Chaque automne voit la venue de la Journée des 5 chirurgies en direct de l'Hôpital Américain de Paris réalisée par l'équipe de l'Oral Rehabilitation Center (ORC) autour des Drs Mithridade Davarpanah et Stéphane de Corbière. L'ORC fait partie du Pôle Tête & Cou dirigée par le Dr Patrick Aidan, à ce titre elle bénéficie de l'infrastructure de l'Hôpital Américain au niveau des salles opératoires, de son auditorium ainsi que de l'organisation de la retransmission en direct des chirurgies.
L'ambiance de cette journée est toujours chaleureuse de par son format caractéristique, une salle pouvant accueillir 180 personnes et pas plus, un buffet savoureux et l'occasion d'échanger avec des collègues venus de la France entière dans un cadre cosy et avenant.
Chaque année, les organisateurs invitent plusieurs praticiens renommés et c'est l'occasion de les voir travailler, transpirer, expliquer leurs gestes et leur démarche dans le traitement des patients qui leur ont été confiés.
De grands noms ont eu l'occasion de montrer leur talent dans cette salle obscure où ce qui se passe sur l'écran occupe toute l'attention des praticiens venus pour l'occasion.
En 2016, la journée des 5 chirurgies en direct eut lieu le Samedi 15 Octobre. Le ton fut résolument européen et le rythme endiablé des 5 chirurgies mené par des praticiens venus de Montpellier en France pour Philippe Colin, de Milan en Italie pour Mattéo Capelli et de Münster en Allemagne pour Arndt Happe. Ces collègues sont tous connus dans leur pays respectifs, c'est pourquoi il n'est pas nécessaire de présenter Philippe Colin dont le sérieux, la rigueur et la compétence en implantologie sont établis depuis de longues années dans l'Hexagone.
Evolution des contenus et des interventions
Les afficionados de cette journée de 5 chirurgies en direct, qui la suivent depuis la dizaine d'année qu'elle se perpétue - et ils sont nombreux - , ont vu l'évolution des contenus et des types d'intervention. Les premières interventions portaient sur des aspects purement chirurgicaux en relation avec le traitement des pertes de volume osseux dans les secteurs postérieurs, greffe sinusienne par soulèvement de sinus par abord crestal ou latéral, greffes osseuses horizontales ou latérales et introduction de la piezo-chirurgie encore connue sous chirurgie ultrasonore, sa dénomination plus scientifique. Des praticiens nationaux des 4 coins de France tenaient le scalpel.
Cependant, ces dernières années ont suivi de très près l'évolution des centres d'intérêts de la profession. Le focus s'est déplacé en direction de la maîtrise des réalisations esthétiques dans le secteur antérieur, en travaillant les tissus durs puis les tissus mous, ainsi qu'en direction de l'application des nouvelles techniques digitales de confection des restaurations implanto-portées.
Une organisation pointue, avec une nouveauté, la traduction en anglais
A ces occasions, des praticiens francophones sont venus des pays limitrophes, de Belgique, d'Allemagne ou du Portugal. Mais cette
année, c'était la première fois que dans l'auditorium résonnait la langue anglaise, la langue parlée par les implantologistes européens de niveau international. C'était aussi la première fois
qu'une traductrice était sollicitée pour expliciter le savoir pratique transmis en direct depuis le bloc opératoire situé au 3è étage d'un des bâtiments de l'Hôpital Américain de Paris vers
l'amphithéâtre du rez-de-chaussée.
Pour ces praticiens venus de loin pour traiter les 5 patients prévus au cours de la journée, l'équipe organisatrice composée de chirurgiens et de praticien-prothésistes avec les Drs Mithridate Davarpanah, Philippe Rajzbaum, Pascal Zyman, Elisabeth Serfati, Sarah Sater, Keyvan Davarpanah et Serge Szmukler-Moncler avait préparé 10 patients, un patient par chirurgie ainsi que son back-up. Car pour chacun de ces 5 patients pressentis, un patient de remplacement est systématiquement prévu, dans le but de parer au cas où l'un d'entre eux tomberait sous le coup d'un imprévu qui l'empêcherait de se présenter à l'admission de l'Hôpital. C'est toute une organisation que la préparation de ces patients, que les collègues ne perçoivent pas depuis leur fauteuil, confortablement assis. Elle est mise en place de longs mois avant la journée passée au bloc opératoire. Elle requiert une orchestration sans faille des patients, du matériel, des chirurgiens dans les 2 blocs opératoires et de la régie qui passe d'un bloc opératoire à l'autre à la demande des modérateurs de la journée.
Le choix des patients
Mais avant tout cela, il faut trouver et sélectionner des patients nécessitant le traitement implantaire répondant aux thématiques thérapeutiques de la journée ainsi qu'à chaque sous-thématique abordée lors de chacune des chirurgies. Les patients sont tout d'abord présélectionnés par l'équipe de l'ORC et l'avis de chaque chirurgien est sollicité jusqu'à obtenir son accord. Ces patients proviennent en général soit de la clientèle privée des praticiens investis dans l'organisation de l'évènement ou encore mieux du staff de l'Hôpital Américain. Ils ont l'énorme avantage de recevoir leur soin implantaire à titre gracieux, en échange de leur participation aux interventions en direct. Car le patient doit aussi fournir un effort de son côté, il doit être disponible pour monter son dossier, se soumettre à plusieurs séances de photographies prises sous différents angles et à une préparation pour le jour de la chirurgie en direct.
Les organisateurs ont encore le souvenir d'un adulte d'âge moyen il y a quelques années, lorsque le traitement de l'édenté complet était le thème de la journée. Il avait été identifié parmi la patientèle d'un hôpital de la banlieue parisienne par l'un des assistants de l'équipe. Le traitement implantaire de son maxillaire en fort mauvais état avait complètement été pris en charge; extraction, implantation immédiate et mise en temporisation immédiate le même jour. Fou de joie, peinant à réaliser son incroyable chance, il avait lancé la plaisanterie suivante : la publicité du Loto dit que 100% des gagnants ont joués et ont tenté leur chance alors que pour ma part j'ai gagné le gros lot sans même avoir joué. Il était revenu, reconnaissant, annonçant que le traitement de son maxillaire et donc de son sourire avait relancé sa vie qui se délitait sous lui. On n'a d'ailleurs aucune peine à le croire sur parole car nombre d'entre nous sommes confrontés à des situations similaires.
Cette année, le titre annoncé : 'Déficiences esthétiques et
vieillissement des tissus implantaires, prévenir et
corriger'.
On devine qu'il s'agit là de tout un programme en amont et en aval du geste implantaire. A présent qu'obtenir l'ostéointégration est un fait acquis, bien maîtrisé et appliqué dans le secteur esthétique, le titre de la journée de chirurgies colle précisément aux préoccupations à long terme des confrères implantologistes. Il pose la question des gestes qu'il est possible de mettre en œuvre au niveau des tissus durs et/ou des tissus mous pour assurer une pérennité au résultat esthétique habituellement obtenu sur le court terme, gestes effectués tant en amont ou qu'en peropératoire (Davarpanah et coll. 2016). Car si, en règle générale, les praticiens peuvent sans trop se dédire garantir le traitement implantaire sur la longue durée, il n'en va pas de même quant à assurer le résultat esthétique octroyé par les tissus mous. Après quelques années de fonction, il est fréquent d'assister autour d'un ou de plusieurs implants à un vieillissement gingival décevant. L'esthétique devient défaillante et le patient revient pour demander à retourner en arrière dans le temps sur le plan esthétique. Qu'est-il possible de faire alors ? La question immédiate qui surgit aussi porte sur l'éventualité qu'un geste qu'il aurait été possible d'effectuer lors de la chirurgie initiale. Cela aurait-il suffi à éviter la difficulté voire le désastre auquel on fait face après une décennie de fonction occlusale, voire plus ?
Ce savoir n'est pas encore bien établi et seules des hypothèses peuvent être ébauchées. Elles procèdent d'une certaine logique mais elles doivent encore se soumettre aux avanies que le temps ne manquera pas de provoquer. Les organisateurs ont consacré le dernier chapitre de leur avant-dernier livre 'Enjeux et Défis en Implantologie' paru en 2014 à cette problématique (Davarpanah et coll. 2014). Et on peut même dire que le titre de la journée répond en miroir à ce chapitre qui clôt l'ouvrage. Ils formulent l'hypothèse d'une approche maximaliste car c'est tout ce qu'il est possible de faire en l'état actuel de nos connaissances. Elle consiste à combiner geste sur les tissus durs et geste sur les tissus mous. Chaque fois que l'esthétique intervient dans l'équation, une greffe tissulaire est exécutée, elle est destinée à renforcer l'épaisseur de la lamelle vestibulaire, le biotype et d'assurer un feston que l'on espère conserver durant de longues années. Pour l'instant, seul un suivi de 5 à 9 ans sur 41 patients va dans ce sens (Buser et coll. 2013) et il nous faudra encore attendre longtemps le verdict du bien-fondé de cette hypothèse.
Les 5 chirurgies réalisées dans le secteur antérieur réunissent un mix de cas nécessitant des gestes au niveau des tissus durs (fig. 1a-d) suite à une perte importante de volume osseux ainsi que des cas requérant des gestes limités au niveau des tissus mous (fig. 2a-d). Plus particulièrement, un cas d'extraction-implantation immédiate avec temporisation immédiate, un cas d'extraction-implantation immédiate avec une greffe de tissu conjonctif et une temporisation à l'aide d'un bridge collé sur les dents adjacentes, 2 cas de reconstruction osseuse, l'une réalisée à l'aide d'un prélèvement ramique (fig. 1a-d) et l'autre à l'aide d'un prélèvement symphysaire, enfin un cas de récession gingivale sur un implant à traiter sur le plan esthétique (fig. 2a-d). C'est là toute une panoplie de cas qui se présentent immanquablement en consultation et dont le traitement ne va pas de soi.
Pour son patient à traiter en ce jour, Arndt Happe a mis en application les principes du coffrage osseux appris chez son mentor Fouad Khoury de Münster en Allemagne, lequel avait honoré de sa présence l'évènement chirurgical de l'année 2015.
Pour la préparation de la logette implantaire dans le site post-extractif, Mattéo Capelli formé à l'école milanaise de Tiziano Testori, avait choisi d'utiliser des inserts vibrants ultrasonores. Ils permettent d'éviter de déraper lors de la préparation de l'encoche dans la table palatine, ainsi que l'ont démontré pour la première fois Blus et Szmukler-Moncler en 2010. Pour traiter la greffe conjonctive placée sur le site implantaire qui avait subi une récession, Mattéo Capelli, pour sa deuxième chirurgie, avait choisi d'apposer des membranes de PRF que Joseph Choukroun présent en salle d'op avait pris le soin de préparer.
Pour Philippe Colin aussi, lors de la reconstitution du volume osseux de son patient, une abondance de membranes PRP était prête à l'usage. Mais surtout Joseph Choukroun avait mis en œuvre le i-PRF qu'il a récemment développé (Mourão et coll. 2015). Il faut nous arrêter un instant sur le i-PRF où le i renvoie à 'injectable' et qui est une trouvaille impressionnante. En changeant les conditions de vitesse et de temps de l'ultracentrifugation, le contenu des culots d'ultracentrifugation est complètement modifié. Et ce liquide injecté dans un mélange de BioOss, d'os autologue et de membranes PRF coupées menu fige l'ensemble et l'agrège en un 'steak' consistant qu'il est possible de manipuler et de former à volonté (fig. 3). Cette texture qui ne se délite pas semble répondre aux besoins d'une vraie préservation d'espace et cela peut expliquer le résultat obtenu au niveau du patient montré aux figures 1a-d.
Après leurs interventions, descendus des blocs opératoires, les chirurgiens partagèrent de vive voix leur longue expérience clinique avec la salle. Le titre choisi par Philippe Colin fut 'Tissus mous, lyse osseuse et manœuvre iatrogènes'. Les causes les plus connues de la lyse crestale comme le dévissage fréquent des piliers prothétiques, le matériau choisi, l'épaisseur des tissus mous et la présence de ciment de scellement furent bien évidemment mentionnées. Mais une cause bien moins connue fut aussi abordée dans le détail, celle de la propreté de l'état de surface des piliers prothétiques, des vis de cicatrisation et de leur contamination. Divers traitements ont été proposés dans la littérature mais celui qui a retenu l'attention de Philippe Colin est un nettoyage aux ultra-sons dans de l'acide acétique à 40 % durant 10 mn, suivi d'un rinçage aux ultra-sons de 5 mn dans de l'eau déminéralisée.
Les 3 premières chirurgies de la matinée furent menées tambour battant sur 2 blocs opératoires en alternance alors que la régie passait d'une chirurgie à l'autre en la zoomant spécifiquement sur l'écran principal, en fonction de l'intérêt de la salle pour les gestes exécutés sous nos yeux. Les 2 dernières chirurgies se déroulèrent l'après-midi suite au déjeuner-buffet savoureux servi dans le Garden de l'Hôpital Américain. Le temps passa très rapidement, entrecoupé par les nombreuses questions que les confrères ne manquèrent pas de poser durant les chirurgies, lors les présentations de chacun des chirurgiens ainsi que durant celle de Joseph Choukroun.
La prochaine édition déjà programmée
La journée de 5 Chirurgies en direct de l'année prochaine est déjà planifiée. Elle aura lieu le Samedi 7 Octobre 2017 et les organisateurs nous ont concocté un programme explosif avec des noms de renommée mondiale, car Gioavanni Zucchelli de Bologna, le maestro connu de la chirurgie muco-gingivale ainsi que Nitzan Bichacho de Tel Aviv, un autre maître de prothèse seront présents ce jour-là. Nul doute que l'évènement sera couru. Il faudra donc s'y prendre à temps pour s'inscrire à cet évènement qui a pris toute sa place la kyrielle des formations en implantologie. La salle n'est pas extensible; elle ne peut contenir que 180 personnes, pas une de plus, consignes de sécurité obligent.
Fig. 1
Cas d'une patiente nécessitant une reconstruction osseuse volumineuse.
a. Situation préopératoire de la temporisation par bridge collé.
b. Radiographie montrant le bridge ainsi que la perte de tissu osseux.
c. Situation clinique à 1 semaine avant la dépose des fils de suture.
d. Situation clinique à 2 mois montrant le gain osseux généré.
(Prothèse provisoire : Dr P. Rajzbaum)
Fig.2
Cas d'une patiente nécessitant une intervention au niveau des tissus mous.
a. Situation préopératoire montrant une récession gingivale autour d'un implant.
b. Radiographie montrant des niveaux osseux péri-impantaires satisfaisant.
c. Situation clinique à 1 semaine.
d. Situation clinique à 2 mois montrant le gain de tissu mous au niveau cervical.
Fig. 3
Greffe osseuse rendue compacte et consistante par le i-PRF.
Cette consistance a été obtenue en injectant du i-PRF dans un mélange composé de BioOss, d'os autogène et de membranes PRF coupées menu