Intérêt du duplicata par impression 3-D en Prothèse Amovible complète

Christophe Rignon Bret, Corentin Illand et Jean-Baptiste Souron

le Dossier du mois : Prothèse 2.0 - AO News #57


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Introduction
La stratégie de traitement de l’édentement complet est simplifiée par l’utilisation d’un duplicata de prothèse. En effet, le nombre de séances et la durée de réalisation prothétique peuvent être réduits tout en améliorant le confort du patient. Dans un contexte médico-économique contraint par la convention dentaire avec le reste-à-charge zéro, c’est une solution intéressante si les conditions préalables requises sont réunies. Le duplicata de la prothèse amovible est le double ou le clone dela prothèse amovible (1,2) (Fig. 1).

Il correspond à la réplique exacte de l’extrados, de l’intrados et des bords de la prothèse. Ce duplicata peut être réalisé directement au cabinet (1,3-6) ou indirectement au laboratoire (2,7-10). Les technologies numériques associées à de nouveaux flux de travail permettent d’obtenir rapidement et simplement ce duplicata (10,11). En effet la combinaison de la numérisation de prothèse complète existante et de la technologie par impression 3D élargit les possibilités du traitement de l’édentement complet. À ce duplicata peuvent également être rajoutés des dispositifs qui facilitent des enregistrements de l’occlusion ou de la cinématique mandibulaire.
Les objectifs de cet article sont de définir les indications du duplicata pour une pratique moderne du traitement de l’édentement, de montrer l’intérêt de la technologie d’impression 3D dans l’obtention de ce duplicata et de proposer un arbre décisionnel d’utilisation de ce duplicata par impression 3D.

 

Indications du duplicata de prothèse amovible complète

 

Le duplicata de prothèse amovible complète est réalisé soit directement au fauteuil grâce à une boite de prothèse en plastique rigide selon la technique inspiré à l’origine par le Duplicator de Lang 1-6 (Fig.2) soit indirectement au laboratoire de prothèse selon une technique de mise en moufle conventionnelle. Ce duplicata présente différents aspects selon sa fonction et son indication.

Ainsi il est indiqué comme :

  • Guide chirurgical en résine transparente pour prothèse complète immédiate 2,12. (Fig.3)
  • Guide d’imagerie ou guide radiologique afin de visualiser le projet prothétique dans la perspective de réaliser une planification implantaire 2,4,5. (Fig.4)
  • Prothèse de secours avec une résine de base prothétique rose et une résine ivoire pour les dents. En effet, de nombreux patients souhaitent avoir une solution de secours en cas en cas d’incident mineur (fêlure, fracture partielle) ou majeur (perte, fracture) 1-3. Ils ne veulent pas être confrontés à leur handicap et sont prêts à investir raisonnablement dans un deuxième jeu de prothèse. C’est une évolution sociétale inspiré du domaine de l’optique avec les propositions faites par les opticiens pour une deuxième paire de lunettes à prix réduit.
  • Prothèse de transition dans le cas où un patient ne donne pas son accord écrit pour modifier sa prothèse lors d’une mise en condition tissulaire. En effet, dans une indication de préparation des surfaces d’appui altérés avec inflammation ou blessures, il est nécessaire de réaliser une mise en condition tissulaire avec de la résine à prise retardée et de modifier progressivement la prothèse transformée alors en prothèse de transition 1,3,13. De même, si le praticien n’a pas réalisé la prothèse amovible complète d’origine, il est prudent sur le plan juridique de refuser de modifier cette prothèse réalisée par un confrère et de travailler sur un duplicata.

  • Porte-empreinte occluso-adapté pour réaliser une empreinte fonctionnelle dans le contexte du renouvellement d’une prothèse amovible complète pour donner suite à la nécessité de réadapter l’ancienne prothèse devenue instable et peu rétentive. En effet, la technique de réfection intégrale de base prothétique 13-16, qui consiste à prendre une empreinte fonctionnelle dans la prothèse, présente dorénavant peu d’intérêt (Fig.5). D’abord car les dents prothétiques en porcelaine ne sont plus commercialisées depuis 2019. Ensuite et surtout cette technique de réfection de base prive le patient de sa prothèse durant plusieurs jours avec des conséquences esthétiques, fonctionnelles et psychologiques qui ne sont plus acceptées par les patients dans notre société moderne. Ainsi, le duplicata évite que le patient soit privé de sa prothèse 1,3. Cette technique d’empreinte avec porte-empreinte duplicata n’est indiquée que si la prothèse existante a été conçue et réalisée selon les règles classiques de la prothèse amovible complète c’est-à-dire une surface d’appui suffisante, une orientation adéquate du plan d’occlusion, un rapport maxillo-mandibulaire (RMM) correct, une esthétique satisfaisante. Elle permet dans la même séance clinique de réaliser l’empreinte fonctionnelle, l’enregistrement du RMM et de tracer des indications pour modifier l’esthétique existante voire de modifier le choix des dents ou le montage des dents antérieures (Fig.6). De plus, la présence des faces occlusales des dents autorise la réalisation d’une empreinte fonctionnelle sous pression occlusale du patient 1,2.
  • Support de dispositifs d’enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire avec par exemple l’adjonction d’un point d’appui central ou l’incorporation de la fourchette du support mandibulaire pour le papillon du Modjaw® pour enregistrer la cinématique mandibulaire.

 

Intérêt de l’impression 3D dans l’obtention du duplicata

 

L’impression 3D est un procédé FAO additif en plein essor dans le domaine de l’odontologie. Différents procédés d’impression 3D par photopolymérisation associés à différents matériaux sont disponibles de façon courante pour les cabinets dentaires 17,18. Les techniques utilisées dans la fabrication des duplicatas de prothèses ou des porte-empreintes individuels sont des techniques de photopolymérisation en cuve. Deux techniques se distinguent en fonction du type de source lumineuse assurant la photopolymérisation. La technique Digital Light Processing (DLP) utilise un faisceau lumineux d’onde courte et la technique StereoLithography Apparatus (SLA) utilise un faisceau laser. De plus, s’ajoute la technique LED-LCD très présente dans les imprimantes grand public (ELEGOO, Uniz Slash 2+). Enfin le procédé de « jet de matière » (Polyjet ou Multijet), est très performant mais son coût limite l’usage à des laboratoires de sous-traitance (cela ne sera pas traité ici). Chaque technique présente des avantages et des inconvénients en termes de rapidité d’impression, de précision ou de mélange de matériau. Les résines pour duplicata de prothèse ou PEI sont des dispositifs médicaux de classe Iia, destinées à être placées en bouche (Tableau 1).

 

Afin de réaliser une nouvelle prothèse à partir d’une PAC bien conçue, les prothèses existantes peuvent être numérisées, copiées puis imprimées 11. Ce flux de travail est particulièrement intéressant car réalisé à partir d’une prothèse portée et validée par le patient. Ainsi, dans une même séance, sont réalisés l’empreinte fonctionnelle, l’enregistrement de l’occlusion et les tracés des éventuelles modifications esthétiques (Fig. 6 et 7). C’est un gain de temps, de confort, avec moins de séances et une diminution des coûts.

Ce fichier STL de la prothèse numérisée peut être obtenu de 3 manières différentes 19,20.

Avec un scanner extra-oral de laboratoire (PS5 et PS3Ivoclar PrograScan, T500Medit, E4 3Shape, S600 ARTI Zirkonzahn) : la prothèse est envoyée au laboratoire pour être scannée. Le patient en est alors privé pendant quelques jours. Ce procédé permet d’obtenir une grande précision, de l’ordre du micron.

Avec un scanner intra-oral (Trios 3Shape, Primescan Dentsply Sirona, Medit i700, Carestream) : la prothèse est scannée directement au fauteuil, hors de la bouche. L’opération est cependant moins précise qu’avec un scanner de laboratoire.

Avec le Cone Beam (CBCT) : certains Cone Beam ont une fonctionnalité pour scanner les modèles en plâtre ou les empreintes physiques. La prothèse doit alors être posée sur un support spécifique, puis scannée (Fig.8). Le fichier DICOM qui en résulte est ensuite converti en STL avec un logiciel adapté.

Ainsi, le duplicata par impression 3D de la PAC est obtenu. Il est possible d’adjoindre sur ce duplicata un système de rééducation et d’enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire comme un point d’appui central (Point appui central Gerber CS 20 Candulor, Gnathomètre CAD Ivoclar-Vivadent) (Fig. 9 et 10). Le principe de ce dispositif consiste à exploiter un point d’équilibre neuro-musculo-articulaire 21. La maquette maxillaire présente un pointeau central monté sur une vis qui est placé au centre d’équilibre de la prothèse, c’est-à -dire à l’intersection du plan sagittal médian et de la ligne rejoignant les face mésiales des 6 (Fig.9). Sur le bourrelet de la maquette mandibulaire est fixée une plaque métallique horizontale (Fig.10).




La DVO est réglée en vissant ou dévissant le pointeau central solidaire de la plaque base maxillaire qui rentre en contact uniquement avec la plaque mandibulaire. Ainsi tous les contacts entre les bourrelets sont supprimés. Pour déterminer le point d’équilibre le patient est invité, tout en maintenant le contact du pointeau sur la plaque réceptrice, à réaliser des mouvements de propulsion/rétropulsion puis de diduction avec un retour au point de départ entre chaque mouvement. Afin de visualiser ce point d’équilibre, la plaque est crayonnée avec un crayon gras pour obtenir un enregistrement graphique d’arc gothique de Gysi (Fig.11). Le point d’intersection correspond à la posture de référence de l’occlusion de relation centrée. Une pastille perforée est fixée, centrée sur ce point d’intersection (Fig.12). Le patient peut donc fermer en occlusion et retrouver facilement la position de référence grâce au pointeau qui rentre dans la perforation puis un matériau d’enregistrement de l’occlusion permet de bloquer latéralement le RMM entre les deux maquettes (Fig.13)


Dans le cadre d’un flux numérique global, il est également possible de dupliquer et d’incorporer des dispositifs sur le duplicata lors de sa conception avant impression. Par exemple, le support du papillon du système Modjaw® est intégré sur le duplicata de la PAC mandibulaire (Fig.14). Ainsi un enregistrement de la cinématique mandibulaire et un enregistrement de la position de référence (Occlusion de Relation centrée) peuvent être réalisé avec le système Modjaw® sans modifier ni altérer la prothèse existante (Fig.15). Cet enregistrement peut être réalisé après les empreintes secondaires pour intégrer les informations occlusales dans un articulateur virtuel 22.


 

Proposition de protocoles de réalisation d’une PAC intégrant l’impression 3D

 

Les protocoles associés à l’arbre décisionnel sont présentés schématiquement (Fig.16). À partir d’une empreinte primaire optique ou d’une empreinte classique primaire physico-chimique est obtenu un modèle primaire numérique.

 

Ce modèle est exporté en format .stl ou tout autre format lisible par le logiciel qui permettra la réalisation d’un porte-empreinte individuel (PEI). De nombreux logiciels (Exocad®, Zirkonzahn®, Blender for Dental®…) permettent de réaliser le PEI. Ce porte-empreinte répond aux critères de conception habituels d’un porte-empreinte individuel en prothèse amovible complète.

 

Si la PAC répond aux règles de la PAC sur les plans de l’étendue des bases prothétiques, de l’occlusion et des soutiens, alors le duplicata de cette PAC permet de combiner les étapes d’empreinte fonctionnelle, d’enregistrement du RMM et des corrections esthétiques.

Le fichier .stl du PEI ou du duplicata de la PAC est d’abord ouvert avec le logiciel de slicing de l’imprimante (Rayware®, Preform®, Composer®,…). Ce logiciel permet de gérer les différents paramètres d’impression, le placement du PEI ou du duplicata et les supports de la pièce à imprimer. Le post-traitement après impression consiste à enlever les excès de résine puis à post-polymériser pour améliorer le taux de conversion. Ensuite, les supports sont enlevés à la fraise et les irrégularités polies. Le PEI ou le duplicata permettent de réaliser l’empreinte secondaire fonctionnelle. Ils sont modifiés au niveau du bourrelet préfigurant l’arcade dentaire puis les bords sont réglés comme pour un PEI issu d’un modèle primaire classique. Le joint périphérique est ensuite enregistré, puis la rétention est testée2. Une empreinte secondaire fonctionnelle est réalisée sous pression digitale de l’opérateur ou sous pression occlusale du patient.

Si on utilise un duplicata, le praticien poursuit la séance avec l’enregistrement du rapport maxillo-mandibulaire à une Dimension Vertical d’Occlusion correcte. Si des dispositifs d’enregistrement de l’occlusion ont été ajouté, un enregistrement statique et/ou dynamique de l’occlusion est réalisé (point appui central, Modjaw®). La position du point inter-incisif, la ligne inter-incisive, le plan frontal incisif sont contrôlés et des modifications éventuelles directement inscrites sur le PEI ou le duplicata.

Les étapes de laboratoire sont soit classiques (traitement et coulée de l’empreinte, montage en articulateur), soit numériques (numérisation de l’empreinte, numérisation du rapport inter-arcade)11.

 

Conclusion

 

L’impression 3D est devenue un outil indispensable dans le traitement de l’édentement total. Dans la cadre d’indication de renouvellement de prothèse, elle permet l’obtention rapide d’un duplicata qui va simplifier, raccourcir et rationaliser le flux de travail. Ainsi les protocoles proposés permettent de tenir compte des considérations médico-économiques actuelles pour une prise en charge moderne du traitement de l’édentement complet.

 

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