Prescrire sans nuire avec le Pr Vianney Descroix

une conférence Alpha Oméga Paris - Jeudi 6 mars 2025

Compte-rendu de Roman Licha pour AO News #74 - juin 2025


(Pr Vianney Descroix et Roman Licha)

 

C’est avec un immense plaisir que le chapitre parisien a reçu le doyen de l’Université Paris Cité pour une soirée Prescrire sans nuire qui a réuni près d’une centaine de confrères/consoeurs. Comme à chaque conférence, c’est après avoir savouré un généreux buffet que nous avons regagné la salle de conférence, prêts à entrer directement dans le vif du sujet !

 

C’est la première fois que le Pr. Vianney Descroix intervenait devant Alpha Omega Paris. Face à lui, une assemblée composée principalement de chirurgiens-dentistes, mais aussi d’un nombre significatif d’étudiants en odontologie de l’Université Paris Cité, dont il assure la fonction de Doyen. C’est avec une pointe d’humour qu’il a d’ailleurs exprimé sa satisfaction face à la forte participation des étudiants, en notant que leur présence était habituellement moins importante dans les amphithéâtres de Montrouge et de Garancière, et a suggéré dès lors de délocaliser les cours en odontologie à l’hôtel Intercontinental !

 

Règles et conseils relatifs aux prescriptions médicamenteuses

 

Pensez-vous que les Français soient de grands consommateurs de médicaments ? Voici un chiffre surprenant : 80 % des médicaments sont consommés par seulement 20 % de la population, essentiellement des hommes âgés de 60 ans et plus. Le conférencier précise qu’avec le vieillissement progressif de la population, nous serons probablement tous concernés d’ici une trentaine d’années… En outre, la pratique médicale française consistant à prescrire fréquemment plusieurs médicaments pour une même pathologie contribue à accroître rapidement la consommation médicamenteuse.

En qualité de prescripteur, il est impératif pour nous, chirurgiens-dentistes, d’évaluer rigoureusement le rapport bénéfice/risque afin de « prescrire sans nuire ». Chaque acte de prescription repose ainsi sur une estimation probabiliste d’efficacité thérapeutique, puisqu’aucune molécule n’offre une garantie absolue d’efficacité auprès de l’intégralité des patients (certains étant par exemple insensibles au paracétamol ou à l’amoxicilline). Il convient de confronter cette dernière aux effets indésirables potentiels, ces derniers étant inhérents à tout médicament. En d’autres termes, il s’agit de considérer avec objectivité si l’on serait disposé, en tenant compte des statistiques disponibles, à exposer, par exemple l’un de ses proches, à ce risque thérapeutique. Cette réflexion est d’autant plus délicate que les populations étudiées lors des essais cliniques ne correspondent jamais exactement à la diversité des patients rencontrés après la mise sur le marché d’un médicament. Par conséquent, une multitude de facteurs doivent être pris en considération afin d’aboutir à une prescription véritablement individualisée et adaptée à chaque patient.

La consommation d’alcool demeure un thème souvent tabou, sur lequel les patients hésitent encore à se confier. Il convient également de rester vigilant quant à l’usage de plantes médicinales et de compléments alimentaires, susceptibles de modifier le métabolisme des médicaments prescrits. Certains aliments eux-mêmes peuvent exercer une influence non négligeable sur l’efficacité ou la tolérance des traitements.

 

Dans le cadre de toute prescription, il peut être intéressant de recourir à un logiciel d’aide à la prescription, comme le Vidal par exemple. Celui-ci permet, en renseignant les traitements en cours du patient ainsi que les nouvelles molécules envisagées, de détecter d’éventuelles interactions médicamenteuses, parfois graves. À titre d’exemple, le logiciel prévient aisément que le miconazole (même sous forme de gel buccal) est formellement contre-indiqué chez les patients sous antivitamines K, en raison du risque majeur d’hémorragies imprévisibles. Par ailleurs, une erreur fréquente consiste à ne pas recourir à la Dénomination Commune Internationale (DCI) lors de la rédaction des ordonnances. On privilégiera ainsi les termes « ibuprofène » ou « paracétamol » plutôt que les noms commerciaux comme Advil ou Doliprane. Il existe plus de 50 noms commerciaux contenant de l’amoxicilline (rendant leur mémorisation exhaustive inenvisageable pour le pharmacien) !

 

Petite astuce pratique : lorsqu’on ne souhaite pas spécifier précisément la forme galénique du paracétamol à administrer, il est tout à fait possible de laisser cette décision au pharmacien en mentionnant simplement « po », abréviation de per os, c’est-à-dire par voie orale. On peut, par exemple, rédiger une ordonnance ainsi formulée : Paracétamol 1g, po, QSP 3 jours.

 

Les antithrombotiques

 

Le Pr Descroix a poursuivi son intervention en rappelant les recommandations fondamentales en matière de chirurgie orale chez les patients sous traitement antithrombotique. Si le risque hémorragique demeure classiquement évalué en fonction du type et de l’invasivité des actes prévus, les précautions édictées par la Haute Autorité de Santé (HAS) imposent également une prise en compte rigoureuse du risque thrombotique.

 

Rappel sur les précautions à prendre :

 

Quelques remarques importantes :

  • Concernant les patients sous antivitamines K (AVK), il est impératif de mesurer l’INR dans les 24 heures précédant l’intervention, ou au maximum dans les 72 heures. Ce dernier doit être strictement inférieur à 4 et stable. En cas de valeur supérieure, il est essentiel d’en identifier la cause et de prendre contact avec le médecin traitant pour ajuster la prise en charge.
  • Par ailleurs, il convient de rappeler que le rôle du médecin ou du cardiologue n’est pas de se prononcer sur l’opportunité d’un acte tel qu’une extraction dentaire. En tant que chirurgiens-dentistes, nous sommes les référents techniques de ce type d’intervention. Il est donc plus pertinent de solliciter leur avis quant au risque thrombotique encouru, afin de déterminer conjointement les précautions à adopter.

 

Les antalgiques

 

Le paracétamol est indiqué en première intention pour le traitement des douleurs légères, évaluées à un score inférieur à 4/10 sur l’échelle visuelle analogique (EVA). En contexte post-opératoire, lorsque l’intensité douloureuse dépasse ce seuil, il est recommandé d’associer l’ibuprofène au paracétamol en prise simultanée toutes les six heures, et non en alternance, afin d’optimiser l’effet antalgique.

Il est également possible d’associer le paracétamol au tramadol, notamment sous forme de comprimés effervescents dosés à 100 mg. À noter que, à compter du 1er mars 2025, le tramadol ainsi que la codéine ne sont délivrables que sur ordonnance sécurisée. Enfin, il convient de souligner que le néfopam (commercialisé notamment sous le nom d’Acupan) ne présente aucune indication en chirurgie dentaire. 

Une vigilance particulière s’impose lors de la prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), ceux-ci étant associés à de nombreuses contre-indications !


 

Les antibiotiques

 

Les antibiotiques ne sont pas automatiques : ce slogan demeure plus que jamais d’actualité. La Haute Autorité de Santé (HAS) prévoit d’ailleurs la publication de nouvelles recommandations au cours de l’année afin d’encadrer plus strictement leur prescription. Rappelons que la résistance aux antibiotiques a entraîné, en 2020, la mort de 100 personnes par jour en Europe. Cette problématique majeure de santé publique est aggravée par la présence croissante de résidus d’antibiotiques dans notre alimentation et notre environnement. Par ailleurs, ces traitements sont trop souvent prescrits en période d’infections virales, alors même qu’ils sont totalement inefficaces contre les virus.

 

Fait important : la résistance bactérienne aux antibiotiques est un phénomène réversible. Si l’on cesse d’exposer les bactéries à ces molécules, elles peuvent retrouver leur sensibilité naturelle. À ce titre, les professionnels de santé ont un rôle fondamental à jouer dans la préservation de l’efficacité des antibiotiques, en veillant à une prescription judicieuse, à savoir la bonne molécule, à la bonne dose et pour la bonne durée , ainsi qu’en renforçant la prévention des infections par une hygiène rigoureuse.

 

Une attention particulière doit être portée au Birodogyl, encore largement prescrit en chirurgie dentaire, alors même qu’il contribue de manière significative au développement de résistances bactériennes. De surcroît, les dosages proposés dans les formes commercialisées prêtes à l’emploi ne sont pas conformes aux recommandations de l’ANSM. En ce qui concerne l’association amoxicilline/acide clavulanique (Augmentin), son usage doit être réservé à la seconde intention, sauf en cas de sinusite maxillaire aiguë d’origine dentaire. Enfin, la pristinamycine n’est actuellement recommandée qu’en seconde intention dans le traitement des sinusites maxillaires aiguës d’origine dentaire, bien que ces recommandations soient susceptibles d’évoluer dans un avenir proche.

 

Les nouvelles recommandations concernant les patients à haut risque d’endocardite infectieuse, parues cette année, sont désormais connues de l’ensemble de la profession. Le conférencier a particulièrement insisté sur les évolutions notables par rapport aux anciennes directives, mettant en lumière les ajustements à intégrer dans nos pratiques cliniques.

 

Voici un rappel sur les patients à Haut risque d’EI, par opposition à ceux jugés à risque Modéré d’EI :

Les évolutions sont notables : les dents que l’on avulsait autrefois de manière systématique peuvent désormais être conservées. Par ailleurs, les dents déjà extraites peuvent, dans certaines situations, être remplacées par des implants, ce qui constitue une avancée majeure dans la prise en charge de ces patients.

Anciennes recommandations (lorsque l’acte est barré, cela signifie qu’il n’est plus contre-indiqué selon les nouvelles recommandations) :

 

Nouvelles recommandations :

 Chez ces patients, la réalisation d’actes implantaires n’est envisageable que sous certaines conditions strictes : une asepsie rigoureuse doit être assurée, l’utilisation de membranes de régénération osseuse est proscrite, aucune pathologie parodontale ne doit être présente, et l’hygiène orale du patient doit être jugée satisfaisante. Par ailleurs, les traitements et retraitements endodontiques sont contre-indiqués dans les cas suivants : lorsque les dents concernées ne peuvent être ni fonctionnalisées ni restaurées, lorsqu’elles présentent un support parodontal insuffisant, ou encore chez les patients non compliants. Pour ces traitements, il faut préalablement attendre la résolution complète de la symptomatologie par une antibiothérapie.

 

 Un dernier élément indispensable pour la prise en charge de patients à haut risque d’EI : en cas d’allergie aux pénicillines, la clindamycine ne constitue plus le traitement de référence pour l’antibioprophylaxie flash avant un acte invasif. Cette évolution marque un changement important dans les recommandations actuelles.


Quelques photos de cette soirée