Le congrès du Collège National d’Occlusodontologie

Marseille, 2 et 3 juin 2022


Compte-rendu de Maxime BENGUIGUI pour AO News


C’est donc début juin que nous avons pu suivre ce superbe congrès, dont, vous l’aurez compris, la majeure tournait autour de l’occlusion !

Nous nous sommes dirigés le jeudi matin vers le World Trade Center Marseille Provence – le nom en jette – où un petit déjeuner attendait les participants avant de rentrer dans le vif du sujet. Sur place, plus d’une vingtaine de partenaires étaient présents, des éditions Cdp à Bausch en passant par Gamma-dental et le Modjaw. Ces partenaires présentaient comme à leur habitude leurs nouvelles innovations et produits en tous genres, ce qui pouvait être très instructif.

 

Le décor planté, vint le temps des présentations. Après quelques mots des piliers du cette édition, Jean-Daniel Orthlieb (président d’honneur), Armelle Manière Ezvan (présidente scientifique) et Jean-Philippe Ré (président du congrès) a commencé la première conférence menée par Jens Türp (Suisse). Il a présenté une revue critique historique savamment racontée en insistant sur les points importants de l’occlusion et en retraçant une chronologie des concepts occlusaux et de leurs protagonistes : diversité, variabilité et adaptabilité sont des clés de compréhension des phénomènes biologiques et psycho-sociaux. Ensuite, Jean-Daniel Orthlieb, lors de sa conférence, a guidé la compréhension du plan d’occlusion en plaçant un point d’honneur sur le fait qu’en occlusion, rien n’est plat et tout est relativement courbe. L’apparition de la courbe de von Spee suit la croissance mandibulaire, et le terme de plan d’occlusion, qui est plutôt une corde de calage, ne peut pas définir une courbe. Enfin, Sadao Sato (Japon) nous a parlé de l’importance du plan d’occlusion en orthodontie, et via des cas merveilleusement bien illustrés, a expliqué son rôle d’élément clé dans le traitement des classes II et des béances antérieures.

 

Les 4 conférences de l’après midi, menées par Guillaume Lecocq, Jean-Phillipe Ré, Patrice Margossian et Nicolas Château, ont abordé des thèmes variés allant de la numérisation, la modélisation et la finition en orthodontie à l’équilibration occlusale préprothétique en passant par une approche « parofonctionnelle » et par la participation des prothèses implantaires aux fonctions occlusales. 

 

Ce qui reste à la fin de cette journée est que l’occlusion est au centre d’un appareil manducateur immensément complexe sur les plans anatomo-physiologique et pathogénique, et concerne tous les aspects des disciplines odontologiques avec une composante psycho-émotionnelle importante. Il faut sortir l’occlusion de l’obscurantisme et la mystification dans lesquelles elle a pu se trouver.

Jean-David Boschatel a démarré la 2ème journée en nous présentant le contrôle de l’occlusion dans les restaurations adhésives, insistant sur le fait que l’esthétique est dépendante de la résistance, elle-même dépendante de l’occlusion. Puis Stéphane Provencher (Canada) s’est penché sur la planification des reconstructions prothétiques par le prototypage, comment piloter la construction du wax-up.

Daniel Dot, sur le contrôle de l’occlusion en prothèse fixée, et Nicolas Busnel sur les avantages et les inconvénients du numérique pour l’occlusion ont clôturé cette matinée passionnante.

En début d’après-midi, nous avons pu assister à une très belle présentation sur les capacités d’adaptation fonctionnelle de la mandibule et notamment sur l’orthodontie précoce en antéposition et overlays collés, avec Miguel Assis (Portugal) et Alejandra Londono (Colombie). Alors, Eugenio Tanteri (Italie) a enchaîné avec la reconstruction prothétique en antéposition chez l’adulte. Cette édition fut incontestablement très internationale !

Pour clôturer, Florian Créhange nous a présenté un nouveau regard sur l’occlusion en prothèse complète amovible avec des références plus individuelles pour définir la DVO.

En terminant ces deux journées riches en informations, on se rend facilement compte de l’importance de l’occlusodontie et de sa place particulière, que sa compréhension et sa connaissance ne sont pas inaccessibles, et qu’il faut s’y intéresser car elle concerne et relie toutes les disciplines odontologiques. 

 

Un grand merci au CNO Sud pour cette très belle édition.

 

Zoom sur la conférence de Jean Philippe Ré, Approche parofonctionnelle

 

Si l’on en croit l’evidence Based Medecine (EBM), il n’y aurait pas de relation entre occlusion et maladies parodontales : les forces occlusales n’initieraient pas les maladies parodontales. Mais attention à ne pas rejeter l’occlusion et à ne pas perdre son bon sens : un traumatisme occlusal peut induire une mobilité parodontale. 

 

Lors d’un mouvement orthodontique, il y a répétition de destruction puis développement osseux par contraintes mécaniques. Les lois de Wolff (1892) nous permettent de comprendre que l’os se forme et se résorbe en fonction des contraintes mécaniques qu’il subit, que sa résistance varie en fonction de la direction des charges subies, et que l’activité musculaire entraîne une modification des contraintes, et donc de l’activité osseuse. Bien sûr, les bactéries sont nécessaires, mais pas suffisantes, pour déclencher la maladie parodontale (Ré, Orthlieb 2010). La prise en compte de la réponse de l’hôte et de la physiologie osseuse est absolument nécessaire (Beck 1994).

 

En intégrant ces données à un modèle physio-pathogénique tridimensionnel, 3 dimensions entrent en conjonction : la dimension structurelle (axe I), la dimension psychosociale (axe II), et la dimension biologique (axe III). Elles nous donnent un aspect somatique général (Ré, Orthlieb, approche parofonctionnelle JPIO 2020 ; 143 : 62-9).

 

Il faut ensuite s’intéresser aux facteurs étiologiques : les facteurs prédisposants, les facteurs déclenchants, et les facteurs entretenants.

 

Les facteurs prédisposants constituent des facteurs de risques, et l’on retrouve dans la dimension structurelle : dysmorphoses dento-squelettiques, anomalies des fonctions occlusales, tartre, freins, ventilation orale … Dans la dimension psycho-sociale les états dépressifs, l’hygiène insuffisante, la faible observance etc. Enfin, dans l’axe III, la dimension biologique, on retrouve, parmi ces facteurs prédisposants, la réponse de l’hôte avec ses risques génétiques, l’âge, l’ethnie, le sexe, la diminution des capacités immunitaires, les allergies, et les pathologies systémiques telles que le diabète.

 

En se tournant ensuite vers les facteurs déclenchants, qui initient ou précipitent la maladie, il existe, dans l’axe I (dimension structurelle : restaurations iatrogènes, orthodontie iatrogène, traumatisme …), une association entre traumatisme occlusal/anomalies occlusales et progression de la maladie parodontale (Workshop Chicago 2017). Dans la dimension psycho-sociale, le choc émotionnel avec effondrement des défenses immunitaires, de l’hygiène, et l’aggravation des comportements orofaciaux à risque (mâchonnement de crayon par exemple) constitue un facteur déclenchant. Enfin dans l’axe III, le déclenchement d’une maladie systémique ou la présence d’un biofilm présentant une flore microbienne pathogène constituent les éléments pouvant déclencher ou aggraver la progression de la maladie.

 

Les facteurs entretenants favorisent, eux, l’auto-aggravation par « cercle vicieux ». Les comportements orofaciaux à risque et la ventilation orale sont des exemples de leur dimension structurelle. La dimension psychosociale serait cette fois représentée par l’hypofonction, le stress qui altèrerait la réponse immunitaire (Breivik et al., 1996), et les états dépressifs. Pour terminer par la dimension biologique, les maladies générales (diabète), le surpoids, le tabac, l’alcool, la prise de certains médicaments (cyclosporine, phénytoïne, nifédipine, …) constituent des facteurs entretenants.

 

Jean-Philippe Ré s’oriente, dans la foulée, vers ce que nous dit la littérature. Par la stimulation fonctionnelle de l’os alvéolaire, il pourrait y avoir un effet de densification autour des dents (Le bruxisme : actualités pratiques. Inf Dent 2018 ; 10 : 18-24) ; et aussi autour des implants, par le biais des constructions prothétiques supra-implantaires (Aspects biologiques de la réponse osseuse aux contraintes mécaniques. Rev Odont Stomat 2011 ; 40 : 76-88) ; la stimulation par la mastication peut diminuer la progression de la maladie parodontale (Micro-computed tomographic imaging of alveolar bone in experimental bone loss or repair. J Periodontol 2007 ; 78 : 279-281). La maladie parodontale et le bruxisme se produisent rarement chez le même individu, le bruxisme pourrait inhiber la parodontite en augmentant la densité d’os alvéolaire (Periodontal status and bruxism, a comparative study of patients with periondontal disease and occlusal parafunctions. J Periodontol 1987 ; 58 : 173-176).

 

Il faut s’attarder un peu sur cette dernière partie qui est particulièrement intéressante : le bruxisme pourrait inhiber la parodontite en augmentant la densité d’os alvéolaire (Hanamura H, Houston F, Rylander H, Carlsson GE, Haraldson T, Nyman S). Quand on y pense, plus il y a d’usure, plus il y a d’os et les excroissances osseuses sont très bien connues et vérifiées chez les grands bruxeurs alors qu’en présence d’une interférence occlusale, le traumatisme occlusal entraînera plutôt une mylolyse, une lyse osseuse … Si les ATM sont capables de supporter les charges mécaniques (donc bien sûr inapplicable en cas d’arthrose), il pourrait être très intéressant de stimuler le bruxisme pour des patients présentant des maladies parodontales.

 

En sortant de cette conférence rondement bien menée, de nouveaux axes de réflexion ont traversé notre tête et nous en sommes repartis grandi.

 

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