La revanche des orages

Sebastien Spizer | Éditions Albin Michel

AO News #59 - Juillet 2023

Hiroshima mon amère…….

 

L’évocation d’Hiroshima me remémore l’époque, révolue, où j’étais sensible au cinéma d’auteur. Il fallait, pour avoir l’air branché, avoir vu, entre autres, Hiroshima mon amour, film au titre étrange et poétique malgré la référence évidente aux atrocités de la guerre.

 

Comment vivre après avoir propagé la mort ? A quelques détails près, c’est la véritable histoire de cet homme, le major Eatherly qui pilotait la plus grosse forteresse volante au monde de l’époque, un B-29 nommé Enola Gay. Il fera partie de l’escadrille qui largua la première bombe atomique à l’uranium, le 06 août 1945 au-dessus de Hiroshima faisant plus de 100 000 morts. Cette bombe, avec celle sur Nagasaki trois jours plus tard conduiront à la reddition du Japon. Le Japon était l’agresseur avec Pearl Harbour mais la paix valait-elle tous ces morts civils, femmes, enfants, vieillards dont Claude Eatherly était l’un des responsables.

 

Par obligation militaire, pour obéir aux ordres, cette boule de feu fut larguée sur Hiroshima : Cette boule est la chose la plus puissante, la plus aveuglante, et la plus brûlante jamais créée… depuis que l'homme est sur terre. En fait, après des mois d’entrainement, aux Etats Unis puis sur un caillou perdu au milieu du Pacifique, ce n’est pas lui qui fut désigné pour lâcher cette bombe dont il ne savait rien et que son chef , le colonel Tibbet appelait le « gadget ». Il en garda un très fort ressentiment. Cet homme ordinaire, ce petit gars du Texas, engagé pour faire comme les autres, pour répondre à l’agression du Japon, de retour aux Etats Unis, est accueilli comme un héros après son exploit. Il était heureux, il avait épousé avant cette guerre, la belle starlette de cinéma, Anna, qui lui avait donné un fils. Cela n’avait pas été si simple au début, Anna était italienne et à cette époque les italiens, les allemands, les japonais, même ceux qui vivaient depuis des années en Amérique, étaient considérés comme des fascistes et souvent enfermés dans des camps. Un juge compréhensif avait autorisé ce mariage. Sebastien Spitzer nous décrit dix ans plus tard la culpabilité et la longue descente aux enfers de ce major Eatherly. Une voix vient constamment le hanter, la voix d’une de ses victimes japonaises imaginaire, Hanaé, qui raisonne dans sa tête, un réquisitoire sur toutes les horreurs qu’elle a subit dans sa chair et découvert en parcourant sa ville, Hiroshima, pratiquement rasée, les irradiations, les séquelles, la mort. Il est hospitalisé en psychiatrie, bourré de médicaments, assommé d’électrochocs, délaissé par sa femme qui ne peut supporter cette si longue dépression, lâché par sa hiérarchie, un militaire, ça ne se plaint pas. A cette époque le stress post- traumatique était ignoré et surtout le commandement veut ignorer toutes les voix qui commencent à s’élever contre cet horrible massacre. Le Maccarthysme commence à poindre avec la guerre froide. Hanaé a raison. C’était une bombe pour rien. C’était juste pour dire aux russes qu’on était les plus forts avec la plus grosse bombe.

 

Sebastien Spitzer est une de nos meilleures plumes, d’une grande sensibilité, d’une grande subtilité avec une écriture empreinte de poésie. Le roman commence ainsi : la gloire est un mensonge, une rouille d’illusions. Poison. Folie. Et toi t’est qu’un pantin grotesque, un seigneur de pacotille. Eatherly se recroqueville sur sa chaise, la tête entre les mains. Il voudrait que ça s’arrête, que cette voix se taise. Lamentable roi d’un songe. Dieu du rien. Héros sans majuscule juché sur ton tas de cendres. Magnifique ! Je vous avais, dans ces colonnes, dit mon enthousiasme à la lecture des deux romans précédents de S. Spitzer: Ces rêves qu’on piétine et Le cœur battant du monde. J’ai surtout été touché dans ce dernier opus par Hanaé et le récit de ce drame d’Hiroshima qui nous parle d’autant plus qu’on entend le bruit des bottes en Europe et qu’un docteur Folamour pourrait appuyer sur le bouton maléfique.

 

 Retour à Lire (dé)livre

Retour à l'accueil