Le Musée de l’Orangerie a choisi de célébrer le centenaire des Nymphéas en organisant cet accrochage qui se focalise sur le mouvement de l'expressionnisme abstrait Américain développé dans les années 1950. C'est en effet ce mouvement pictural américain qui a permis de "révéler" les Nymphéas, dernière production de Claude Monet.
En novembre 1918, le lendemain de l’armistice, Monet propose à son ami Georges Clémenceau de donner à l’Etat deux panneaux des Nymphéas, souhaitant ainsi apporter sa contribution à la victoire. Monet dessine le vestibule du musée qui accueillera ses panneaux, constitué de deux salles ovales baignées de lumière. Ses œuvres, conçues depuis 1914, ne seront installées qu’après sa mort et ouvertes au public en 1927. Elles sont mal perçues, arrivées soit trop tôt, soit trop tard.
Il faudra attendre les années 1950, pour une reconnaissance qui va passer par les Etats- Unis. Effectivement, en 1955, le MoMa, fait l’acquisition d’un panneau des Nymphéas. A cette époque, c’est la consécration du mouvement expressionisme abstrait américain, sous l’impulsion des théoriciens de l’art comme Clément Greenberg, qui a visité l’Orangerie un an auparavant. Il place ainsi des artistes comme Clyfford Still et Barnett Newman dans la lignée du dernier Monet, une façon aussi pour lui de légitimer ce mouvement pictural américain. C'est lui qui met en place la "sérialité " avec ses Meules, ses Cathédrales de Rouen ou encore ses vues de Londres ou du Havre (Warhol fera lui aussi plus tard ses séries. Ces grands formats font sortir la peinture du cadre et du chevalet. Greenberg est le précurseur de ce que l'on nommera la peinture "All Over" par ses "champs colorés " et les grands aplats.
Il place ainsi Monet à l'origine d'une nouvelle tradition picturale qui, dépassant l'héritage cubiste et surréaliste, se manifeste par une peinture sans commencement, ni milieu, ni fin : il lance le terme de "expressionnisme abstrait".
Les Nymphéas : Le Matin clair aux saules
Les Nymphéas : Le Matin aux saules
Les Nymphéas : Les nuages
Vous pourrez ainsi découvrir, ou redécouvrir ces toiles tardives du Maître de l’impressionnisme, aux côtés d’une vingtaine de tableaux de grands formats de 1940 au début de 1960 de Jackson Pollock, Barnett Newman, Clyfford Still, Willem de Kooning, Morris Louis, Helen Frankenthaler, Philip Guston, Mark Rothko, Joan Mitchell, Sam Francis.
Le spectateur se trouve comme immergé, happé par la peinture, envahi par les couleurs et la lumière qui émane de ses toiles. Mais si Monet traduit en peinture des paysages vus et des impressions lumineuses ressenties, Rothko, lui, développe des grands aplats de couleurs brossées, aux contours flous, cotonneux et c'est à l'œil de s'adapter à ces flous et de les apprivoiser. Mais dans les deux cas, Il vous faudra un certain temps pour que vous vous sentiez entièrement baignés de couleurs et de lumière.
Je vous engage à prendre le temps de visionner les deux films projetés dans une salle voisine, montrant côte à côte Monet peignant à Giverny son pont japonais et Jackson Pollock, qui arrive à être en transe en jetant sur une toile étendue au sol , des couleurs de façon aléatoire, par des gestes plus ou moins violents, c'est ce que l'on nommera la technique du "dripping".
Avec Philip Guston la démarche est tout autre. Des mots même de l'artiste "le désir d'expression directe était devenu si fort ... " qu'il a installé une grande toile, sa palette devant lui, et qu'il a peint tout du long sans jamais se reculer pour la regarder.
Parmi les expressionnistes abstraits, Joan Mitchell, quant à elle, est la plus profondément enracinée en France où elle a vécue près de Giverny, à Vetheuil.
Vous ne pourrez pas quitter ce musée sans vous rendre au niveau -2 pour admirer la collection Jean Walter et Paul Guillaume qui rassemble des merveilles: Renoir, Picasso, Derain, Matisse, Modigliani, Cézanne, Soutine, le Douanier Rousseau, et Laurencin.