Rencontre avec Gérard Scortecci

Fondateur du Congrès Euro Implanto

Ao news #48 -  Février 2022

AONEWS : Gérard, on se connaît depuis plus de 20 ans, et je couvre le congrès que vous avez créé depuis 2012. Vous êtes une personnalité hors norme de la profession : tout à la fois clinicien, inventeur, chercheur, enseignant, expert judiciaire mais avant toute chose, vous êtes un passionné ! Je pense même que l’on peut vous qualifier de passionné de l’extrême. Extrême dans la complexité clinique des situations que vous êtes appelé à gérer, extrême dans le niveau d’engagement qui a toujours été le vôtre, que ce soit dans votre cursus, dans vos loisirs, ou même dans votre sens de l’amitié.

Votre parcours est extraordinaire. Ce qui le caractérise, ce sont les rencontres faites au fil de votre vie et qui seront autant de repères pour bâtir une carrière d’exception. L’humain est le fil conducteur de votre vie. Qu’il soit le simple patient, le chercheur, le confrère, le voisin ou un parent, toutes et tous vous ont marqué et vous ne les oubliez pas. Ils sont autant d’histoires, d’anecdotes, que vous avez accepté de partager pendant deux heures. Merci de les partager avec nos amis d’Alpha Oméga.

Cela vaut une mise en relief qui, j’en suis sûr, passionnera nos lecteurs, jeunes ou plus anciens. Racontez-nous votre parcours...

 

Gérard Scortecci : J’ai commencé ma carrière il y a 48 ans. Diplômé de la Faculté de Médecine de Marseille, j’ai posé mon premier implant en 1974. Entre 81 et 83, j’ai traversé plusieurs fois l’Atlantique pour repasser mes diplômes à l’Université de New York (NYU). C’est d’ailleurs là-bas que j’ai entendu parler pour la première fois du Sida au Vétéran Hospital. On bossait comme des fous et c’était la seule façon d’y arriver.

J’ai rencontré Jean Marc Juillet, praticien inventeur de l’implant T3D, et ses travaux m’ont permis d’inventer le Diskimplant® que j’ai présenté aux Etats-Unis avant d’être nommé Professeur consultant à la NYU. C’est en 1984 que j’ai découvert Israël, invité par les Américains, pour présenter une conférence avec le Pr H. Goldman (Boston) une sommité en parodontologie. Pour l’anecdote, sa valise avait été perdue et j’ai donc dû lui prêter des vêtements !

Je suis retourné très souvent en Israël. J’y ai assuré de nombreuses interventions retransmises en direct à l’Université d’Hadassah en 85, et c’est là que j’ai rencontré le Pr. Izahk Binderman, un biologiste chercheur, une référence. Notre amitié est toujours vivace. C’est lui qui a fait partie de l’équipe qui a mis au point les bi-phosphonates. A l’époque, il voulait intégrer l’équipe de pointe du CNRS de Nice dirigée par le Pr B. Rossi. Une équipe extraordinaire s’est donc formée avec Patrick Philip, Izahk Binderman et moi-même. Nous avons d’ailleurs contribué à un numéro spécial sur l’os pour AONews en 2017. Le Pr Binderman est toujours en activité à plus de 80 ans. C’est avec lui que les activateurs ostéogéniques ont été créés en 2005. A l’époque, cette équipe a travaillé en collaboration avec le Musée océanographique de Monaco pendant plus d’un an sur la nacre. Une maîtrise de Biochimie m’a bien aidé à comprendre la cascade moléculaire qui se déroule lors de l’activité ostéogénique provoquée par les ostéo-tenseurs. Izahk maîtrisait cela parfaitement au plan théorique, et j’ai adapté cela au plan clinique.

 

AON. Comment ne pas évoquer ici Raymond Leibowitch, autre figure de proue de notre profession…

 

G.S. En effet, une autre rencontre essentielle de ma vie est celle avec Raymond Leibowitch. Je me souviens que Michel Kadouch venait de rentrer d’Amérique…et sa marraine se faisait alors soigner chez Raymond. C’est d’ailleurs là, en 1975, que l’on a créé les Journées Dentaires de Nice (JDN). Tout naturellement, on a appelé Raymond et il est venu, très simplement, gracieusement, alors que c’était déjà une vedette mondiale.

En tant que délégué des Attachés, j’ai eu l’opportunité de rencontrer Jacques Chirac à Marseille en 1976. Nous voulions une faculté à Nice et il a promis qu’elle verrait le jour… Jacques Vermeulen, alors étudiant, en fut témoin.

En 83, j’ai passé ma thèse de doctorat de 3ème cycle à Montrouge. Il y avait là Knellesen, Leibowitch et Degrange. Finalement, c’est Marcel Gaspard qui a remplacé Leibowitch pour être mon directeur de thèse. En 1984 j’ai obtenu mon Doctorat d’exercice (qui venait d’être créé), en présentant la première thèse en implantologie Incidences parodontale et occlusale sur les lames de Linkow.

La rencontre avec Jean Marc Juillet a également été un moment très fort. De même celle avec Pierre Doms qui m’a ouvert les portes de son service de chirurgie maxillo-faciale à Bruxelles. C’était un chirurgien exceptionnel, formé dans le service du Pr Ginestet à l’Hôpital Foch. Il avait des doigts d’or.

 

AON... et le Pr Branemark

 

G.S. En 87, j’ai invité le Pr Branemark aux JDN. Il a opéré en direct avec Guy Huré sur une implantation totale. J’étais allé à Goteborg, où j’avais retrouvé Philippe Khayat, mais la première rencontre avec Branemark remonte à 85 à Louvain, chez le Pr Van Steenberghe. Les premiers implants Branemark® ont été posés en 86, et, pour la plupart sont toujours en place. J’ai privilégié les Branemark® pour les implants axiaux, de 86 à 91, mais en même temps que je développais les Disk® avec Anthogyr® qui les fabriquait. Cette aventure dure depuis 30 ans.

J’ai appelé mon entreprise Victory, en hommage à mon père Victor. A l’époque, Il y eu quelques fractures sur des Branemark® de diamètre 3.75. On a réfléchi et on a pensé que le micro-filetage pouvait être une solution pour les renforcer. L’idée a ensuite été reprise par Astra.

AON. Vous êtiez en fait un Géotrouvetou incroyable !

 

GS. J’ai en effet un passé d’inventeur : 22 brevets déposés, dont plus de dix sont encore actifs. Le reste est passé dans le domaine public. J’ai toujours fait mon possible pour passer le flambeau.

En 88, j’ai passé ma thèse d’Etat, L’implant dentaire tri-cortical, et obtenu l’Habilité à Diriger des Recherches. Mon directeur de thèse était Jacques Pantaloni, Recteur de l’Université de Corse, chercheur et physicien qui avait fait dentaire pour pouvoir financer ses recherches… mais il n’a pas eu besoin d’exercer puisque la recherche a enfin été financée en France ! L’histoire se répète mais les effets ne sont pas toujours ceux que l’on attend. Il suffit de voir l’échec de Pasteur, référence mondiale dans la vaccination, pourtant absent dans la course contre la Covid…L’excès de financement peut conduire à la stagnation quand la bureaucratisation s’en mêle.

J’ai ensuite créé le D.U. d’implantologie de Marseille, où l’on posait des Branemark® et des Disk®, puis le DU d’implantologie basale de Nice en 2003, avec le Pr Guillaume Odin.

En 2001, Implants and restorative Dentistry est sorti en collaboration avec Carl Misch (et même traduit en coréen !). C’est également cette année-là que j’ai utilisé les premiers PRF de Joseph Choukroun. Il a réellement fait avancer les connaissances sur les capacités autologues de régénération tissulaire.

En 2017, Spinger Nature m’a sollicité pour un nouvel ouvrage, et deux ans plus tard Basal Implantology a été publié.

 

AON : Merci pour ce beau panorama des 50 dernières années. Intéressons-nous maintenant au futur, comment voyez-vous l’évolution de l’implantologie orale ?

 

GS : Actuellement, on assiste à une fusion entre réalité et virtuel qui repousse les limites du possible. Depuis les années 2000, les possibilités deviennent inimaginables. L’intelligence artificielle va bouleverser la pratique dentaire. Des lunettes permettant de voir et d’opérer le patient en 3D seront bientôt disponibles, en plus du flux numérique. J’ai commencé dans le laboratoire de mon père en faisant tourner une fronde à bras pour couler le métal et maintenant, les machines tournent jour et nuit depuis 3 ans.

En 2006, j’ai réalisé ma première implantation totale bi-maxillaire en direct, avec navigation satellitaire. 15 ans après, la patiente est toujours satisfaite. En 2011, en direct aux JDN, a été réalisé la première mise en charge immédiate d’un bridge full zircone vissé sur 8 implants maxillaires. On sait que la zircone exige une précision maximale. Il a fallu une année entière de préparation pour réussir cette intervention. C’était une première mondiale et elle est toujours d’actualité. A l’époque, je ne pense pas que les spectateurs avaient conscience de ce qui se passait sous leurs yeux. Nous - mêmes étions dans le défi extrême. C’est insensé, quand on y pense ! Sur cette patiente édentée au maxillaire, j’avais dû poser 2 implants en 14-24 en flapless. Puis, quelques mois plus tard, on avait réalisé une empreinte, prothèse complète en place en solidarisant les piliers et on a enregistré l’occlusion au Luxabite® avant de tout donner au labo. On a placé 6 implants TG à l’aide d’un guide, puis posé des bagues de raccord avant de placer le bridge terminé. L’adaptation était incroyable et elle l’est encore à ce jour. La patiente, qui a été mon assistante, nous a quitté à l’âge de 91 ans.

Côté implants, nous avons dernièrement développé un guide spécial pour les implants zygomatiques. C’est le Z Guide. Paulo Malo est l’inventeur des implants obliques. La relève est bien là avec cette innovation incroyable et majeure.

Mais il faut rester prudent pour d’autres innovations, en particulier la zircone. Nous avons récemment eu 5 bridges complets full zircone fracturés, dont un après 24 heures. Comment est-ce possible alors que l’on en pose depuis une dizaine d’années. En fait, il y a zircone et zircone et il faut être vigilant. Avec ZirkonZanh®, tout va bien mais avec d’autres…

Aujourd’hui, un nouveau matériau, issu de l’aéronautique, a été mis au point pour l’armature des bridges implanto-portés complets : Zantex® (distribution exclusive Victory). Il est disponible en galette. C’est un composite renforcé par un réseau de fibres. Le matériau est léger et athermique. Nous avons déjà réalisé 14 restaurations complètes dont les deux cas de fracture de zircone. Il y a trois techniques possibles : soit un montage de dents en composite photo sur l’armature Zantex® ; soit le collage de dents type Kulzer® et Vivadent® ; soit la préparation d’une armature Zantex® pour des chapes télescopiques en céramique. Le matériau est facilement réparable en bouche.


AON : Quelles réflexions portez-vous sur la péri-implantite ?

 

GS : Aujourd’hui, tout le monde sait que la première erreur a été d’utiliser des surfaces en titane trop tourmentées, trop rugueuses car sous l’effet de la charge, il y a toujours un relargage. La péri-implantite est une pathologie dynamique. L’état de surface ne fait pas tout. C’est l’aspect fonctionnel de nos restaurations qui est un facteur important. On observe des péri-implantites tardives, mêmes très tardives, certainement liées à des modifications d’équilibre occlusal. Parfois, on perd des implants du simple fait de surcharges occlusales.

Les frottements, quels qu’ils soient, à commencer par ceux d’origine occlusale jouent un rôle capital en créant des micro-crac osseux autour de la structure de l’implant. Tout cela est également lié aux variations métaboliques, en particulier chez les femmes mais ne relève pas de la strict péri-implantite. Il faut comprendre que l’ostéointégration est en perpétuel remaniement. Les ponts de spongiosa sont constamment reconstruits. C’est ce que l’on observe avec les ostéo-tenseurs. Il faut savoir stimuler l’angiogénèse avant d’intervenir. Il faut comprendre le rôle essentiel de la vascularisation de l’os. Elle est primordiale. Poser un implant en plein matériau de comblement, sans vascularisation, n’est pas une situation stable. Il faut des ponts vasculaires proches de l’implant. Et malgré tout, cela ne suffit pas. Au plan métabolique, après 50 ans, la supplémentation en vitamine D est impérative. On l’oublie trop souvent.

En implantologie orale, le défi est de durer sur le long terne (5 ans) et parfois le très long terme (10 ans). Mais nous ne pouvons pas gérer le long terme biologique du patient. Avec l’âge, on change l’épaule, le genou, la hanche. Même si le turn over biologique des mâchoires est plus élevé, le risque est important et nous ne pouvons prendre en compte tous les critères dont certains resterons inconnus. Voilà une des raisons pour lesquelles je pense qu’il faut équiper sérieusement les patients, et ne pas se contenter de poser 4 implants.

 

AON : Quel serait votre mot de la fin ?

 

GS : Faire simple, et c’est le thème du Congrès Euro Implanto. Voilà ce vers quoi j’ai toujours tendu. Simplifier les protocoles, limiter les greffes, faire de l’activation ostéogénique, tout cela contribue à améliorer le terrain pour maximiser les résultats. Nous devons relever des défis techniques mais penser également au défi que représente l’aspect psychologique de nos traitements. Nos patients aussi relèvent des défis, tous les jours. Il nous faut les aider en limitant les risques. Voilà pourquoi simplifier nos procédures a toujours été au cœur de mes préoccupations.

 

Dr JACQUES BESSADE