée pour des assemblages emboités collés et ou ajusté pilier-implant à l’identique des pièces commerciales proposées (5). Comme pour le titane, différents états surface pour augmenter la rugosité de surface de la zircone poli miroir (MS) sont proposés : sablage alumine 150 microns (SB 150), sablage plus mordançage à l’acide fluoridrique 46% pendant 15 min (SB150E+HF) (Fig. 5), ablation Laser. Ces traitements de surface influent sur les tests en diminuant les performances (Fig. 6). Le traitement Laser est efficace sur l’Y-TZP et présente l’intérêt d’augmenter significativement sa surface développée Ra sans la fragiliser (6).

En l’état actuel des connaissances, on considère que le phénomène de détérioration hydrique à basse température (L.T.D.) qui a défrayé la chronique et causé la perte de crédibilité de la zircone en usage orthopédique pour les prothèses de hanche dans les années 2000 (7) ne concernent pas notre domaine d’utilisation (8) vu le niveau d’intensité des charges, la cinétique de cette dégradation et l’amélioration du matériau dans sa composition et ses modes de fabrication, en particulier le procédé HIP (Hot Isotactic Pressing) de compaction des poudres par hautes pressions isostatiques (2000 bars) et frittage sous hautes températures (2000°C).

 

Le mécanisme proposé pour expliquer sa capacité à s’ostéo-intégrer est différent de celui du titane. Le matériau zircone se comporte en cathode et attire les anions de calcium pour générer des noyaux d’ossification (Sandhaus). Pour le titane, les hydroxyl OH- adsorbés sur sa couche superficielle d’oxyde de titane permettent l’adhérence des ions Ca2+.

 

Stadlinger (9) compare l’ostéointégration des implants zircone et titane sur modèle animal, mâchoire de cochons nains. Les implants submergés en titane et zircone ont un BIC de 53%. Les implants zircone non submergés ont un BIC de 48%. Cette légère différence est liée à la résorption de la crête osseuse par l’invagination de l’épithélium liée à l’espace biologique à l’interface tissus durs tissus mous.

 

Rohling et al (10), par méta analyse, comparent Zircone et Titane sur les quatre paramètres suivants : le pourcentage de contact os-implant, (Bone-to-Implant Contact, BIC), le couple de désinsertion (Removal Torque out RTQ), le test de poussée (Push-In, PI), la distance biologique (Biologic Width, BW). Les résultats sont consignés dans la figure 7. Les auteurs remarquent que le processus initial d’ostéintégration est plus court pour le titane que pour la zircone. L’adhérence à l’os est en faveur du titane, celle de la muqueuse en faveur de la zircone avec une dimension du sillon muco-implantaire plus faible. Cette constatation est à mettre en relation avec les qualités de surface de ce matériau et son comportement avec le biofilm. La diminution du ratio des hauteurs de l’épithélium sur tissu conjonctif dans le sillon mucco-implantaire pour la zircone par rapport au titane est confirmé par Lee et al (11), ce ratio s’approche de celui de la dent naturelle.

 

L’utilisation de la zircone Y-TZP, HIP sous la forme d’implant monobloc a le plus grand recul dans le temps et en nombre, elle montre une fiabilité mécanique à l’égal du titane (12). Les implants une part « Soft Tissue Level » apparus les premiers et « Bone Level » complètent maintenant l’offre clinique. Le design de la connexion est un élément clé de leur mise en œuvre au moment de leur insertion et de la solidité de l’assemblage pilier implant. Le risque est toujours la fracture par choc ou propagation de fissure sous contrainte en tension, flexion mais surtout en cisaillement (shear stress). Il y a des préconisations de couple d’insertion à respecter et une courbe d’apprentissage à maîtriser ! C’est également le cas pour les implants monobloc où la prise en compte du positionnement tri-dimensionnel du pilier prothétique se fait de prime abord au risque de ne pouvoir réaliser une couronne fonctionnelle et esthétique. Une tolérance d’axe est néanmoins possible pour ce type d’implant et de céramique Y-TZP, de l’ordre de 15°, avec la possibilité de corriger par des meulages raisonnés sous spray, à vitesse spécifique 160000 tours/min et instrumentation diamanté dédiée (Komet). C’est aussi la possibilité de biseauter leur bord cervical pour favoriser l’intégration esthétique avec un profil d’émergence juxta muqueux (cas clinique 1). L’indice de réflexion de la zircone est adapté pour la réalisation d’empreintes optiques dans de bonnes conditions en s’affranchissant de l’adsorption de la salive à sa surface. L’utilisation d’analogue catalogue s’il n’y a pas eu de retouche est très pratiques et fiables (cas clinique 2).

 

Ce sont ces différents aspects techniques qui déterminent l’avancée biotechnologique de l’usage de la zircone comme matériau de fabrication des implants dentaires en alternative crédible au titane et à ses alliages. La bibliographie est riche en articles sur des cas cliniques et études rétrospectives sur les taux de succès d’implants unitaires monobloc (13) et Tissue Level (14). Des études cliniques prospectives multicentriques permettront de valider les indications et procédures dans les cas complexes des implants zircone sous toutes ses formes, c’est le thème du prochain congrès de l’EACim à Bruxelles.

 

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Bibliographie

1. The Tübingen immediate implant in clinical studies. SCHULTE W., KLEINEIKENSCHEIDT H., LINDER K., SCHAREYKA R. Dtsch ZahnÄrtzl Zeitschr, 1978; 33: 348-359.

2. Ceramic steel ? Garvie R.C, Hannink R.H., Pascoe R.T. Nature vol 258, 703-704 (1975).3. The tetragonal-monoclinic transformation in Zirconia : Lessons learned and futurs trends. Chevallier J, Gremillard L, Virkar AV, Clarke DR. J. Am. Ceram. Soc. 2009 sept ; 92(9) : 1901-20.

3. The tetragonal-monoclinic transformation in Zirconia : Lessons learned and futurs trends. Chevallier J, Gremillard L, Virkar AV, Clarke DR. J. Am. Ceram. Soc. 2009 sept ; 92(9) : 1901-20.

4. Future prospects of zirconia for oral implants -A review. Masao YOSHINARI Dental Materials Journal 2020 ; 39(1) : 37–45

5. A new testing protocol for zirconia dental implants. Sanon C, Chevalier J, Douillard T, Cattani-Lorente M, Scherrer SS, Gremillard L. Dent Mater. 2015 ; 31(1) : 15–25.

6. Cortical bone response toward nanosecond-pulsed laser-treated zirconia implant surfaces. Masatsugu HIROTA, Tomohiro HARAI, Shinji ISHIBASHI, Masayoshi MIZUTANI and Tohru HAYAKAWA, Dental Materials Journal 2019; doi:10.4012/dmj.2018-153.

7. On the fracture of a zirconia ball head Piconi C., Maccaura G., Pilloni L., Burger W., Muratori F., Richter H.G., Journal of Materials science : materials in madicine 17 (2006) 289-300.

8. Low temperature degradation-aging of zirconia : A critical review of the relevant aspects in dentistry. Luighi V., Sergo V. Dent. Mater. 2010 aug; 26(8) : 807-20.

9. Comparison of zirconia and titanium implants after a short healing period. A pilot study in minipigs . Stadlinger B, Hennig M, Eckelt U, Kuhlisch E, Mai R. Int J Oral Maxillofac Surg. 2010 Jun ;39(6) : 585–92.

10. Zirconia compared to titanium dental implants in preclinical studies - a systematic review and meta-analysis. Roehling S, Schlegel KA, Woelfler H, Gahlert M. Clin Oral Implants Res. 2019 Mar 27. doi: 10.1111/clr.13425.

11. Differential Healing Patterns of Mucosal Seal on Zirconia and Titanium Implant. Lee D.J., Ryu J.S, Shimono M., Lee K.W., Lee J.M., Jung H.S. Front. Physiol., July 2019, volume 10, article 796, https://doi.org/10.3389/fphys.2019.00796

12. Reliability of One-Piece Ceramic Implant Silva N. R. F. A., Coelho P.G., Carlos A. O. Fernandes C.A.O., Navarro J.M., Dias R.A., Thompson V.P., Journal of Biomedical Materials Research Part B : Applied Biomaterials 2009 feb ; 88 (2) :419-26.13. Immediate provisional restoration of single‐piece zirconia implants : a prospective case series – results after 24 months of clinical function Payer M., Arnetzl V., Kirmeier R., Koller M.,Arnetzl G., Jakse N., Clinical Oral Implants Research, volume24, Issue 5, May 2013, 569-575.

14.Two-piece zirconia versus titanium implants after 80 months: Clinical outcomes from a prospective randomized pilot trial. Martin Koller, Elisabeth Steyer, Kerstin Theisen, Sami Stagnell, Norbert Jakse, Michael Payer. Clin Oral Impl Res. 2020 ; 00 :1–9. https ://doi.org/10.1111/clr.13576