La publicité en orthopédie dento-faciale

dossier En direct du DU Médico-légal

AO News #50 - Juin 2022

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2. PUBLICITE EN ORTHOPEDIE DENTO FACIALE
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 Introduction

 

La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce énonce clairement le Code de santé publique en son article R4127-19. Cette interdiction implique de fait celle de la publicité, activité très étroitement liée au commerce. Ainsi, le dictionnaire Larousse la définit comme l’activité ayant pour but de faire connaître une marque, d'inciter le public à acheter un produit, à utiliser tel service, etc. ; l’ensemble des moyens et techniques employés à cet effet1.

L’Union Européenne précise quant à elle cette définition ainsi : toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations2.

Malgré l’interdiction de la publicité dans le domaine médical, dentaire et orthodontique, un fort besoin de communication se fait ressentir chez les praticiens. Les patients, quant à eux, sont également en demande d’information et de transparence de la part des professionnels qui les soignent. A ce jour, en France, l’orthodontiste fait toujours face à la prohibition traditionnelle, par la déontologie et la législation de la publicité commerciale, il convient d’analyser les récentes évolutions notamment venant des autorités judiciaires qui ont ouvert une brèche afin de permettre une certaine libéralisation.

 

L’interdiction traditionnelle de la publicité en orthodontie

 

Le Code de santé publique, reprenant les dispositions du Code de déontologie médicale formule expressément l’interdiction, dans une section intitulée Devoir généraux des médecins, en établissant à l’article R 4127-19 que la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale.

Cette interdiction est posée en des termes larges, avec une liste non exhaustive d’activités interdites dans le code de déontologie des chirurgiens-dentistes, applicable à l’ensemble des praticiens du secteur : La profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce (Article R4127-215 du Code de la santé publique). Ceci est complété par l'article R 4127-225 du Code de déontologie qui ajoute l’interdiction pour le chirurgien- dentiste de toute publicité, toute réclame personnelle ou intéressant un tiers ou une firme quelconque.

 

L’autorisation encadrée de la communication à titre informatif

 

Le Code de santé publique et le Code de déontologie des chirurgiens-dentistes ouvrent la voie à la communication d’information à certaines conditions. En particulier, les articles R4127-216 à R 4127-218 du Code de déontologie précisent que le praticien peut faire figurer certaines informations sur les imprimés professionnels, les annuaires, les plaques professionnelles.

Le Code de déontologie prévoit en outre que le chirurgien-dentiste peut communiquer concernant son installation ou sa cessation d’activité, l’ouverture, la fermeture du cabinet, etc. Dans ce cas, tout communiqué doit faire l’objet d’un agrément préalable du conseil départemental de l’ordre, qui vérifie leur rédaction et leur présentation et fixe le nombre maximal de parutions auquel un communiqué peut donner lieu3.

Avec le développement des nouveaux médias, le Conseil de l’Ordre a reconnu la nécessité et la pertinence pour les praticiens de mettre à profit les nouveaux moyens de communication, notamment les sites internet. Toutefois, ils doivent scrupuleusement suivre les recommandations de l’Ordre et ne pas dépasser la frontière entre transmission de l’information professionnelle et publicité.

Le Code de déontologie a ainsi été complété par deux chartes permettant de guider les chirurgiens-dentistes dans leur utilisation des médias et d’internet. La première, parue en juin 2014, est la Charte ordinale relative à la publicité et à l’information dans les médias. La seconde est la Charte ordinale applicable aux sites web des chirurgiens- dentistes, éditée dès le 12 décembre 2009 et mise à jour régulièrement, dont la dernière version date de novembre 2015. Mais ces deux chartes ont été récemment remplacées et réunies dans une seule, déontologique, faisant suite aux évolutions notables de la jurisprudence en matière de publicité.

Ainsi, le Conseil d’Etat rappelle qu’outre les indications contenues expressément dans le Code de santé publique, le praticien peut également faire figurer sur son site internet, des informations médicales à caractère objectif et à finalité scientifique, préventive ou pédagogique. En aucun cas cependant lesdites informations ne peuvent constituer un élément de publicité et de valorisation personnelle du praticien et de son cabinet.

 

Évolutions : vers une autorisation d’une forme de publicité ?

 

Une décision récente de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a suscité de très nombreuses réactions de la part des acteurs du monde médical en semblant signer la fin de l’interdiction absolue de la publicité.

En 2008, la CJUE se prononçait sur une question préjudicielle concernant une loi belge : la loi du 15 avril 1958, qui interdisait les activités publicitaires en matière de soins dentaires. Par décision en date du 13 mars 2008, la Cour affirme alors que ces articles ne s'opposent pas à une législation nationale4.

Un revirement de jurisprudence est opéré par une décision du 4 mai 2017 de la CJUE5. Un praticien dentaire exerçant en Belgique avait fait l’objet de poursuites pénales du fait de publicité pour des prestations de soins dentaires en violation du droit belge, par le biais notamment d’un panneau comportant ses coordonnées, et des annonces publicitaires dans des journaux. Ce praticien se défendait alors en soutenant que la législation belge interdisant de manière absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires était contraire au droit de l’Union.

Selon la Cour, la directive 2000/31 doit permettre aux membres d’une profession réglementée d’utiliser des services de la société de l’information afin de promouvoir leurs activités, sous réserve toutefois du respect des règles professionnelles visant, notamment, l’indépendance, la dignité et l’honneur de la profession réglementée concernée ainsi que le secret professionnel et la loyauté tant envers les clients qu’envers les autres membres de cette profession.

La CJUE retient toutefois qu’une législation ne peut pas interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité en ligne destinée à promouvoir l’activité d’une personne exerçant une profession réglementée sans faire obstacle à la réalisation de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union. La Cour en conclut ainsi qu’une interdiction générale et absolue de toute publicité pour des prestations de soins buccaux et dentaires est incompatible avec le droit de l’Union européenne. En conséquence de cet arrêt, il apparait que le droit français n’est en l’état, plus conforme au droit européen.

Le droit français et les autorités concernées se sont donc emparées de la question, à la suite de la nouvelle jurisprudence de la CJUE. Ainsi, le Conseil d’Etat a rendu un rapport en date du 3 mai 2018 qui retient que compte tenu de la demande du public de transparence sur l’offre et de l’essor de l’économie numérique, les restrictions actuelles en matière d’informations dans le domaine de la santé peuvent être rendues obsolètes. Le Conseil d’Etat émet ainsi 15 propositions visant à assouplir et étendre les moyens pour les médecins de communiquer au patient sur leurs compétences et pratiques professionnelles.

La proposition n°5 vise en particulier à supprimer l’interdiction de la publicité directe ou indirecte dans le Code de la santé publique et poser un principe de libre communication des informations par les praticiens au public, sous réserve du respect des règles gouvernant leur exercice professionnel.

Après le Conseil d’Etat, l’Autorité de la concurrence s’est prononcée le 15 janvier 2019 sur la question des pratiques dans le secteur de la promotion par Internet d’actes médicaux6, dans le cadre d’une affaire opposant la société Groupon et le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM).

L’Autorité constate dans sa décision l’incompatibilité de la loi française avec les exigences européennes et conclut qu’il convient de modifier à brève échéance, les dispositions réglementaires relatives à la publicité, afin de tenir compte de l’évolution de la jurisprudence de la CJUE.

Ces différentes études et décisions témoignent ainsi d’une évolution significative, mais relative, le législateur n’ayant pas encore procédé aux modifications proposées. Des changements sont intervenus, pour les chirurgiens-dentistes, sous l’impulsion du Conseil de l’Ordre, par la diffusion d’une nouvelle charte en 2019 relative à la communication du chirurgien-dentiste7, remplaçant les chartes précédentes. Comme précédemment, le chirurgien-dentiste peut intervenir dans les médias, sous réserve de ne faire part que des données acquises de la science et des travaux reconnus scientifiquement, et que la communication reste professionnelle. La charte apparait donc plus concise, ouvre de nouvelles possibilités en tenant compte des évolutions technologiques et part du principe que désormais la communication est libre.

L’évolution demeure néanmoins limitée, et en aucun cas elle n’ouvre au chirurgien- dentiste la possibilité d’une publicité commerciale.

 

Conclusion

Suite aux récentes études et décisions citées dans la présente étude et notamment à la jurisprudence européenne, de nouvelles règles devraient voir le jour dans un futur proche en France.

 

Bibliographie

1. Encyclopédie Larousse en ligne, accessible à l’url : https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/publicit %C3%A9/84214

2. Directive 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative.

3. Article R 4127-219 du Code de santé publique

4. Cour de justice de l'Union européenne, 2ème Chambre, Arrêt du 13 mars 2008, Affaire nº C-446/05

5. CJUE, 3ème chambre, 4 mai 2017 (affaire C-339/15 - ECLI:EU:C:2017:335), accessible à https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2017-05/cp170045fr.pdf -

6. Autorité de la concurrence, Décision n° 19-D-01 du 15 janvier 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la promotion par Internet d’actes médicaux

7. Charte ordinale relative à la communication du chirurgien-dentiste, version du 24 juin 2019