La désinformation en temps de guerre n’est pas nouvelle, mais elle est devenue de plus en plus complexe avec l’émergence des nouvelles technologies, telles que les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle.
Après l’ouverture du colloque par Muriel Haim, Présidente de la Fondation, c’est Éric Danon, ancien ambassadeur de France en Israel, qui a fait l’introduction en expliquant que la désinformation est un phénomène ancien et une arme stratégique omniprésente. De nos jours elle a été utilisée par la Russie contre l’Ukraine, au Moyen Orient, et en Afrique pour déstabiliser des régimes. L’idéal serait une coopération internationale pour la vérité, mais la vérité n’appartient à personne, tout est une question d’angle de vue et là est toute la difficulté.
Mécanismes de la désinformation en temps de guerre (table ronde 1)
Mohamed Sifaoui, journaliste et écrivain, a démonté la stratégie islamiste qui s’articule autour de deux actions : l’auto victimisation permanente et la diabolisation de l’adversaire, déjà utilisées en Égypte par les Frères Musulmans, au Liban, en Iran (contre le Shah), en Afghanistan avec l’alignement sur les luttes tiers mondialistes et anti coloniales (apartheid, anti-impérialiste) s’appropriant les valeurs de ces mouvements.
Andrew Fox, chercheur à la Jackson Society a parlé de la propagande dans le conflit Israel-Hamas : pendant une guerre, la cible est les populations civiles et en l’occurrence le Hamas cible ces populations pour qu’elles influent sur leurs gouvernements. Il a publié un rapport en passant au peigne fin le nombre de victimes à Gaza où il a démonté le mécanisme de comptage des victimes par des études - impossibilité de faire une détermination instantanée de la démographie des victimes, et de les répartir entre civils et terroristes.
Emmanuel Ostian, ancien reporter de guerre, directeur actuel de l’Ecole Supérieur de Journalisme de Paris, a consacré toute l’année 2019 à travailler sur la désinformation. Il a développé 4 thèmes : la baisse de la qualité de la culture générale et de la formation dans les écoles de journalisme ; l’absence de véritables informations (aujourd’hui les guerres ne sont plus couvertes par des journalistes sur le terrain avec des rédactions moins riches, commentaire d’images reçues …) ; le flot d’images permanent produit par les téléphones par les belligérants qui ont intérêt à biaiser ces images ce qui crée des émotions et le doute, et la fatigue informationnelle ; des biais militants existent dans la corporation journalistique, surtout en France.
La propagande douce et l'effacement du crime de la conscience démocratique (table ronde 2)
Grand témoin, Nicolas Tenzer, enseignant à Sciences Po, analyste des questions stratégiques et internationales et également écrivain, a expliqué qu’on tendait à effacer l’héritage de Nuremberg en mettant en place des mécanismes pour banaliser le crime et le rendre acceptable. Plus jamais ça est par exemple régulièrement ridiculisé par l’absence de réactions devant des massacres partout dans le monde. Autre exemple est que Poutine s’est servi de la Coupe du Monde en 2018 pour banaliser ses crimes massifs. La propagande douce utilise la mise en équivalence pour nous faire perdre des repaires et nous faire plus croire en rien .
Baptiste Raymond, Fondateur de Tembo Citizen et Tusker Club, a traité de la désinformation comme hypothèse de travail, notamment concernant la guerre en Ukraine.
Il a expliqué comment les Ukrainiens gèrent la guerre sur 4 niveaux.
Brice Teinturier, DG adjoint d’IPSOS, auteur de Plus rien à faire , plus rien à foutre, a développé en quoi la désinformation mine la démocratie par 3 points principaux .
Nous assistons depuis un certain nombre d’années à une entreprise délibérée de destruction de références historiques communes par construction d’équivalences fallacieuses et cela va bien au-delà d’une simple fake news, puisque cela vide même de leur sens un certain nombre de termes. (exemples : Macron est un dictateur, Gaza un génocide , etc…)
Christian Baden de l’Université Hébraïque de Jérusalem est revenu sur la Propagande dans le conflit Israel-Hamas. La propagande fait son retour dans le débat public : c’est un processus au long court. Les propagandistes utilisent la vérité de façon sélective, ils n’utilisent pas de mensonges sous peine d’être démasqués. Tout part du mythe de l’existence d’une paix , qu’ensuite le mal est advenu, donc les gens se soulèvent et combattent le mal pour que le bien l’emporte. Exemple : les campagnes pour expliquer que le 7 octobre est un acte de résistance…
Combattre efficacement la désinformation à l’ère numérique (table ronde 3)
Ifat Maoz (Directrice de l’Institut Truman pour la Promotion de la Paix, Université Hébraïque de Jérusalem) a développé 2 points concernant les réseaux sociaux et désinformation en temps de guerre.
Comment lutter contre les messages antisémites sur Tik Tok par exemple ? Créer l’opposé de ces narratifs en utilisant les mêmes outils (humour, témoignages, justice, empathie pour la souffrance..). C’est un vrai travail de professionnels sachant manier les plateformes.
Sandrine Boudana, TAU, a parlé de la lutte efficace contre la désinformation grâce à des solutions politiques, technologiques et éducatives mais aussi de leurs limites. Il faut développer l’analyse critique des médias chez le citoyen et lui donner les outils pour le faire, d’où le rôle fondamental de l’éducation. Solutions proposées par 3 types d’acteurs : les journalistes, les régulateurs, et les technologistes. Il y a des organisations de fake cheking qui font un travail remarquable, mais elles ont aussi un agenda politique qui peut les rendre suspectes de partialité dans leur choix des sujets et des organisations.
Rafi Mendlsohn , est intervenu en tant que directeur marketing de Cyabra, l’entreprise numéro un pour la détection de la désinformation fondée sur l’IA sur les réseaux sociaux. Elle travaille avec les gouvernements du monde entier (protection des démocraties). Des résultats de travaux de recherche de deux années d’examens de campagnes de désinformation de certains pays comme la Russie, la Chine et l’Iran - qui ont des approches différentes – peuvent être consultées sur cyabra.com.
C’est Frère Louis Marie, Prieur de l'Abbaye d’Abu Gosh, qui a clôturé cette table ronde. Il est moine bénédictin et vit dans un village israélien entièrement musulman depuis 44 ans. Il est revenu sur le fait que les fausses infirmations étaient un enjeu également dans le monde religieux. La laïcité est un principe fondamental de liberté où toutes les religions sont sur un pied d’égalité. La culture religieuse est un élément essentiel pour comprendre le phénomène dans lequel nous sommes aujourd’hui.
Première fake news : le déïcide. Il n’y a jamais eu de massacre de juifs avant les Croisades. Toutes les accusations contre Israel prennent un enracinement dans le discours religieux qui remonte aux origines.
C’est l’ancien ministre Jean–Michel Blanquer qui a fait la conclusion de ce symposium.
Après avoir donné quelques exemples de désinformation qu’il a personnellement subit durant ses fonctions de ministre, il a mis l’accent sur l’asymétrie des moyens entre les gouvernements démocratiques et leurs opposants. Il a rappelé que toutes les réformes de l’enseignement de ces dernières années n’ont fait que renforcer les connaissances des élèves, contrairement à tout ce qui a été claironné. Pour lui, il y a une crise de la démocratie au long terme, contrairement à ce que font Poutine et Erdogan. Il y a une asymétrie du combat entre : les régimes autoritaires et les démocraties ; l’émotion et la raison ; la complexité et le simplisme.
On vit une période unique dans l’histoire : 80 ans sans conflits en Europe avec des citoyens de plus en plus exigeants vis à vis de la démocratie. Les solutions passent par tous les enjeux éducatifs et l’enseignement du discernement sur l’information. Il est temps que les démocraties ne restent plus sur la défensive, mais passent à l’offensive pour déstabiliser les ennemis. Et notamment, on doit tendre vers un idéal de société en passant par toutes les institutions du savoir (lycées, universités…)
*Symposium organisé par la Fondation France Israël