Petite histoire de « l’art dentaire », de l’arracheur de dents au chirurgien-dentiste

AONews #37 - Octobre 2020


Au fil du xixe siècle, les connaissances médicales vont progresser et la profession se métamorphoser. Un élan qui part des États-Unis : Horace Wells introduit en 1844 le gaz hilarant comme anesthésique. On recourt aussi à l’éther, au chloroforme… et à la cocaïne, utilisée pour la première fois par le chirurgien William Halsted. En 1850, la première pâte dentifrice du monde est également inventée par un Américain. Au tournant du siècle, la firme Colgate fera fortune grâce à cette invention. Jadis marginalisés par l’institution médicale, les dentistes français se professionnalisent lentement : en 1892, une loi instaure le titre de « chirurgien-dentiste », dont l’attribution est encadrée par la Faculté de médecine. Les praticiens gagnent peu à peu en reconnaissance, ce que note Le Figaro en 1895 : « On essaya, vers 1825, de réglementer la profession et on fit passer des examens spéciaux pour la délivrance des diplômes de médecins-dentistes. Mais cette réglementation tomba en désuétude ; la profession devint donc complètement libre, la Faculté n’ayant jamais daigné jeter même un regard de pitié sur elle. Tous les ratés qui eussent été incapables d’être « racommodeurs de souliers » ou mitrons, se firent dentistes […]. Depuis, la situation s’est modifiée. Il y a plusieurs sociétés de dentistes, très unies, mais il faut dire que ce sont les jeunes qui les ont créées. L’art qui consiste à conserver leurs dents à ses semblables, et au besoin à les leur arracher, fut exercé à l’origine par ces individus nomades, appelés aujourd’hui arracheurs de dents […]. Avec les progrès de la science, ces charlatans ont été remplacés par les médecins dentistes qui ont conservé, à cause de leur profession, un peu du ridicule de leurs prédécesseurs.»

Le Petit Parisien notait déjà en 1891 que « les dentistes ont conquis le monde en cinquante ans, et même moins. Ils règnent aujourd’hui partout, répandant une foule de bienfaits autour d’eux et s’ingéniant à soulager un tas de petits maux avec lesquels on s’habituait à vivre autrefois – parce qu’on ne pouvait pas faire autrement. » Signe des temps, en 1900, la féministe Hubertine Auclert explique dans Le Radical qu’il existe désormais des femmes dentistes : pas moins de quarante à Paris. « Souvent des pères et des mères nous demandent d’indiquer pour leurs jeunes filles une profession honorable, indépendante, sédentaire et très lucrative. Cette carrière de rêve est celle de chirurgienne-dentiste qui, ce nous semble, réalise tous leurs desiderata. Elle est parfaitement honorable, puisque en procurant l’aisance elle met qui l’exerce en bonne posture dans la société. […]. Les chirurgiens-dentistes mâles établis en face d’une collègue qui leur fait concurrence soutiennent que la femme n’a point la poigne suffisante pour manier le davier. Comme si les muscles féminins n’étaient pas toujours aptes à rendre les services que l’on exige d’eux ! »

Le xxe siècle marquera, avec l’apparition de techniques de plus en plus modernes, l’apogée de « l’art dentaire ».

 

Pour en savoir plus :

  • Franck Collard et Evelyne Samama, Dents, dentistes et art dentaire : Histoire, pratiques et représentations - Antiquité, Moyen Âge, Ancien Régime, L’Harmattan, 2013.
  • Xavier Riaud, Histoires de la médecine bucco-dentaire, L’Harmattan, 2010 Christophe Lefébure, Une histoire de l’art dentaire, Privat, 2001.
  • Paru sur retronews.fr/sante/echo-de-presse/2019/09/27/petite-histoire-des-soins-dentaires