Introduction
Le syndrome de Down (DS), également connu sous le nom de Trisomie 21, est un trouble génétique causé par la présence d’un chromosome 21 supplémentaire, provenant majoritairement d'une non-disjonction accidentelle lors de la méiose. Cela engendre une déficience intellectuelle et affecte la croissance et le développement crâniofacial (Rondón-Avalo et al 2024).
La prévalence mondiale se situe entre 1 sur 400 et 1 sur 3 000 naissances vivantes. Cela dépend en grande partie de facteurs non médicaux, notamment des politiques publiques en matière de diagnostic prénatal et de soins aux personnes handicapées. Le risque d'avoir un bébé atteint de trisomie 21 augmente, et ce, de manière identique dans toutes les populations, avec l'âge de la mère. L'espérance de vie médiane est désormais supérieure à 60 ans dans les pays développés. (Touraine 2019)
Le tableau clinique général du Syndrôme est défini par un visage caractéristique (visage rond et plat, nez court, yeux en amande), un physique de petite taille, une hypotonie musculaire et des malformations cardiaques congénitales et/ou endocrinopathies (Díaz-Quevedo et al 2021)
Les patients porteurs de la maladie présentent également des complications sur le plan oro-facial et dentaire, et en particulier sur le plan parodontal. En effet, la dernière classification des maladies parodontales classe le Syndrôme de Down parmi les troubles systémiques impactant la destruction des tissus parodontaux en influençant l’inflammation parodontale (Jepsen et al 2018).
Quel est le lien entre le syndrôme de Down et la maladie parodontale ? Les patients porteurs de trisomie 21 ont-ils plus de risque de développer une maladie parodontale ? Si oui, ce risque est-il inné (génétique) ou comportemental ?
Caractéristiques oro-faciales
Sur le plan oro-facial, les patients porteurs du Syndrome de Down présentent une prévalence plus élevée d’altérations orales, en particulier :
En conséquence, les patients porteurs du Syndrôme de Down doivent être évalués cliniquement à un âge précoce afin de détecter certaines difficultés orales qui se présenteront lors de leur croissance (Nordstrom et al 2020).
Fig. 2 : Vues endobucales de face en OIM et en désocclusion
Impact sur la qualité de vie
La qualité de vie des patients porteurs de trisomie 21 est impactée indirectement en raison des conséquences au niveau de leur santé générale. Ils présentent notamment un indice de masse corporelle plus élevé et un risque accru d’obésité comparés aux patients sains (Xanthopoulos et al 2017). D'autre part, il a été démontré que les patients atteints de trisomie sont affectés par une faible motivation en raison de leurs difficultés d'expression verbale et de complications liées au langage. Par conséquent, des stratégies doivent être développées pour gérer ces problèmes afin de produire des changements positifs et d'améliorer leur qualité de vie (McDaniel et al 2016).
Cependant, leur fonctionnement émotionnel reste intact : il est similaire entre les patients atteints du syndrôme et les patients sains, notamment chez les enfants. En effet, les enfants trisomiques présentent un risque plus faible de psychopathologie comparés aux enfants porteurs d’autres déficiences intellectuelles. De plus, les familles présentent un niveau de stress réduit ainsi qu’une perspective d’avenir plus positive. Les risques de dépression chez les patients trisomiques augmentent au moment de l’adolescence et de l’entrée à l’âge adulte en raison des chamboulements émotionnels qui accompagnent ces périodes de la vie (incidence accrue de dépression chez les adultes de 11%) (Xanthopoulos et al 2017).
Associations parodontites et syndrome de Down
Selon la dernière classification des maladies parodontales, le syndrome de Down figure parmi les maladies systémiques impactant la destruction des tissus parodontaux en influençant l’inflammation parodontale (Jepsen et al 2018).
Les chercheurs ont tenté de déterminer la nature de cette association : est-elle directe ou indirecte ? Pour rappel, la maladie parodontale est causée par une accumulation de biofilm bactérien provoquant une dysbiose entre le microbiote et les défenses de l’hôte. Cela entraîne une réaction inflammatoire à l’origine d’une destruction des tissus parodontaux.
Lien direct
Certains facteurs génétiques jouent un rôle important dans l’apparition et le développement de la parodontite bien que ces facteurs n’aient pas encore été totalement déterminés. L’étude de Fernandez en 2021 a tenté de détecter les variations génétiques associées à la présence de parodontite chez les patients porteurs du Syndrôme de Down, et ainsi d’identifier les gènes de susceptibilité qui peuvent aider à prédire son apparition.
Deux groupes de patients ont été évalués : un groupe de 50 patients trisomiques atteints de parodontite versus un groupe de 36 patients trisomiques au parodonte sain. Une analyse de leur génome a été menée et les résultats indiquent que 2 gènes sont impliqués dans la pathogenèse de la parodontite en altérant la prolifération cellulaire (lymphocyte T et B) et la réponse inflammatoire de l’hôte. Cependant l’association trouvée n’est pas statistiquement significative (Fernández et al 2021).
Une autre étude cas-témoins a cherché à identifier les différences dans l’expression des gènes liés à l’inflammation en comparant les patients trisomiques atteints de maladie parodontales aux patients trisomiques sans maladie parodontale. Sur les 92 gènes liés à l’inflammation qui ont été sélectionnés initialement, seuls 4 ont montré une expression différentielle statistiquement significative dans les deux groupes de patients. Il existe bien une différence dans l’expression des gènes liés à l’inflammation chez les patients atteints du Syndrôme de Down en présence d’une inflammation orale chronique.
Il faut souligner qu'il sera nécessaire de réaliser des études plus approfondies pour la validation de l'expression des gènes identifiés dans cette étude afin de pouvoir confirmer les résultats obtenus (Baus-Domínguez et al 2019).
Lien indirect
Prise en charge
Diagnostic
Le diagnostic repose sur un examen clinique et radiologique. Idéalement, il convient de faire un bilan long cône rétro-alvéolaire. Cependant, la panoramique peut s’avérer utile dans le diagnostic des maladies parodontales chez les patients trisomiques, en fonction du degré de coopération du patient au fauteuil (Scott et al 2023).
Éducation thérapeutique
L’enseignement à l’hygiène orale fait partie intégrante de tout traitement parodontal. Il consiste à induire des changements de comportements et habitudes de brossage chez les patients. Une étude observationnelle a cherché à évaluer la santé parodontale des patients atteints de trisomie 21, ainsi que l’impact social, comportemental et familial.
Les résultats montrent que le risque de parodontite est augmenté chez les patients trisomiques de 20 ans (4,7 fois) en comparaison aux adolescents trisomiques de 14 à 20 ans. Ainsi, le risque de parodontite augmente avec l’âge.
De plus, ce risque est 4 fois plus élevé chez les patients non autonomes au brossage (aidés de leurs parents) comparés aux patients autonomes.
Cela peut sembler paradoxal : si les parents brossent avec leur enfant, l’hygiène n’en serait que meilleure. En réalité, l’étude explique qu’une plus grande implication des parents dans le brossage dès le plus jeune âge les a rendus plus autonomes à l’âge adulte (Nuernberg et al 2019).
Cela se confirme dans une autre étude cherchant à établir la relation entre les connaissances des parents en matière d’hygiène orale et le niveau réel d’hygiène oral des enfants trisomiques. Pour cela, un questionnaire a été remis aux parents pour évaluer leurs connaissances, puis un examen clinique a été mené par le praticien pour déterminer l’indice de plaque des enfants trisomiques. Les résultats montrent significativement que plus les connaissances des parents en matière d’hygiène orale sont élevées, plus l’indice de plaque retrouvé chez leur enfant est faible (Sosiawan et al 2022).
Par ailleurs, l’utilisation de révélateurs de plaque chez les patients atteints de trisomie 21 a montré une réduction significative de l’indice de plaque. En effet, il contribue à une meilleure perception des régions inaccessibles au brossage pour les patients, mais également pour les aidants (famille ou professionnels) (Yehia et al 2024).
Thérapeutique non chirurgicale et chirurgicale
La thérapeutique non chirurgicale est sensiblement la même chez un patient atteint de trisomie que chez n’importe quel autre patient non syndromique, atteint de parodontite. Elle consiste en un débridement des poches à l’aide d’une instrumentation professionnelle (curettes et inserts ultrasoniques) et/ou adjonction d’agents anti-microbiens.
Une revue systématique et méta-analyse de 2024 s’est intéressée à évaluer l’efficacité du traitement parodontal non chirurgical chez les patients trisomiques en comparaison aux patients sains (Yehia et al. 2024). Le nettoyage professionnel accompagné d’un renforcement de l’hygiène orale s’est avéré moins efficace dans la réduction de la profondeur de poches chez les patients atteints du Syndrôme de Down. Ce résultat peut s’expliquer par une différence inhérente dans la flore microbiologique sous gingivale entre les 2 groupes, contribuant ainsi à une sensibilité accrue et à des formes d’expression plus sévères pour les patients trisomiques. De plus, les défenses de l’hôte étant altérées, la question d’une antibiothérapie adjuvante au traitement mécanique local se pose. De futures études devraient être menées pour y répondre.
Ces modalités de traitement parodontal sont tout de même efficaces pour la réduction de poches peu profondes de 1 à 4 mm, d’où l’importance d’une prise en charge à un stade précoce. Dans le cas de poches plus profondes supérieur ou égal à 6 mm, les thérapeutiques chirurgicales par lambeau d’assainissement restent plus adéquates pour traiter les formes plus sévères de maladie parodontale. La prise de décision doit se faire en fonction du degré de compliance du patient syndromique, et de son taux d’anxiété par rapport à l’intervention (Yehia et al. 2024).
Une thérapeutique parodontale de soutien doit être menée à vie en fonction du profil du patient et du stade de sa maladie parodontale. Souvent, ces rendez-vous réguliers vont permettre au patient de se sentir plus en confiance avec le praticien, et d’améliorer son implication dans le traitement. Le praticien pourra alors adapter sa thérapeutique au fur et à mesure des soins.
Conclusion
Les patients atteints du Syndrôme de Down sont plus susceptibles au développement de maladies parodontales en raison de défenses immunitaires défaillantes et d’une flore microbiologique modifiée. Les gingivites et parodontites se déclenchent à un âge plus précoce et les formes d’évolution sont plus sévères.
Mettre l’accent sur la prévention orale chez ces patients est crucial, et l’implication de l’entourage est essentielle pour leur santé bucco-dentaire et bien être général. Des examens dentaires réguliers, des nettoyages professionnels et une éducation à l’hygiène bucco-dentaire sont des stratégies efficaces de prévention à mettre en place dès le plus jeune âge.
Des traitements parodontaux sur mesure pourraient aider à répondre aux besoins spécifiques de cette population et améliorer les résultats du traitement.
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