Dossier : Pratiques en parodontologie : notre enquête - AO#39 - Déc 2020 // QUESTION 4


La greffe épithélio-conjonctive (GEC) a pour moi ses indications limitées aux récessions des incisives mandibulaires proéminentes avec récessions. En chirurgie pré-prothétique le lambeau apicalisé muqueux permet d’éviter le plus souvent les GEC. En implants, mon expérience dans le long terme et l’anticipation du risque de péri-implantite montre qu’un bandeau initial de muqueuse kératinisée d’au moins 3 mm autour d’un pilier semble nécessaire et la stabilité dans le temps apparaît varier selon les patients… et le remodelage osseux. Le site donneur est protégé par une matrice de collagène. Sur le site receveur ces « matrices de collagène » me semblent moins performantes que la GEC (impression clinique).


Pas de nécessité d’avoir une hauteur minimum pour la santé parodontale ;

- Indications de greffes epithélio-conjonctives dans le cas de dénudations radiculaires avec sensibilité importante ;

- Indication fréquente de greffes epithélioconjonctives, en cours de traitement orthodontiques ou post orthodontiques ;

- Augmentation de ces interventions, dues aux traitements orthodontiques sur parodonte avec biotype fin ?

- Pas d’utilisation de matériaux de substitution ;

- Pas d’apport de gencive kératinisée autour des couronnes sur implants, car anticipation de la préparation gingivale, au cours de l’extraction, la pose de l’implant et la réentrée.


Malgré les controverses, il existe un consensus sur l’intérêt d’un environnement parodontal suffisamment résistant qui permette de pratiquer les techniques d’hygiène efficacement autour des dents naturelles ou implanto- portées. Je pratique donc régulièrement des greffes épithélio-conjonctives si la hauteur de gencive kératinisée est inférieure à 2 mm.


Selon la littérature, en cas de bon contrôle de plaque, ce n’est pas indispensable (AINAMO, il y a longtemps…). Mon impression clinique, et je ne suis pas le seul il me semble, est que plus il y en a, mieux c’est ; ne me félicitez pas pour ce haut degré de preuve scientifique A ! J’ai essayé Mucoderm® (puisque l’Alloderm n’est toujours pas autorisé) ; le conjonctif du patient reste quand même la référence, en cherchant le prélèvement tubérositaire, si possible.


J. Wennström a bien montré autour des dents naturelles que, même avec 0,5 mm de gencive kératinisée, si le contrôle de plaque est bon, il n’y a aucune indication de l’augmenter chirurgicalement. Par contre, à partir du moment où une limite prothétique est intra-sulculaire, il faut 5 mm de gencive kératinisée dont 2 mm de gencive libre et 3 mm de gencive adhérente, mais l’épaisseur est aussi, voire plus importante. Autour des implants, il faut une muqueuse fixe et épaisse. Je fais beaucoup de chirurgie muco-gingivale de recouvrement radiculaire et j’utilise le conjonctif. Les substituts ont été créés pour les praticiens qui ne savent pas prélever un conjonctif. (Voir l’article de Sanz et Tonetti dans le J. Clin. Perio).


Une hauteur minimum de tissu kératinisé autour des dents naturelles n’est pas nécessaire si un contrôle de plaque optimal est assuré (Wennström 1987). Lang et Löe (1977) recommandent une hauteur de gencive attachée supérieure à 1 mm pour éviter le risque de récession gingivale. En cas de traitement orthodontique avec déplacement des racines en direction vestibulaire, il y a risque d’apparition ou aggravation de récessions gingivales (Holmes et coll. 2005). En présence de couronnes, une hauteur minimum de 5 mm de tissu kératinisé est recommandée par Maynard et Wilson (1979) : 2 mm de gencive libre et 3 mm de gencive attachée. Pour Ericsson et Lindhe (1984), la présence de restaurations prothétiques à limites sous-gingivales nécessite une hauteur minimale de tissu kératinisé pour réduire le risque de récession gingivale. À la lumière de la littérature, je pratique des greffes épithélio-conjontives ou conjonctives avant traitement orthodontique ou prothétique. Concernant l’utilisation de matériaux de substitution (matrices collagéniques ou allodermiques) pour réduire la morbidité des interventions liée au prélèvement palatin, la régularité des résultats en termes de recouvrement et la stabilité du recouvrement à long terme n’est pas démontrée avec ces matériaux. En outre, le « gold standard » en termes de recouvrement et d’esthétique, reste la greffe de tissu conjonctif enfoui et en termes de gain de hauteur de tissu kératinisé, la greffe épithélio-conjonctive. Concernant les implants, une méta-analyse récente (Thoma et coll. 2018, COIR, groupe de Zurich) montre une réduction des indices d’inflammation et de perte osseuse marginale péri-implantaire quand il y a présence de tissu kératinisé. Pour cette raison et réduire les risques de complications péri-implantaires, je réalise des greffes gingivales pré-implantaires, en particulier, au niveau du secteur molaire mandibulaire, lorsqu’il y a absence de tissu kératinisé. En effet, dans ce secteur, le contrôle de plaque est rendu difficile par la présence uniquement de muqueuse en vestibulaire de l’implant.


Non je ne fais pas de greffe pour maintenir la santé parodontale. Par contre la gencive kératinisée est indispensable pour stabiliser la position des collets autour des prothèses en particulier. Je pratique très régulièrement des greffes conjonctives dans des indications variables : orthodontie, prothèse, implants, esthétique. Je n’utilise pas de substituts, les produits actuellement disponibles étant peu efficaces. J’essaie dans la mesure du possible d’éviter le prélèvement palatin en privilégiant d’autres zones de prélèvement.


La gencive kératinisée autologue reste le meilleur soutien autour des dents ou autour des implants. Je pratique des prélèvements palatins ou tubérositaires.


En 1972, Lang et Loë ont publié une étude montrant que 2 mm de TK (tissu kératinisé), dont 1 mm de gencive attachée, étaient nécessaires pour le maintien d’un parodonte en bonne santé. (Lang NP, Löe H. The relationship between the width of keratinized gingiva and gingival health. J Periodontol 1972 ; 43 (10) : 623-627). Cet article a alors donné lieu à de nombreuses interventions visant à augmenter préventivement le TK chez des patients n’en ayant pas suffisamment. Puis en 1981, Wennström a publié un article qui a remis en cause cette nécessité (Wennström J, Lindhe J, Nyman S. Role of keratinized gingiva for gingival health. Clinical and histologic study of normal and regenerated gingival tissue in dogs. J Clin Periodontol 1981 ; 8 (4) : 311-328.) : il a montré qu’en l’absence  de plaque dentaire et d’inflammation, le TK n’était pas nécessaire pour conserver un parodonte en bonne santé.

Le consensus américain de parodontie de 2015 confirme l’étude de Wennström : le TK n’est pas nécessaire pour conserver un parodonte en bonne santé en l’absence de plaque dentaire, mais dans le cas inverse 2 mm de gencive attachée sont nécessaires. (Kim DM, Neiva R. Periodontal soft tissue non-root coverage procedures : a systematic review from the AAP regeneration workshop. J Periodontol 2015 ; 86 Suppl : S56-S72). Une revue de littérature de 2010 fait le point sur les interactions entre couronnes et parodonte : en matière de prothèse fixée, les principes de respect du parodonte n’ont pas évolué. (Kosyfaki P, del Pilar Pinilla Martín M, Strub JR. Relationship between crowns and the periodontium : a literature update. Quintessence Int 2010 ; 41 (2) : 109-12). En l’absence de TK, le choix prothétique devra se porter sur des limites strictement supra-gingivales. Cependant, les exigences esthétiques contre-indiquent fréquemment ces limites supra-gingivales. Pour obtenir un résultat esthétique, le praticien qui réalise la prothèse est donc amené́ à placer les limites intrasulculaires à distance du système d’attache.

Pour ce faire, la présence de TK est indispensable : s’il n’existe pas au préalable, une chirurgie muco-gingivale de création est indiquée, afin de bénéficier de 2 mm de hauteur de TK. De même, si le TK est insuffisant, une procédure d’augmentation de celui-ci est indiquée. (Kim DM, Neiva R. Periodontal soft tissue non-root coverage procedures : a systematic review from the AAP regeneration workshop. J Periodontol 2015 ; 86 Suppl : S56-S72). Enfin, même en présence de TK, les limites doivent respecter l’espace biologique. C’est pourquoi les limites sous-gingivales sont à proscrire, car elles lèsent l’attache parodontale, et engendrent une destruction du parodonte. La nécessité de tissu kératinisé autour des implants a fait l’objet de nombreuses controverses ces dernières années et la littérature est très abondante : on compte plus de trente revues systématiques traitant de l’augmentation de TK autour d’implants dans les cinq dernières années. La plus récente d’entre elles, publiée en décembre 2019, résume ainsi les orientations successives du débat (Longoni S, Tinto M, Pacifico C, Sartori M, Andreano A. Effect of Peri implant Keratinized Tissue Width on Tissue Health and Stability : Systematic Review and Meta-analysis. Int J Oral Maxillofac Implants. 2019 Nov / Dec ; 34 (6) : 1307-1317). Initialement, les études les plus anciennes n’ont pas démontré́ de lien entre absence de TK et taux de survie implantaire. Puis certaines études ont mis en évidence une corrélation entre absence de TK et perte osseuse marginale, ainsi qu’inflammation péri-implantaire chronique. Les revues systématiques concluaient alors au manque de preuve scientifique pour lier défaut de TK et susceptibilité des tissus péri-implantaires. Cependant, les études concluent qu’un défaut de Tissu kératinisé engendre une accumulation accrue de plaque, une inflammation chronique augmentée ainsi qu’un risque plus grand de perte osseuse marginale.

Plusieurs éléments peuvent expliquer ce changement de paradigme. Tout d’abord, le niveau de preuve scientifique était jusqu’à̀ présent insuffisant : Renvert et coll., dans une méta-analyse de 2015, concluent que le lien entre défaut de TK et mucosite existe, mais que l’évidence scientifique reste faible. (Renvert S, Polyzois I. Risk indicators for peri- implant mucositis : a systematic literature review. J Clin Periodontol 2015 ; 42 (Suppl 16) : S172-S186). Mais, le manque de données diminue avec le temps, le recul clinique augmente, et les auteurs des articles les plus récents commencent à tirer des conclusions similaires : ils recommandent de conserver un maximum de TK présent sur le site implantaire, voire de l’augmenter en cas de facteurs de risques. Les récentes études mettent également en évidence que l’épaisseur de TK autour des dents et des implants est au moins aussi importante que la hauteur. Il n’y a pas aujourd’hui d’intervention de chirurgie muco gingivale qui seraient « passe-partout ». Chaque protocole doit respecter ses indications et le choix est imposé par la situation clinique. La greffe epithelio-conjonctive est l’indication de choix lorsque nous sommes confrontés à une situation où il a y a absence de TK sur le site mais également sur les zones adjacentes empêchant de réaliser des lambeaux translatés. L’inconvénient majeur est le deuxième site chirurgical qui peut être réalisé soit au niveau du palais soit au niveau de la tubérosité ou d’une crête édentée. Ce deuxième site peut être la cause d’inconfort voire de douleurs parfois d’où la recherche de l’industrie pour nous fournir des matériaux de substitution. Les différents matériaux de substitution (type Mucograft, Mucoderm ou Fibroguide) ne permettent pas de créer du TK. Ils sont des alternatives aux greffons de conjonctif enfoui pour épaissir un tissu mais avec des résultats moindres et des coûts plus importants pour le patient ce qui limite leurs utilisations. (Chevalier G, Cherkaoui S, Kruk H, Bensaïd X, Danan M. Xenogeneic collagen matrix versus connective tissue graft : case series of various gingival recession treatments. Int J Periodontics Restorative Dent 2017 ; 37 (1) : 117-123). Nous réalisons ces chirurgies muco-gingivales au 2e temps chirurgical (dans la mesure du possible) ce qui nous permet au moment de la mise en fonction de gérer la hauteur et l’épaisseur des tissus autour des implants.


L’absence de gencive kératinisée autour d’une dent naturelle sans artifice prothétique peut dans certaines situations maintenir une santé parodontale convenable à condition que le patient maintienne un bon contrôle de plaque sans pour autant se brosser d’une manière intempestive. La présence d’un artifice prothétique, nécessite le plus souvent un minimum de 2 mm de gencive kératinisée attachée. Les greffes épithélio-conjonctives ne sont pas celles que nous pratiquons le plus car dans la grande majorité des cas, nous sommes confrontés à des situations où les dénudations radiculaires sont présentes dans une zone esthétique. Néanmoins, elles conservent encore aujourd’hui un certain nombre d’indications, en particulier, lorsqu’un renforcement du parodonte est recherché. On parle essentiellement des cas de récessions gingivales de type 3 mandibulaires ou une absence totale de tissu kératinisé autour d’une dent ou d’un implant. En ce qui concerne les couronnes sur implants, nous considérons que la présence d’un manchon épithélio-conjonctif de 2 mm de largeur et d’épaisseur en périphérie d’une restauration implantaire est quasi obligatoire quelle que soit la situation. Par ailleurs, le recouvrement d’un pilier ou d’un implant partiellement dénudé nous semble difficilement prédictible d’autant plus que la contamination de cette partie apparente est difficilement

contrôlable. L’épaississement de la muqueuse kératinisée lors par exemple d’une extraction implantation immédiate dans le secteur antérieur est quasi systématique. L’apport de muqueuse kératinisée est fréquent dans le secteur postérieur mandibulaire car nous nous retrouvons souvent en présence d’une muqueuse fine et peu large dans cette zone en particulier et dans les cas de résorption osseuse. Le prélèvement palatin et tubérositaire restent notre préférence. Nous utilisons exceptionnellement des matériaux de substitution et que quand le prélèvement autogène n’est pas possible ou insuffisant. Cairo F, Barbato L, Selvaggi F, Baielli MG, Piattelli A, Chambrone L. Surgical procedures for soft tissue augmentation at implant sites. À systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Clin Implant Dent Relat Res. 2019 ; 21 : 1262-1270


En résumé : toutes les études (déjà anciennes) montrent que la G.K. n’est pas nécessaire pour maintenir la santé parodontale. Néanmoins dans les différentes situations décrites par les auteurs ci-dessus (orthodontie, prothèse, implant etc..) une hauteur de 5 mm minimum reste indispensable. Les caractéristiques histologiques de la G.K., dont principalement l’insertion de ses fibres collagéniques perpendiculairement à la surface osseuse, lui permettent de mieux résister à l’inflammation que la muqueuse. Les substituts dont le coût est relativement élevé n’ont que peu d’intérêt par rapport au prélèvement palatin qui est assez simple à réaliser avec un peu d’entraînement. En ce qui concerne les implants il semble qu’une hauteur et une épaisseur suffisante, notamment pour les molaires inférieures soit indispensable à la pérennité et au maintien de l’os péri-implantaire.