La dentisterie numérique… simplement

Dossier l'Incontournable Numérique coordonné par Olivier Boujenah

AONews #46 - Novembre 2021

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Dentisterie numérique … Vous lisez ces deux mots partout dans la presse spécialisée, vous entendez parler du digital workflow dans les conférences, sur FaceBook, Instagram …mais c’est quoi au juste ?

C’est tout simplement ce que vous faites depuis des années dans vos cabinets… mais de manière digitale. Il s’agit donc de nos différentes phases de travail version numérique.

Nous allons essayer dans cet article d’expliquer très simplement ce que comporte ce flux.

Pourquoi très simplement ? Parce que le numérique est perçu par beaucoup de collègues comme une science mystérieuse réservée à quelques geeks … alors que c’est facile et passionnant !

Le flux de travail (workflow) se décompose en 3 parties :

- ACQUISITION DES DONNEES

- TRAITEMENT DES DONNEES

- FABRICATION

1. L’acquisition des données comporte principalement en numérique :

- l’empreinte optique,

- les radios 3D,

- les photos, scan facial,

- l’enregistrement des mouvements (4D).

2. Le traitement de ces données :

- logiciels de conception 3D,

- logiciels de planification implantaire,

- logiciels de setup orthodontiques.

3. La fabrication :

- usinage,

- impression.

 

Dans ce flux de travail, vous pouvez aujourd’hui choisir où commencer et où vous arrêter. Par exemple vous pouvez très bien juste faire l’acquisition des données et laisser faire le reste à votre laboratoire comme la plupart des dentistes. Ou si vous aimez ça, vous pouvez faire vous-même la conception de certaines prothèses. Et si vous avez une machine (imprimante ou usineuse) vous serez même capable de faire de la fabrication au sein de votre cabinet.

Ce qui change la donne aujourd’hui c’est l’accès à des machines qui vont réaliser parfaitement ce qu’on leur demande. La grande transformation qu’apporte aussi le numérique, c’est la communication et les liens forts qu’il crée entre praticien et laboratoire (qui utilisent d’ailleurs ces techniques depuis des années et maitrisent parfaitement tout ce flux pour la plupart). Beaucoup pensent le contraire, que les laboratoires vont disparaitre etc etc. … Entendons-nous bien, à part quelques exceptions, un praticien ne sera jamais capable dans un exercice normal de devenir prothésiste. Ce qui va changer, de mon point de vue, c’est l’incorporation au sein de cabinets de laboratoires de prothèses comme à l’époque de nos anciens.

Intégrer une chaine numérique dans son cabinet, c’est avoir la possibilité de fabriquer certains éléments si on veut, quand on veut ….Depuis des dizaines d’années ce modèle existe avec le CEREC et les laboratoires existent toujours ! Donc les 2 modèles sont complémentaires, ce sont juste les outils qui ont évolué.

 

Acquisition des données

 

L’empreinte optique : la porte d’entrée de tout cet univers

Impossible de commencer cet article sans citer le Pr Francois DURET, qui est à l’origine de l’empreinte optique. Elle se réalise grâce aux « scanners intra oraux ». (Fig. 1) Il en existe de plusieurs marques, plus ou moins précis, plus ou moins cher, plus ou moins gros, avec ou sans fils, avec des embouts jetables ou autoclavables. Ces scanners vont créer une image 3D des tissus dentaires et créer un fichier (Fig. 2). C est comme un appareil photo numérique qui va créer un JPG mais là, ca sera un fichier en 3D qui sera un STL (stereolitographie) (ou PLY, OBJ en couleur).

STL…terme à retenir, que vous allez entendre et entendre….Ce fichier STL crée pourra être utilisé instantanément dans les logiciels (design, planification implantaire, Smile Design etc …)

Imaginez pouvoir prendre une empreinte hyper précise de 10 dents en même temps sans bulle ni tirage et ça en moins de 5 minutes … Ca fait rêver ! Non seulement c’est possible mais elle sera réussie à tout les coups. La précision, c’est ce qui m’a le plus choqué quand j’ai posé mes premières prothèses issues d’empreinte numérique.

Avant, j’avais toujours un petit stress à l’essayage d’une prothèse. Allais-je avoir un réglage de point de contact, un réglage d’occlusion … ? Il y avait en fait des jours avec et des jours sans. Avec le scanner intra oral ça sera tous les jours votre jour de chance. En fait c’est tout à fait compréhensible, il n’y a plus de déformation des matériaux.

Imaginez-vous pouvoir prendre une empreinte de 4 implants aux axes convergents sur un patient avec une arcade d’une taille bien au-delà de tous les portes empreintes présents dans votre tiroir. C’est possible … Plus de PEI, plus de perforation des portes empreintes … Vous placez vos Scanbodies (transferts empreinte numérique) un par un si les implants sont proches, et hop comme par magie la caméra va s’occuper de remettre tout ça dans l’ordre ! (Fig. 3). Je ne décris ici qu’une petite partie des avantages de l’empreinte.

Je pourrai parler de la dématérialisation qui permet d’envoyer en quelques secondes votre empreinte au laboratoire pour qu’ il vérifie vos préparations de facettes en live (Fig. 4) , je pourrai parler de tout ces cas de patients avec des fils ortho qu’ il faut faire déposer avant de prendre une empreinte pour un onlay (déchirement du matériau à la désinsertion ) …des patients avec des dents en mobilité terminales à qui vous devez confectionner une prothèse immédiate et qui vous donnent des sueurs froides rien qu’ à imaginer tout embarquer dans l’alginate , des patients avec des espaces interdentaires qui déchireront votre matériaux physique à la désinsertion etc.

Le patient lui, ce qui l’intéresse c’est de ne plus avoir la pâte dans la bouche. Il vous en sera reconnaissant croyez moi et vous recommandera à ses proches, car en plus, vous aurez donné à votre cabinet l’image 2.0.


Les limites ?

- La caméra n’enregistre que ce qu’elle voit … donc les empreintes de dents recouvertes de sang, moyen … Il va falloir progresser dans vos techniques de préparations pour ne pas toucher la gencive, utiliser des produits hémostatiques ou tout simplement temporiser et prendre l’empreinte la fois d’après.

- Les empreintes de très grande étendue, avec très peu de dents peuvent présenter de la déformation et sont ainsi operateur dépendantes et caméra dépendantes. Il existe cependant des solutions numériques pour palier à ça. (photogrammétrie, icam, Pic dental…)

- Pas de compression des muqueuses donc pas d’enregistrement des mouvements fonctionnels des joints périphériques. Par contre il sera toujours possible de les enregistrer de façon classique et de rescanner avec sa caméra le matériau. (Fig. 5)

Les scanners intra oraux vont quasiment tous prendre de belles empreintes d’ici peu.

Les vrais plus qu’on va trouver dans les scanners premium seront :

- l’interface tout en un (kart tout intégré sans ordinateur externe) ;

- les offres de fonctionnalités intégrées (détection de caries, simulateur de traitement orthodontique, outils de comparaison de scans successifs, enregistrement des mouvements … ) Fig. 5 Bis

- le service après-vente, qui sera le nerf de la guerre car si votre scanner tombe en panne vous aurez l’impression d’avoir les mains coupées.

Pour finir, selon les fabricants de scanner, vos empreintes seront soit stockées localement sur la machine soit sur un cloud qui permettra de retrouver vos empreintes où que vous soyez.


 

La radio 3D

Le cone beam de plus en plus présent dans les cabinets permet d’obtenir des images 3D des tissus dentaires et environnants. Le confort pour vous et vos patients de pouvoir réaliser ce genre d’examen localement et instantanément est indiscutable. Physiquement, c’est comme un appareil de radio panoramique mais qui permet de réaliser des coupes. Hyper intéressant lors la recherche de foyers infections, proximité du nerf, canaux radiculaires …. (Fig. 6)

A noter aussi le terme DICOM qui comme « STL » est à retenir. C’est le format des fichiers issus du cone beam, qui est un outil indispensable aujourd’hui !

 

Les photographies

Elles permettent aujourd’hui d’intégrer le visage du patient dans des logiciels de simulation de sourire (Smile Design), de communiquer avec le laboratoire (teinte, comparaison avec teintier …) Fig. 6 bis. A noter que pour la prise de teinte, des outils comme le Rayplicker (Borea) vont permettre via un cloud de partager des données sur la cartographie de couleur des dents du patient grâce à un système de spectrophotométrie. (Fig. 6ter)

Largement réalisables depuis un smartphone (Fig. 7), beaucoup utilisent un Reflex équipé de flash et accessoires. Le souci (relatif) avec les photos est qu’elles sont en 2D et donc lors de l’importation dans les logiciels de conceptions 3D, nous n’aurons pas l’image du visage tridimensionnellement. C’est ainsi que le scan facial prend tout son intérêt. Depuis quelques années des outils permettant de scanner le visage existent en effet. Depuis les applications Ipad, aux machines externes, le but est de créer encore une fois un fichier 3D du visage de votre patient (PLY, OBJ). Par exemple un système assez connu permet de scanner le visage en quelques secondes grâce à votre Ipad ou Iphone. Le patient tourne la tête à droite, à gauche et le tour est joué ! (Fig. 8) Vous communiquez ce scan à votre laboratoire et il sera capable de travailler sur votre empreinte (prise avec votre scanner intra oral) avec le visage de votre patient incorporé dessus ….

Je vais ici vous donner un 3ème mot à retenir : MATCHER … C’est le principe d’aligner dans l’espace 2 fichiers 3D. En effet le visage scanné et la bouche scannée ne sont pas à la base alignés. Il faut donc les matcher entre eux. Mais on va s’arrêter la rassurez-vous !


 

La dynamique

C’est la 4D … Nous avons les empreintes, les radios, le visage et maintenant il existe des systèmes d’enregistrement des mouvements afin d’obtenir le patient virtuel.

Le principe est d’enregistrer les mouvements mandibulaires du patient (ouverture, fermeture, latéralité, mastication …) Le système le plus connu est le Modjaw® (Fig. 9). Il existe aussi le Zebris® (Ahmann) ou encore le Specific Motion® sur la caméra 3shape qui est beaucoup plus limité dans les enregistrements mais intéressant. Dans ce cas, le fichier des mouvements va être intégré dans le logiciel de design du laboratoire qui pourra concevoir une prothèse aux exigences occlusales optimisées.

 

Conception

 

Une fois réalisées les différentes acquisitions, il va falloir les intégrer à des logiciels de modélisation 3D. Il y en a pour réaliser des prothèses, d’autres pour des guides chirurgicaux, et d’autres aussi pour les traitements orthodontiques.

 

Conception prothétique 3D

Il existe plusieurs logiciels comme Exocad, 3shape, Dentalwings, InLab … qui ont le même principe : importer les empreintes et travailler dessus pour fabriquer une prothèse virtuelle (encore en STL). Les logiciels possèdent des formes de dents que les designers (prothésiste spécialisé dans la conception) vont adapter aux préparations de l’empreinte (Fig. 10, 11).

Dans ce cas le prothésiste travaille devant un ordinateur et non plus sur un modèle en plâtre. Cette conception sera envoyée en fabrication, ce que nous verrons plus tard. Aujourd’hui on peut quasiment tout concevoir sur logiciel, depuis un simple onlay jusqu’aux bridges complets sur implants, gouttières de bruxisme, stellites, prothèses amovibles …Cette conception peut aussi être sous traitée si le laboratoire ou le praticien ne désire pas s’y atteler.

On ne peut pas parler conception sans parler de Smile Design et de tous les logiciels ou applications qui poussent comme des champignons pour vous aider à planifier le nouveau sourire de votre patient. DSD, SmileCloud, Smile + pour n’en citer que quelques un. (Fig. 12) Il s’agit d outils permettant de choisir avec votre patient quelle forme et position de dent lui convient le mieux. Une fois cette forme choisie (Fig. 12 bis), le designer pourra concevoir le projet (wax up numérique Fig. 12 ter) et donc plus tard la prothèse finale correspondant à la simulation.


Logiciels de planification implantaire

Il en existe aussi plusieurs : Codiagnostix , Implant studio, BSP, Smop, R2gate, Exoplan ….

Le principe : matcher le STL de l’empreinte optique avec le DICOM du patient, placer les futures dents virtuelles (grâce à un wax up numérique si nécessaire), placer les implants et designer un guide chirurgical. (Fig. 13) Ce guide (fichier STL qui sera imprimé) pour forage pilote ou full guidé permettra le placement précis des implants à l’endroit souhaité. (Fig. 13bis) Aujourd’hui dans les cas complexes, la mode est aux guides à étages qui vont permettre de placer la prothèse provisoire préparée en amont immédiatement après la chirurgie grâce à un système d’emboitement. (Fig. 13 ter)


 

Logiciels de setup orthodontiques

Aujourd’hui dans le cadre d’un traitement global on ne peut plus faire l’impasse sur l’alignement dentaire, que ce soit juste esthétique ou pré prothétique. Les aligneurs transparents crées par Invisalign il y a déjà des dizaines d’années ont le vent en poupe. Tout le principe repose sur un algorithme (encore du numérique) qui va créer une série de gouttières qui devront être changées par le patient environ tous les 10 jours et dont la dernière sera à la forme des dents alignées. (Fig. 14 et 15)


 

Fabrication

 

Les 2 techniques courantes de fabrication sont l’usinage et l’impression, respectivement technique par soustraction et l’autre par addition.

 

Usinage

Nous sommes donc ici dans la fabrication par soustraction : en effet il s’agit de blocs ou de disques qui vont être taillés par des fraises dans une machine (Fig. 16). Ces blocs ou ces disques (galettes) peuvent être de différents matériaux (disilicate de lithium, zircone, PMMA, peek etc etc ). (Fig. 17 et 17 bis). On a donc notre fameux fichier STL crée dans le logiciel de modélisation qui va être exporté vers cette machine. Le logiciel de la machine va convertir ce STL en un certain parcours d’outil pour les fraises qu’elle va utiliser.

 

 Et c’est parti …selon la machine, le fichier, le degré de finition, le temps d’usinage sera plus ou moins long.

En usinage 2 familles de machine existent : humides ou sèches. En effets certains matériaux comme la zircone se préparent à sec, et d’autres comme le disilicate de lithium (Emax) ou la céramique feldspathique en humide. Certaines machines sont capables d’usiner sous ces 2 modes. Sans rentrer trop dans les détails, vous entendrez parler de machines 4 ou 5 axes. C’est la façon dont la fraise va pouvoir tailler le matériau pour atteindre certaines zones (mouvements internes de la machine). Apres cet usinage le flux de travail manuel peut continuer, passage au four, maquillage etc …

 

 

Impression

Il s’agit dans notre domaine de machines qui vont polymériser une résine liquide pour fabriquer un objet (guide chirurgical, modèle, gouttière, couronne …) (Fig. 18 à 21). Dans tout les cas on a une plateforme d’impression et un bac de résine liquide.


2 technologies à retenir : le SLA et DLP.

Avec le SLA (par exemple les imprimantes Formlabs) on a un laser qui va polymériser point par point cette résine de façon hyper précise et avec le DLP (imprimante Nextdent) c’est la projection de l’image du STL couche par couche qui va fabriquer l’objet sur la plateforme.

A contrario de l’usinage, comme il n y a pas de soustraction de matière par une fraise, nous ne sommes pas limités par les axes. Nous ne sommes pas non plus limités par la taille de l’objet comparé à la hauteur des disques disponibles. Donc par exemple si on doit fabriquer un bridge provisoire très haut (30 mm), seule l’impression pourra nous sortir d’affaire …En effet les tailles des disques ne sont pas infinies ... Techniquement on envoie notre STL sur le logiciel de la machine (comme pour l’usinage), on choisit quelle résine utiliser et on lance l’impression.

A la fin de cette impression on se retrouve avec un objet collé à la plateforme d’impression. Il faut le retirer et procéder au post traitement : nettoyage et polymérisation finale. Le nettoyage se fait par un trempage dans un bain d’alcool isopropylique de notre objet imprimé car il est encore visqueux. Apres ce nettoyage, une post polymérisation UV de quelques minutes sera nécessaire. L’impression 3D sera indiscutablement le futur de la fabrication, les matériaux à base de céramique arrivant à grand pas …

 

J’ai pu découvrir au dernier salon IDS de Cologne les imprimante à zircone.

 

Conclusion

 

Pour organiser souvent des formations à la demande de confrères, je puis vous assurer que personne ne reste indifférent à tous ces outils. A chaque fois que je lance une impression 3D, j’observe les regards émerveillés et ca me rappelle aussi ma première fois.

Le numérique va vous faire changer la façon de vivre votre métier. Le numérique apporte une prédictibilité de vos actes car tout est hyper précis, et souvent planifié en amont. Parmi toutes mes relations qui ont fait le pas, personne n’est revenu en arrière.

 

Alors vous attendez quoi ??