Anne Claisse Crinquette, une femme à la tête de l’Académie

Anne Claisse-Crinquette, nouvelle Présidente de l’Académie Nationale de Chirurgie Dentaire,a accepté de répondre aux questions de Michèle Albou

AO News #44 - Septembre 2021


AONews. Anne Claisse-Crinquette, au nom d’AOnews et de nos lecteurs, je tiens tout d’abord à vous féliciter !

Que ressent-on quand on est nommée au poste de Président de L’Académie Nationale de Chirurgie Dentaire par ses pairs ?

Anne Claisse-Crinquette. La Bruyère disait que la fausse modestie est le dernier raffinement de la vanité. Alors, je ne vais pas jouer la coquette, et avouer que c’est un honneur et une fierté que de se voir proposer cette fonction.

On peut penser que c’est seulement une opportunité, mais en vérité, le parcours est long pour arriver à la présidence et c’est un peu une suite logique des choses lorsque vous vous investissez dans l’Institution. Durant une dizaine d’années vous apprenez les rouages de l’Académie et vous travaillez dans les commissions en tant que membre associé national puis comme titulaire. Vous pouvez alors être pressenti pour rejoindre le Conseil d’Administration où votre implication et vos responsabilités décuplent. Enfin, un jour vos pairs vous sollicitent pour assurer la fonction présidentielle. Il s’agit d’abord d’assumer la charge de vice-président, qui conduit statutairement à la présidence, après accord du Conseil d’Administration puis acceptation par vote de l’Assemblée générale. On a donc le temps de se faire à l’idée d’être un jour Président de L’Académie Nationale de Chirurgie Dentaire et de se préparer à cette responsabilité qui ne s’improvise pas.

 

AON. Vous êtes si légitime par votre parcours pour honorer ce poste. Quels sont vos projets, Comment envisagez-vous marquer votre présidence ?

A.C.C. Chaque année la roue tourne et tout en étant dans une certaine continuité, les diverses présidences sont marquées par la personnalité et la sensibilité de chacun.

Pour ma part, je trouve que l’Académie Nationale de Chirurgie Dentaire a un savoir-faire certain mais elle pâtit d’un manque faire savoir. Elle est trop discrète, mal connue et manque de reconnaissance comme de modernité. Mon premier projet durant cette courte année sera de faire rayonner notre institution auprès des organismes de santé, des autres académies, des pouvoirs publics et de nos propres collègues en utilisant tous les moyens et supports disponibles. Mon ambition est aussi de moderniser notre Institution et notamment son règlement intérieur qui s’avère trop souvent inadapté à l’évolution du monde actuel et qui freine notre progression.

Une partie importante de notre activité est rassemblée au sein de commissions. Toutes travaillent sur des projets, des sujets ou publient des rapports qui impliquent et impactent notre profession. Je souhaite que leur travail ne demeure pas confidentiel mais qu’il soit diffusé et valorisé.

La reconnaissance de l’Académie par les pouvoirs publics est acquise. Elle se manifeste par sa qualification de nationale qui signe une distinction valorisante parmi d’autres institutions simplement académiques. Nous sommes donc partenaire de l’Etat qui définit attributions et objectifs, mais cela implique le respect de règles rigides et fragiles. Cette qualité peut en effet nous être retirée unilatéralement.

C’est là incontestablement une distinction attribuée au mérite que l’on doit honorer par nos différentes activités. Même si l’Académie n’a pas vocation à la formation post-universitaire elle a le devoir de faire connaître aux futurs confrères son éthique et le résultat de ses réflexions.

 

AON. Une année de présidence, n’est-ce pas trop court pour mettre en œuvre de nouveaux projets et les voir aboutir. Pensez-vous pouvoir faire bouger les choses ?

A.C.C. Une année, c’est effectivement beaucoup trop court pour faire changer fondamentalement les règles mais c’est statutaire donc non modifiable dans l’état actuel des choses. Heureusement le fonctionnement de L’Académie permet normalement de travailler sur trois années successives. En effet, en principe, le vice-président travaille de concert avec le président afin de préparer sa présidence alors que le past-président les accompagne et les fait bénéficier de son expérience. Malgré cette organisation, le temps est compté et il est souvent difficile de concrétiser tous les projets et malheureusement encore davantage dans la période troublée que nous traversons.

 

AON. Dans votre vie professionnelle, quelle situation vous a semblé plus difficile à gérer : votre exercice privé, votre longue activité d’enseignante hospitalo-universitaire et post-universitaire ou les missions d’expertises ?

A.C.C. J’ai adoré mon exercice privé. La confiance, la complicité, les rencontres et le suivi que j’ai pu avoir avec mes patients durant tant d’années m’ont apporté beaucoup de bonheur. Par ailleurs, être confrontée à la diversité d’une patientèle procure un enrichissement personnel et rend plus tolérant. Enfin, prendre en charge un patient est un défi permanent que j’ai toujours aimé relever. En vérité, cette part de mon activité a été facile à assumer car j’ai eu la chance de toujours conserver enthousiasme et passion pour mon métier. Je le souhaite à tous les praticiens...

Mes activités hospitalo-universitaires et post-universitaires m’ont également comblée. Elles ont été très complémentaires et indissociables de mon exercice privé qui a forgé mon expérience clinique. Notre profession est scientifique et basée sur la preuve mais elle ne peut pas s’affranchir de la main, prolongement de notre cerveau. L’expérience, née de l’observation et de la réflexion permet d’enseigner la répétition du geste, celui qui devient habileté. Transmettre mes connaissances, expliquer, montrer et voir progresser les étudiants ou les confrères a été particulièrement satisfaisant. Enrichissant aussi car il faut chaque jour se remettre en question pour progresser. Ce n’est pas toujours évident et cela demande beaucoup d’énergie !... Mais c’est fantastique de donner et de recevoir en retour.

Quant aux missions expertales, elles m’ont permis de découvrir un aspect de la nature humaine face aux situations conflictuelles et m’ont donné d’être confrontée avec le monde juridique qui fonctionne d’une façon tellement différente de la nôtre ! La gymnastique intellectuelle et la psychologie qu’elles nécessitent sont très stimulantes et formatrices. Cependant la perception des choses varie beaucoup d’une personne à l’autre, qu’elle soit experte, victime ou plaignante. Face aux décisions à prendre, malgré l’aspect factuel et objectif d’une analyse, le doute peut cependant s’installer et l’on se retrouve parfois bien seule lors de la rédaction de son rapport. Heureusement, la concertation entre experts prend alors toute son importance et sa justification.

Finalement, pour répondre plus précisément à votre question, les différents axes de ma vie professionnelle m’ont donné beaucoup de satisfactions et pris séparément, je dois dire qu’ils ne m’ont pas posé de problème particulier dans leur gestion. C’est le cumul des charges qui constitue une difficulté et je dois reconnaître que j’ai passé ma vie à courir après le temps. En revanche, je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer !

 

AON. Pour finir, auriez-vous une ou deux anecdotes en relation avec votre vie de chirurgien-dentiste à partager avec nos lecteurs ?

A.C.C. La première c’est l’histoire d’une vocation, la mienne. J’ai 10 ans, je croise la route de Didier, un prothésiste dentaire qui m’explique que faire une couronne ou un bridge c’est comme faire un bijou ou un objet d’art. Devant mon air effaré, il me met dans les mains un morceau de cire et me dit de sculpter un objet qui sera coulé dans la foulée. Je rentre donc chez moi le soir avec mon trophée et claironne à qui veut l’entendre que je ferai beaux-arts ou dentaire. Cette idée ne m’a alors plus quittée et envers et contre tous j’ai réalisé mon rêve d’enfant… Je ne l’ai jamais regretté.

La seconde anecdote personnelle, ironie du sort, vous concerne indirectement. Elle remonte à juin 1980. J’étais au tout début de ma carrière et mon maître le Professeur Jean Marie Laurichesse me propose de faire une conférence à l’ANEPOC sur Le diagnostic anatomique radiologique en endodontie. Rien qu’à cette idée, j’étais déjà stressée mais lorsqu’il m’a annoncé que je partagerai mon temps de parole avec le Professeur Jean Paul Albou, votre époux, et que je devais le rencontrer pour finaliser la conférence, de stressée, je devins paniquée ! Pour autant, Je n’ai pas eu le choix. Imaginez-moi, jeune enseignante débutante tétanisée, obligée de me rapprocher d’une telle personnalité reconnue, pour lui présenter mon intervention. Tout de suite, j’ai pu mesurer mon erreur de discernement devant cette situation car je me souviens encore de l’accueil chaleureux qu’il m’a réservé et de ses encouragements. Finalement, une très belle rencontre !

 

AON. Merci beaucoup et encore toutes nos félicitations pour cette nomination !!