AONews. Vous êtes un mordu de microbiologie et bactériologie depuis les années 90. Comment avez-vous attrapé ce « virus », aviez-vous un mentor ?
Michel Sixou. La microbiologie est une vieille complice qui a accompagné toute ma formation et ma carrière d’enseignant-chercheur. En parallèle de mon cursus de chirurgie-dentaire, j’ai validé une maîtrise de microbiologie à la Faculté de Médecine de Toulouse-Purpan qui était la formation suivie par les médecins biologistes. Avec un CES de virologie et un CES de bactériologie en poche, j’ai enchaîné sur un DEA de pharmacologie et toxicologie moléculaire en génétique bactérienne et virale au CNRS chez Martine Defais puis sur un Doctorat d’Université (UT3 Paul Sabatier) en épidémiologie des maladies infectieuses. Je suis ensuite parti à Philadelphie, à l’Université de Pennsylvanie (Penn) pour travailler avec Joseph DiRienzo, Jorgen. Slots, Ben Hammond dans leurs laboratoires et publier avec eux sur les principales bactéries anaérobies de la flore parodontale. J’ai pu côtoyer Max Listgarden, Sigmund S. Socransky, Bob Rosan qui étaient tous les leaders mondiaux de la microbiologie parodontale. J’ai appris toutes les techniques de biologie moléculaire et sérologique appliquée aux bactéries anaérobies du microbiote oral. De retour de Philadelphie à la fin de l’année 1991, j’ai travaillé à l’INSERM comme chercheur en immunogénétique moléculaire sur un poste d’accueil INSERM. J’ai appris dans l’équipe de Mogens Thomsen, un des spécialistes mondiaux du système HLA, à modifier génétiquement des cellules de défense humaine dans le cadre de rejet de greffe de moelle. J’ai créé mon propre laboratoire de recherche de microbiologie parodontale et mon équipe à la faculté de chirurgie dentaire en m’inspirant de Jorgen Slots et Benjamin Hammond et en parallèle, j'obtenais mon poste de maître de conférences en épidémiologie en 1993. J’ai cherché, publié, communiqué et enseigné pendant 20 ans dans ces domaines associés à la recherche clinique et au développement de médicaments dans le domaine des antibiotiques, antiseptiques, tests biologiques et de la médecine bucco-dentaire.
Donc toute ma carrière de chercheur et d’hospitalo-universitaire a été à l’interface de ces trois disciplines : la microbiologie, l’immunologie et l’épidémiologie. J’ai abordé ces trois disciplines par trois outils : la culture de microorganismes, la biologie moléculaire et la recherche clinique.
Voici en quelques lignes esquissées 30 ans de carrière, de rencontres, de projets, de beaucoup d’espoirs et parfois de désillusions consacrées à l’épidémiologie et la microbiologie. Ce qui me reste de ces années est la passion qui animait notre travail, le plaisir intellectuel à comprendre des mécanismes complexes, les liens forts entre membres de l’équipe, la découverte et le cheminement des étudiants dans cette voie ingrate de la recherche et les voir aujourd’hui inventer leur propre parcours. Il s’agit bien d’un parcours de passion dans un domaine où tout était à faire avec des rencontres qui éclairent le chemin. Et la crise de la Covid-19 est arrivée …
AONews. Pendant la crise de la Covid 19, vous avez été un passionnant intervenant sur les réseaux sociaux. Que dire de l’emballement des controverses pendant cette pandémie ?
M.S. Nous attendions tous une crise, une crise économique, une crise sociale, mais certainement pas une crise sanitaire. Cependant, il y a maintenant plus de 20 ans que des grands scientifiques internationaux nous mettent en garde vis-à-vis de notre mode de vie et de l’évolution de nos sociétés qui construisent de façon inéluctable les conditions favorables à l’émergence de virus agressifs pour l’homme (ou d’autres agents pathogènes). Nous avons eu plusieurs alertes trè sérieuses toutes liées au comportement de l’homme : EBOLA, la crise de la vache folle, la grippe H1N1, le SRAS, le MERS. Mais nous n’avons pas compris !
AONews. La crise actuelle est-elle en mesure de provoquer un changement ?
M.S. Les différents responsables politiques de ces 40 dernières années sont responsables de ces différentes crises par leurs choix et décisions. Ceux qui ont provoqué ces crises sont-ils en mesure de trouver les solutions pour les résoudre ? Les controverses pendant cette pandémie ont eu trois moteurs : la peur de la population, les enjeux économiques et les égos.
- La peur : Les épidémies suscitent depuis notre origine, une peur irrationnelle qui s’exprime depuis quelques décennies par des rumeurs sur la maladie (grippette, hôpitaux dangereux,…), sur les traitements (nicotine, hydroxychloroquine, eau de javel, UV,…) et par les théories complotistes (P4 de Wuhan,…). La crise Covid-19 a été particulièrement riche en rumeurs de toutes sortes en raison des mesures politiques d’exceptions et du discours des médias particulièrement anxiogène.
- Les enjeux économiques : L’importance de cette crise planétaire et le mode de transmission d’un virus aérocontaminant ont amplifié les enjeux financiers historiques liés à la course aux traitements et aux vaccins. Cette crise a créé le plus grand marché financier qui n'ait jamais existé dans l’histoire de l’humanité : 7,8 milliards d’individus. Les enjeux financiers ne sont même pas imaginables pour la plupart d'entre nous. Le moindre espoir sur une molécule pendant quelques semaines représente des milliards d’€ de bénéfices. Alors conflits d’intérêts, lobbying, essai clinique orienté, communication de pseudo-résultats préliminaires, corruption sont inévitables dans un monde de compétition féroce. Les vaccins, le Remdevisir, le Tocilizumab et d’autres sont au cœur de cette problématique.
- Les égos : Le dernier élément moteur dans les polémiques est peut-être le plus puissant. Il s’agit de l’ego des chercheurs. Le mode de sélection des universitaires et des chercheurs concentre les plus gros égos qui se livrent à des batailles scientifiques redoutables par congrès ou publications interposées. Ces luttes conduisent souvent à des niveaux de haine, de détestations difficiles à imaginer. Si l’on ajoute une crise sanitaire sans précédent, un emballement médiatique et des conflits d’intérêts, tous les ingrédients sont là pour permettre l’embrasement auquel nous avons assisté ces derniers mois. La suite s’annonce encore plus violente…
Cette crise sanitaire a eu quelques effets positifs dans nos relations les uns aux autres, l’engagement de certains et le partage de connaissances. La publication scientifique, qui est également un marché financier, a été pour la première fois de son histoire laissée en accès libre et gratuit à l’ensemble de la communauté de la planète permettant de partager les connaissances. Depuis le début de cette crise, je lis, analyse, sélectionne, synthétise et met à jour cette masse d’informations (25 000 publications en 6 mois) pour aider les professionnels de santé des cabinets dentaires à mettre en œuvre les meilleures solutions pour une reprise d’activité et surtout maintenir une activité sécurisée pour les patients, l’équipe de soins et les proches.
AONews. A ce jour, pouvez-vous nous faire un point sur les connaissances actuelles ?
M.S. C’est la première fois dans ma carrière où la vitesse d’évolution des connaissances sur une maladie est perceptible d’une semaine à l’autre. La phrase « les vérités d’aujourd’hui deviendront les erreurs de demain, les vérités n’étant que provisoires » prend tout son sens. La Covid-19 est une maladie infectieuse provoquée par le coronavirus SARS-CoV-2 dont les premiers cas ont été découverts en décembre 1999 à Wuhan en Chine. Les premiers patients français officiellement identifiés remontent à fin janvier 2020.
Le virus se transmet par les fluides corporels, contact direct (mains, surface), les gouttelettes (toux,parole) et par l’air (respiration).
Les études épidémiologiques mettent en évidence un taux d’exposition de la population entre 2% et 4,5%. Moins de 2 millions de français auraient donc été contaminés. 20% d’entre-eux seraient asymptomatiques (400 000). 80% des 1,6 million des français symptomatiques auraient des formes bénignes prises en charge à domicile par le médecin généraliste. 320 000 sont des formes prises en charge à l’hôpital. Au 15 juillet 2020, on comptabilise 30 000 morts. Le virus est résistant au froid, aux variations de pH, aux variations d’humidité. Il est sensible aux UV à la température, aux détergents, tensioactifs, alcools, solvants, oxydants.
Il n’y a aujourd’hui aucun traitement étiologique efficace et aucun vaccin. La prise en charge est symptomatique (traitement de soutien). Pour les formes les plus graves prises en charge en réanimation, les meilleures connaissances sur la physiopathologie de la maladie ont permis de
réduire la mortalité dans ces services de 70% (au début de l’épidémie) à environ 15% (à la fin de l’épidémie). En particulier l’utilisation des respirateurs, d’anticoagulant, de corticoïdes ont permis ce résultat.
AONews. Que penser des polémiques sur l’hydroxychloroquine ?
M.S. Je ne me permettrais pas d’apporter une réponse catégorique mais il semble évident que si cette molécule a une efficacité réelle, elle est faible et difficile à mettre en évidence. Les différentes études déjà publiées auraient répondu à la question si le bénéfice était majeur.
AONews. Que penser des résultats obtenus à l’IHU de Marseille ?
M.S. Le protocole mis en place à l’IHU de Marseille a probablement contribué aux excellents résultats obtenus sur la population (campagne de tests massive, isolement des patients positifs et des cas contacts, prise en charge médicale précoce des porteurs du virus par antiviral-antibiotique, utilisation des mesures de distanciation sociale et masque). Cette prise en charge correspond aux procédures utilisées dans les 10 pays ayant le mieux gérés la crise sanitaire et ayant le moins de morts dans le monde.
AONews. Que penser du remdesivir, du tocilizumab, de l’association lopinavir + ritonavir ?
M.S. Aucun de ces produits n’a démontré d’efficacité. Ils sont par contre pour le remdesivir et le tocilizumab associés à des enjeux économiques énormes qui rendent leur évaluation plus délicate. Le remdesivir est commercialisé à 2 800 € le traitement par patient sans aucune preuve d’efficacité. L’association lopinavir et ritonavir a été évaluée non efficace et est progressivement retirée de tous les essais cliniques en cours…
Concernant la mise au point d’un vaccin, la communauté scientifique n’a jamais su développer un vaccin contre un virus à ARN (SIDA, SRAS MERS). Les coronavirus posent d’énormes problèmes à la réponse immunitaire de notre corps et surtout à sa stabilité dans le temps. Cependant, les moyens mis en œuvre sont à l’échelle des enjeux. Seul l’avenir nous apportera quelques réponses mais cet avenir peut difficilement s’imaginer avant fin 2021 dans les hypothèses les plus optimistes.
AONews. Récemment, un test salivaire français a été proposé. Qu’en pensez-vous ?
M.S. Le Ministère de la santé envisage de mettre en place fin juillet 2020, des tests salivaires pour les voyageurs venant de pays à risque. Ces tests sont en cours de certification. Le candidat le plus sérieux est français. Ce test virologique utilise le même principe que les tests PCR de recherche du virus SARS-CoV-2. Il a pour principal intérêt sa rapidité (environ 30 minutes), son prélèvement non invasif, sa simplicité de mise en œuvre (échantillon de salive mélangé à des réactifs à 65°C pendant 30 min). Il est appelé EasyCoV et a été développé par une collaboration étroite entre le CNRS, le CHU de Montpellier et la société de biotechnologie SkillCell. Ce test a été comparé à la méthode de référence RT-PCR sur une population de 133 sujets. Il a démontré une spécificité de 95,7% et une sensibilité de 72,7%. Le principe de ce test repose sur la détection de l’ARN par fluorescence (RT-LAMP détection). Le test semble donc parfaitement adapté pour évaluer le statut d’une population importante. Aujourd’hui, 200 000 Kits sont produits chaque semaine et commercialisés en France. Les domaines d’application sont multiples (résidents des Ehpad, voyageurs internationaux, sportifs,…). Le test salivaire EasyCoV est un outil intéressant pour le chirurgien-dentiste autant pour la protection de l’équipe de soins que pour la gestion des patients.
AONews. Enfin, vous vous êtes entouré de collaborateurs pour la parution d’un nouvel ouvrage sur la pandémie. Dites-nous tout !
M.S. Pendant cette période hors du temps, tout ce qui était important s’est arrêté. La plupart des repères qui rythmaient nos vies ont disparu. La fragilité extrême de nos sociétés est apparue avec une force et une évidence étrange. Il est donc devenu vital de comprendre ce qui se passer et non pas d’accepter ce qu’on nous disait avec un grand nombre de prises de paroles, de commentaires incohérents et irrationnels. A quelques rares exceptions, la plupart des personnes dites responsables ont disparu de l’espace public. Mais parfois, des propos et des actions d’inconnus ont été de belles surprises.
Cette période a été pour moi l’occasion de reprendre contact avec des personnes, des praticiens, des universitaires, des scientifiques que j’avais perdus de vue. Les multiples moyens de communication actuelle m’ont permis d’échanger avec eux de la situation, des événements, de la production scientifique et médicale. Cette période a été très intense par la charge de travail qu’a représenté l’analyse de la littérature mondiale sur la Covid-19 mais aussi par les échanges quotidiens avec ce réseau de personnes actives et impliquées dans la crise sanitaire et sociétale.
Très rapidement, il est devenu évident qu’il fallait partager ces réflexions avec le plus grand nombre par des mises au point régulières publiées sur Facebook et d’autres réseaux. Puis, il est devenu évident qu’il fallait aider les praticiens à redémarrer leur activité. J’ai ainsi pu toucher plus de 800 praticiens via des conférences distancielles. Il est également devenu évident qu’il fallait écrire pour aider la réouverture des cabinets. C’est pour cela que nous avons préparé un numéro spécial du JPIO pour diffusion dès le mois d’août 2020.
La première personne que j’ai sollicitée est Paul Mattout, éditeur en chef du Journal de Parodontologie et d’Implantologie orale (JPIO). Dans l’urgence de la situation, je lui ai proposé un numéro spécial Covid-19 qui l’a tout de suite enthousiasmé. L’idée était d’aller très vite car le plus important était de prendre les mesures nécessaires pour ne pas avoir à refermer les cabinets en situation de nouvelle phase épidémique à l’automne. Ce numéro spécial a été possible grâce à une équipe de choc. Vianney Descroix, Jean-Noël Vergnes, Nicolas Giraudeau et Carole Leconte en ont chacun pris en charge une partie. Ils ont apporté leurs compétences d’universitaire, de chercheur ou praticien libéral mais surtout leur curiosité et leur capacité de prise de recul et d’analyse de cette crise.
Nous répondons à des questions fondamentales comme :
- Un coronavirus : c’est quoi ?
- Comment utiliser les tests biologiques Covid-19 ?
- Comment reprendre une activité normale dans mon cabinet dentaire ?
- Faut-il intégrer la gestion de l’air dans les mesures d’hygiène en cabinet ? Comment faire ?
- Que s’est-il passé ces derniers mois pour justifier toutes ces mesures sanitaires ?
- Comment se protéger des infections virales ?
- La téléodontologie est-elle un outil pour nous aider dans la gestion de cette crise
Un autre ouvrage est en préparation chez CdP pour le mois de novembre avec la même équipe. Il s’agira de décoder plus en profondeur cette pandémie, ses conséquences pour notre pratique de médecine bucco-dentaire et les mesures à mettre en place pour ne plus la subir.
Cette crise nous a fait prendre conscience de l’importance de savoir gérer en cabinet au quotidien les microorganismes de type aérocontaminant. Cette prise de conscience est à mon avis à l’origine d’un nouveau paradigme de l’hygiène en cabinet dentaire. Ce sujet spécifique sera l’objet d’un troisième ouvrage en début d’année 2021. Il constituera un guide pratique décrivant toutes les modifications à apporter dans les mesures d’hygiène et d’asepsie en cabinet dentaire pour gérer ces nouveaux virus.