Rencontre avec Jean-Paul HEVIN

Maître Chocolatier, Meilleur Ouvrier de France

une visite guidée par Jacques Bessade

Parmi notre galerie de portraits, il existe un groupe un peu à part dans les métiers de bouche et qui constitue l'excellence de l'artisanat français.

 

Il s'agit des MOF, les Meilleurs Ouvriers de France. Cette société a été créé en 1929 avec pour objectif de promouvoir le savoir-faire français dans l'artisanat, l'industrie ou les métiers du luxe, ainsi que de porter les valeurs d'excellence, de précision et d'innovation, autant de valeurs qui nous sont également très chères.

Cette grande famille regroupe des métiers aussi divers que sommelier, mouleur, statuaire, luthier, pipier, tôlier, dinandier, web désigner, bourrelier, lapidaire ou fleuriste. Les MOF se retrouvent principalement dans les métiers du bâtiment et du patrimoine (22%), dans la restauration (15 %), la mode (12%), le bois (10%) et l’industrie (10%). Au total, on dénombre 1500 sociétaires représentant 200 classes de métier. 9000 ont obtenu ce titre depuis sa création. Il y a une nouvelle promotion tous les trois ans.

La société des MOF organise chaque année le concours des MAF, meilleur apprenti de France destinés aux moins de 21 ans. En 2015, sur 5106 candidats, 817 sont parvenus en finale dont 316 lauréats dans 100 spécialités.

Pour les métiers de bouche, on trouve des cuisiniers, des chocolatiers, des sommeliers et des prothésistes. Tout le monde connaît Paul Bocuse, Frédéric Anton, Joël Robuchon ou Philippe Etchebest. Nous avons choisi de vous présenter dans ce numéro le portrait d'un grand chocolatier français, M. Jean Paul Hevin et dans un prochain numéro, nous vous présenterons M. Jean Pierre Casu, prothésiste niçois.


Les missions des MOF : RASSEMBLER – PARTAGER - TRANSMETTRE

Originaire de la Mayenne, Jean Paul Hevin prépare très tôt les tartes aux fruits du verger qui régaleront la famille. Il passe tout naturellement son CAP et croise le chemin d’un premier col bleu blanc rouge, celui de Joël Robuchon . Il part une année au Japon pour lancer une boutique pour Lucien Peltier, un Grand de la pâtisserie française et en rapporte un sens aigu de la qualité et de l'exigence. Il passe le concours de MOF, section pâtisserie-confiserie en 1986 et ouvre sa première boutique parisienne en 1988. Il s'exporte à son tour au Japon où on le trouve dans les 6 plus grandes villes de l'archipel, de même qu'à Taïwan et à Hong Kong. JP Hevin travaille dans 2 laboratoires, le premier, dédié au chocolat, à Colombes en région parisienne et l'autre avenue de la Motte Piquet à Paris, destiné à la pâtisserie. Chaque semaine, un pont aérien embarque les précieux bonbons de chocolat pour l'autre bout du monde. Chaque jour, le même challenge, trouver les meilleurs produits et les sublimer en équilibrant goût, texture, forme, stabilité et brillance.

J.P. Hevin est un infatigable créateur de plaisir qui prend soin de notre santé en introduisant le minimum de sucre possible dans ses créations, chocolats ou macarons.


Visite de l'atelier de Colombes

Dans l’antre du Chef, j’assiste à la fabrication des précieux chocolats. Le responsable prépare selon une méthode traditionnelle de la ganache à base de crème infusée. Il s’agit d’une macération de thé fumé additionnée de crème et d’eau, l’ensemble chauffé à 65°C auquel on va ajouter le chocolat. On mélange pour avoir la densité, le volume et l’élasticité prévue. En effet, selon que l'infusion se fasse à froid ou à chaud, le goût obtenu ne sera pas le même. Chaque détail compte à chaque étape du processus de création. On va ensuite couler ce mélange sur des marbres ou le refroidissement va se faire sous contrôle permanent de la température et de l’hygrométrie. Puis, on découpe des bandes de chocolat et l'ensemble est alors découpé en chocolats individuels.

La composition varie non seulement par rapport à une référence gustative choisie mais aussi selon les circonstances de la consommation. Par exemple, le type de chocolat produit pour Noël n'est pas le même que pour la St Valentin. La sensibilité du public est différente selon les circonstances et même selon les saisons et les crus de chocolat n’ont pas le même goût d’une période à une autre. De même la recette sera différente selon la période de conservation du chocolat. On peut stocker des chocolats 8 jours mais certains autres peuvent être fabriqués pour un stockage d'une année !

Suivant la période de consommation du client, la recette est adaptée pour la fabrication de chaque chocolat. La façon la plus simple de conserver le chocolat est d'ajouter du sucre mais ici, à l’atelier HEVIN, on veut un minimum de sucre. C'est donc un exercice toujours très tendu. Tout l'Art consiste à rester le plus proche possible de la nature avec les meilleures saveurs possibles pour des produits sains à consommer. Cela exige une chaîne de fabrication ou tout est strictement contrôlé en permanence jusqu'au type de papier d'emballage.

Tout est très surveillé jusqu'à la vente. Il n'y a pas de revente dans l’entreprise HEVIN. Il n'y a aucun intermédiaire entre l'artisan et le consommateur Chaque produit fait l’objet d’une attention scrupuleuse à chaque étape et le Maître porte la responsabilité de tout ce qui sort de ses ateliers. Les machines de l'atelier sont impressionnantes et certaines sont uniques au monde et sont conçus pour durer des décennies. Nous avons vu une machine énorme que le chocolatier a conçu lui-même pour préparer ses coques de chocolats et gagner ainsi un temps précieux lors des périodes de rush de consommation. Des industriels allemands l’ont fabriqué et l’ont livré en laissant le Maître se débrouiller pour la mise en route et les réglages. Il existe même une machine à détecter les métaux dans les chocolats finis, au cas où... Les machines ne s'arrêtent jamais faute de voir le chocolat se figer et bloquer les machines.

Ces machines sont indispensables pour assurer les volumes mais l'homme maîtrise les goûts et les délais de conservation, ce que ne sait pas faire la machine.

 

M. HEVIN contrôle tout lui-même. Il va chercher son chocolat aux 4 coins du monde (Equateur, Brésil, Pérou, Madagascar et bien sûr, la Côte d'ivoire, premier producteur mondial) et fabrique ses chocolats, ses macarons et ses gâteaux. Il travaille avec un directeur artistique. Il s'implique même dans la conception de ses boutiques et du papier d’emballage.

 

L'atelier représente 28 ans de travail permanent. Il y a 85 personnes dans cet atelier, dirigés par 2 chefs, l'ensemble sous le contrôle du Maître. Cet outil de travail exceptionnel réclame des hommes d'exception car les process restent fragiles. Parfois l’homme goûte la production du jour et ne retrouve pas le goût prévu. Il se peut que les bacs de mélange employés mesurent 5cm de haut au lieu des 10 cm prévus et ça change tout ! En fait, la recette ne fait pas tout. On est dans un univers ou l'excellence est perpétuellement remise en question par d'infimes détails. Savoir-faire et procédures sont de plus en plus pointus.

 


L'univers de la pâtisserie est décidément impitoyable. Le grand défi de demain sera de trouver une forme de fonctionnement en contournant la nécessité de l’homme contrôleur de tout mais c’est là une autre histoire.

Pour JP Hévin, être devenu MOF a été un grand bonheur mais son premier sentiment a été de se dire : « tout reste à faire ». Ça a été une espèce de CAP d'exception car chaque jour, il essaye d'aller au-delà de ce qu’il a déjà fait à la recherche de nouvelles expressions gustatives. Les choses ont beaucoup évolué, les modes de consommation mais aussi les chocolats. Il est à la recherche de plus de plaisir, plus d'intensité dans les saveurs. Il a inventé les chocolats apéritifs avec une association vin- chocolat qui fonctionne toujours. Curieusement, il n'y a pas de brevet sur ces produits. La propriété industrielle n'existe pas en matière de chocolat. Le macaron appartient à tout le monde et l'essentiel, selon lui, est de le faire partager au plus grand nombre. Il s'agit donc de former au maximum les jeunes pour que le niveau moyen de la production ne cesse de croître. Il y a peu de jeunes qui sortent du lot. Cela demande un travail énorme proche du sacrifice.

Malheureusement, JP Hévin nous indique que les métiers de cuisine sont en train de changer. Le goût n'est pas qu'une affaire d'assemblage, ce serait trop simple. La cuisine d'aujourd'hui devient une cuisine de montage, très visuelle avec certaines incompréhensions des goûts entre eux. Le public évalue le croquant, le fondant, l'acidité, et parle moins du goût. Ça devient assez étrange pour lui.

 

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