Un chirurgien-dentiste condamné pour absence de concertation avec l’anesthésiste sur les antécédents d’un patient

Constance Lot, juriste MACSF

AONews #37 - Octobre 2020


Toute intervention chirurgicale suppose une collaboration entre l’opérateur et l’anesthésiste. Mais cette collaboration ne se limite pas au seul temps opératoire. En pré-opératoire, les praticiens doivent communiquer entre eux afin de partager les informations recueillies sur le patient. C’est ce que rappelle un jugement de tribunal de grande instance du 25 mars 2019, que nous vous présentons.

 

Une prescription inadaptée

Un patient d’une vingtaine d’années, atteint de rectocolite hémorragique (RCH), sous traitement associant une corticothérapie et un immunosuppresseur, doit subir l’ablation des quatre dents de sagesse par un chirurgien-dentiste, sous anesthésie générale. Au cours de la consultation précédant l’intervention, le patient remet au chirurgien-dentiste le questionnaire médical signé, ne faisant état d’aucun antécédent particulier.

Le praticien prescrit un antibiotique, du paracétamol et un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) à prendre à partir de la veille de l’intervention. En revanche, lors de la consultation pré- anesthésique, l’anesthésiste note bien l’existence d’une RCH, et le traitement correspondant est mentionné dans les traitements en cours.

L’intervention se déroule bien et le patient prend le traitement médicamenteux prescrit pendant quatre jours. Rapidement, il présente des rectorragies, des douleurs abdominales et de la fièvre. Il  est hospitalisé en gastro-entérologie, où il est diagnostiqué une poussée sévère de RCH avec muqueuse ulcérée congestive jusqu'au colon traverse, secondaire à la prise d'AINS.

Le patient assigne le chirurgien-dentiste, estimant qu’il a commis une faute médicale en lui prescrivant un traitement inapproprié en raison de sa maladie inflammatoire. Le tribunal se prononce sur les responsabilités, par un jugement du 25 mars 2019.

 

Une pathologie signalée dans le dossier d’anesthésie…mais pas dans le questionnaire médical

Les parties sont en désaccord sur la question de la connaissance par le chirurgien-dentiste des antécédents de RCH du patient. Le praticien affirme ne jamais avoir été informé d'une pathologie inflammatoire du tube digestif, sans quoi il l’aurait sans nul doute notée sur la fiche de consultation, et se serait abstenu de toute prescription d'anti-inflammatoires.

Le patient affirme de son côté avoir mentionné sa pathologie digestive. Mais le questionnaire médical signé qu’il a remis au chirurgien-dentiste n’y fait pas référence. Si la prise d’un traitement médicamenteux est bien signalée, le nom des médicaments n’a pas été mentionné, de même que l’existence d’une pathologie particulière. Il est établi que ce questionnaire a été en fait complété par la mère du patient, ce dernier se contentant de le signer. L'anesthésiste était, quant à lui, parfaitement informé de la pathologie inflammatoire puisque le dossier d’anesthésie porte la mention d'une RCH depuis un an ainsi que du traitement en cours.

 

Une absence de concertation chirurgien-dentiste/anesthésiste

Le tribunal retient la responsabilité du chirurgien-dentiste. Il n’est pas établi que le patient ait informé le praticien de sa pathologie au cours de la consultation pré-opératoire, les versions étant contradictoires. Il n’est pas contesté que le questionnaire médical signé par le patient n’était pas exact puisqu’il ne mentionnait aucun antécédent.

Néanmoins, le tribunal retient la responsabilité du chirurgien-dentiste du fait de l’absence de toute concertation avec l’anesthésiste. En effet, selon l'article R. 4127-64 du code de la santé publique (CSP), lorsque plusieurs médecins collaborent à l'examen ou au traitement d'un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés, chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles et veille à l'information du malade.

En application de ce texte, l'anesthésiste et le chirurgien se devaient d'échanger entre eux avant l'opération afin de connaître l'état général du patient et les risques éventuellement encourus en cas de traitement qui pourrait compliquer l'acte chirurgical. En ne se renseignant pas sur le traitement suivi et sur les conséquences que ce traitement pouvait avoir, le chirurgien-dentiste a commis une faute engageant sa responsabilité.

Le praticien est condamné à indemniser une perte de chance de 25 % d’éviter de développer une poussée inflammatoire en lien avec la prescription.

 

Que retenir de cette affaire ?

Cette décision est sévère car s’il est exact qu’anesthésiste et opérateur doivent se concerter avant une intervention, le chirurgien-dentiste n’avait ici pas de raison de se rapprocher particulièrement de l’anesthésiste puisque, au regard des éléments qui lui avaient été fournis par le questionnaire médical, il n’existait aucun antécédent notable chez ce patient jeune. Ce jugement rappelle que les juges accordent une grande importance à la collaboration et la concertation entre les praticiens qui concourent à la prise en charge, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une prise en charge chirurgicale.

La décision est néanmoins satisfaisante en ce qu’elle retient une simple perte de chance de 25 % d’éviter la majoration du risque de faire une poussée de RCH, alors que le patient invoquait, de son côté, une responsabilité de 100 %.

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