Mon maître et mon vainqueur

François-Henri Désérable

Grand prix 2021 de l’Académie Française

AO News #49 - Avril 2022

Rubrique animée par Joël ITIC


L’amour ou la tendresse… Bordel ! Pourquoi choisir …

Je vous avais loué, il y a peu dans cette rubrique, le précédent ouvrage de ce jeune auteur prometteur, Un certain M. Piekielny, partageant ainsi avec F.H. Désérable une admiration inconditionnelle pour Romain Gary. Un matin, à l’heure où la machine à café remplit sa première mission vitale, nous écoutions à la radio avec mon épouse, une interview de l’auteur à l’occasion de la sortie de son nouveau livre. Nous avons d’emblée été séduits par sa voix grave, chaleureuse et sensuelle, et plus encore par son phrasé subtil mais sans emphase, fluide, naturel et ses réponses érudites, cultivées mais sans la moindre condescendance. Bref, un coup de foudre au point de délaisser sur le champ mon croissant pour noter ce titre sur la liste de mes envies ! Qu’on ne se méprenne pas, cher lecteur, je revendique ici mon hétérosexualité invariante, certaines voies (sic) sont à l’image de celles du Seigneur, impénétrables !

Le titre d’abord, un peu énigmatique…Milan Kundera ayant créé parmi les plus beaux titres de roman - L’insoutenable légèreté de l’être, La fête de l’insignifiance, La valse aux adieux etc. … - l’auteur, ne souhaitant pas rivaliser, a repris un vers de Verlaine (personnage clé, en arrière-plan dans le roman) : Je rends grâce à la nature d’avoir fait de ton cœur mon maître et mon vainqueur.

Le sujet : F.H. Désérable nous parle ici d’amour, mais d’un amour fulgurant, total, incandescence sublime des corps et des âmes. Est-il sujet plus impérieux que de parler aujourd’hui d’amour au temps du choléra ? La réponse est évidente, je n’oublie pas d’ailleurs que ma première critique dans ces colonnes était Belle du Seigneur, titre tout aussi magnifique et un des plus beaux romans d’amour de la littérature française. La liste des grands romans d’amour est innombrable, de Stendhal à Flaubert en passant par B. Vian (L’arrache-cœur), A. Cohen ou M. Kundera, chaque écrivain a peint toutes les complexités du cœur amoureux. F.H. Désérable s’intéresse à la passion, à l’amour pulsionnel, forcément déraisonnable, en ce qu’il efface toute logique et tout autre sujet. La passion dévorante, sans tabous ni limites ou l’amour dans la durée, pérenne et serein ? Quelle réponse, cher lecteur, donneriez-vous à cette question cruciale ? J’ai, dans les différentes demeures de ma vie, maisons ou appartements, toujours privilégié un élément central et ce sans aucune exception : une cheminée. J’ai toujours été fasciné par le feu de cheminée, synonyme de chaleur et de bien-être, il favorise l’apaisement et la méditation. Lorsqu’on allume ce feu, grâce aux petits bois, l’embrasement de ce buisson ardent, fait jaillir de hautes flammes puissantes, jaunes orangées, d’une chaleur intense, c’est l’image que j’ai de cet amour pulsionnel. Bientôt les buches harmonieusement disposées prennent le relai, les flammes deviennent plus douces, plus petites légèrement bleutées, ainsi le feu savamment entretenu peut durer toute la nuit, toute une vie, symbole de l’amour profond. La langue française a des subtilités surprenantes. En l’occurrence, le foyer désigne à la fois l’espace du feu et lorsqu’il est conjugal, le domicile du couple, on est bien au cœur du sujet ! Vasco et Tina sont foudroyés par un amour pulsionnel irrépressible, pourtant Tina aime profondément Edgar, elle doit l’épouser, fonder une famille car il vient de lui donner deux jumeaux. Un choix est inévitable, il sera forcément dramatique, et c’est ainsi que le narrateur, F.H. Désérable, meilleur ami de Vasco et confident des deux amants se retrouve dans le bureau d’un juge d’instruction. Il explique l’histoire de cette relation avec l’aide d’un cahier de poèmes de Vasco et d’une pièce à conviction. Je vous laisse bien sûr découvrir l’issue du drame.

Le style : C’est superbement écrit, le style est travaillé mais fluide, naturel et riche de références littéraires. L’auteur est facétieux, l’humour est constamment présent, il pousse même son talent jusque dans la poésie, en contrepoint des ébats sexuels de Tina et Vasco (des journées entières, plusieurs jours de suite). Chers lecteurs pour qui ces marathons ne sont plus d’actualité, pour ainsi éviter tous complexes, il y a la tendresse bordel* … et la poésie : Son souvenir est un soleil qui flambe en moi et ne veut pas s'éteindre (Verlaine après la mort de Rimbaud).

 

* Pour les plus jeunes : Et la tendresse bordel : Comédie culte de la fin des années 70