La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, a fait couler beaucoup d’encre et provoqué beaucoup de remous. On a pu lire des titres de presse particulièrement alarmistes tels que « le gouvernement fait main basse sur l’assurance vie » ou bien « votre contrat d’assurance vie est réquisitionné » en sorte qu’il nous a paru utile de faire un point objectif et factuel du texte voté le 8 novembre 2016 et confirmé par le Conseil Constitutionnel le 9 décembre.
Son volet concernant la modernisation de la vie économique contient une disposition ayant particulièrement attiré l’attention des investisseurs et de leurs conseils : l’article 49 (anciennement article 21 bis dans les débats parlementaires) qui étend les pouvoirs du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) au secteur de l’assurance.
Pourquoi cette loi ?
Le (HCSF) est l’instance de surveillance du système financier. Il peut prendre à titre conservatoire des « mesures préventives », afin de « préserver la stabilité du système financier ». Avant la loi Sapin ses pouvoirs étaient cantonnés au secteur bancaire.
Concernant l’assurance vie, il dispose de deux types de pouvoirs : veiller à ce que la rémunération des fonds en euro de l’assurance vie ne présente pas un trop fort décalage avec le niveau des taux d’intérêt et éviter les retraits massifs source de risques systémiques.
Comment sécuriser les engagements des assureurs et accroître la protection des épargnants, en cas de crise grave tels sont en fait les objectifs de cette loi.
Eviter des rémunérations déraisonnables des fonds en euro
Tout d’abord, le HCSF peut intervenir auprès des assureurs afin de moduler la façon dont ils utilisent leurs réserves de rendement pour améliorer la performance de leurs fonds en euro. En effet, les assureurs ne sont pas tenus de distribuer chaque année la totalité de leurs gains, dont une partie peut alimenter « la provision pour participation aux bénéfices ». Ces produits financiers mis en réserves servent ensuite à lisser les performances du fonds en euro les années où les marchés financiers ont été moins lucratifs. Le Code des Assurances dispose qu’elle doit être distribuée aux assurés dans un délai maximal de 8 ans. Mais cette réserve sert aussi à « gonfler » la rémunération des fonds en euro parfois à des fins purement commerciales pour figurer dans le haut des classements et favoriser une forte collecte de capitaux. Et là bien sûre, c’est moins sain car une rémunération trop élevée des fonds en euro augmente les engagements des assureurs.
Eviter les rachats massifs
En cas de menace majeure sur la stabilité du système financier (risque systémique), le HCSF, instance de supervision financière créée en 2013 et présidé par le ministre des Finances qui décide sur proposition du gouverneur de la Banque de France, peut restreindre ou limiter temporairement toute opération de versement, retrait, avance ou arbitrage dans les contrats d’assurance vie.
Ces décisions ne peuvent être prises que par le HCSF qu’en cas de circonstances exceptionnelles et la limitation temporaire des retraits est valable pour une durée de 3 mois renouvelable une fois soit pour 6 mois au maximum.
Contrairement à ce qu’on a pu lire aucune ponction de l’épargne n’est prévue. Le Conseil Constitutionnel a d’ailleurs statué qu’il n’y a pas là atteinte à la propriété.
Cela concerne-t-il uniquement les fonds euros ?
Non, car même si la raison principale est la crainte d'une remontée des taux et d'un retrait massif des épargnants sur les fonds euros, cela concerne l'ensemble des contrats d'assurance vie, à la fois les fonds euros et les unités de compte.
Les prestations en cas de décès sont-elles concernées ? Non, même si la loi ne vise pas expression leur exclusion car le versement du capital décès n’est pas un rachat, mais une prestation car lorsque le contrat se dénoue par le décès ou l'arrivée du terme, le paiement s'impose sur le fondement de l'article L 132-23-1 du code des assurances.
Y a-t-il un plafond ou des exceptions prévues à ces limitations ?
Un amendement soutenu par le rapporteur Romain Colas et adopté par les députés indique que le HCSF « tient compte des intérêts des assurés, adhérents et bénéficiaires ». « Cela pourra le conduire à faire usage de proportionnalité en fonction de la sévérité des menaces auxquelles le système financier est confronté », détaille l'exposé des motifs. Autrement dit, c'est le HCSF qui pourrait décider d'autoriser par exemple les « petits retraits » selon un plafond ou selon un pourcentage du contrat.
Est-ce une nouveauté ?
Pas vraiment. L'ACPR, Autorité de Contrôle Prudentielle, avait déjà la possibilité de prendre des mesures de blocages des rachats de l'assurance vie pour une seule compagnie d'assurance (article L 612-33 du Code monétaire et financier) introduit par la loi Lagarde de 2010. Mais il s'agissait d'une mesure « micro-prudentielle » c’est-à-dire ne touchant qu’une compagnie d’assurance dont la solvabilité est compromise ou lorsque les intérêts des assurés sont menacés.
Ce nouvel article 49 confie ce pouvoir au HCSF. Par ailleurs la suspension temporaire des versements et des retraits devient une mesure « macro-prudentielle », c'est-à-dire qui concerne « au moins un organisme de taille critique et systémique, ou plusieurs organismes détenant une part significative du marché concerné ». On retrouve donc là les règles exceptionnelles qui président aussi à la prévention des risques systémiques en place depuis de longues années pour le système bancaire.
Par ailleurs, la rémunération des fonds en euro fait déjà l’objet de règles strictes d’utilisation des réserves de participations des bénéfices. L’objectif de cette nouvelle loi est de renforcer l’encadrement de la rémunération du fonds en euro et d’inciter les assureurs à une plus grande prudence dans un contexte de taux bas.
Faut-il s’en inquiéter?
Non, c’est même le contraire puisque ces mesures visent à renforcer la protection de l’épargnant dans des situations exceptionnelles de crise grave et avérée. En cas en cas de hausse forte et brutale des taux d’intérêt, les assureurs auraient plus de temps pour liquider leurs placements et faire face à une vague de rachats. C’est donc la stabilité du système financier qui est ici recherchée et non spoliation des épargnants.
Quelle alternative ?
Le dispositif mis en place par l’article 49 de la Loi Sapin II renforce l’attrait des contrats d’assurance-vie luxembourgeois.
D’une part, la règlementation française, dont la Loi Sapin II, n’est pas applicable aux compagnies d’assurance-vie établies au Luxembourg, dont l’autorité de surveillance est le Commissariat aux Assurances (CAA).
Cependant, dans l’hypothèse où l’investissement réalisé via un contrat d’assurance-vie émis à Luxembourg reposerait sur un actif soumis à la règlementation française, cet actif sera régulé par les tutelles françaises.
Ainsi, les assureurs du Luxembourg dont les fonds en euros sont réassurés par des acteurs français sont frappés par l’article 49 de la Loi Sapin II.
D’autre part, les actifs des souscripteurs de contrats luxembourgeois doivent obligatoirement être déposés dans une banque dépositaire agréée par le CAA et les primes doivent être séparées des comptes propres de la Compagnie d’assurance. Dans l’hypothèse de problèmes financiers de l’assureur, les créances découlant de l’exécution des contrats primeront sur toutes les autres créances de la Compagnie. La créance des souscripteurs bénéficie du privilège absolu en termes de remboursement, plus communément appelé « super privilège »
L’assurance vie conserve ses atouts patrimoniaux : elle est toujours une solution de gestion fiscalement avantageuse avec un large choix de supports pour faire face au rendement déclinant des fonds en euro, d’optimisation de la transmission de patrimoine et de protection des proches.