les filles du Dr March

AONews #33 - Avril 2020

Quatre sœurs, quatre femmes, quatre personnalités, quatre féministes. Elles forment cette famille, sororité, voire entité formidable. Ce sont les filles du Dr March. Notons dès le titre qu’elles sont considérées comme les « filles de », le titre original étant « little women », n’étant pas plus honorifique. Néanmoins, leurs portraits dressés tout au long du film le sont tout à fait. Au XIXe siècle donc, nous suivons l’histoire d’une famille composée de quatre sœurs hors du commun, d’une mère aimante, d’un père absent par la guerre, et d’une tante sévère mais dans le fond bienveillante. La plus petite sœur Beth, incarne la sagesse et la bonté et est une pianiste d’exception. Ensuite Amy se révèle par sa beauté, féminité, peintre impressionniste. La plus âgée est Meg, modèle pour ses autres sœurs. Joséphine, voulant se faire appeler Jo est la fille principale du film. Érudite, elle incarne la volonté d’indépendance, la liberté, mais aussi l’insolence.

Le scenario est une adaptation du roman de Louisa May Alcol écrit en 1868. Adapté pour la première fois (version parlante) en 1933, cette histoire semble être incontournable, un « classique », traversant deux siècles, témoignant de son intemporalité et indispensabilité à être racontée. L’auteur écrit au XIXe, l’histoire s’inscrivant dans notre ère du temps. Elle fut donc une révolutionnaire de son temps et une visionnaire. Notons que contemporains de cette époque, on retrouve de magnifiques costumes qui ont value au film l’oscars des meilleurs costumes.

Nous suivons alors les différents épisodes relatant leurs histoires, entremêlées entre le passé et le présent, rythmées par des flash back. Notons que le changement de période s’incarne par des modifications de couleurs, les plus ternes concernant le présent et les plus vives le passé. La famille traversant un drame, la maladie de la plus jeune fille, cette distinction est délicate, relevant aussi d’une nostalgie des beaux jours passés.

Ce film aborde des notions essentielles que sont la féminité, le mariage, les relations entre sœurs, suivant leurs histoires tout le long. En tant que femme, on se reconnait nécessairement dans l’une des filles ou un peu dans chacune d’entre elles. Le film met en exergue les difficultés que l’on retrouve dans une fratrie à trouver sa place où se dégage parfois un esprit de compétition voire de jalousie, notamment à trouver l’amour.

Lorie, incarné par Timothée Chalamet nous inspire beaucoup de tendresse mais aussi de jovialité voire d’exaltation. Le charme inhérent à sa personne lui vaut un certain succès. Néanmoins, son attention semble être retenue par Jo. Inéluctablement tout au long du film, on observe un amour grandissant entre Jo et Lorie, même s’il ne se manifeste pas clairement, une relation complexe liant alors les deux personnages. Rappelons que Timothée Chalamet et Saoirse Ronan, qui incarne donc Jo, jouaient déjà deux amants dans Lady Bird, le duo étant ravissant, leur relation fusionnelle.

En effet JO est en quête d’indépendance qu’elle veut obtenir grâce aux fruits de son travail. Ainsi le film relève d’un tiraillement entre l’amour et la réussite pour Jo et plus largement pour la femme. Or une relation sérieuse à cette époque se traduisait seulement par le mariage. Elle a beau avoir du succès et du talent, gagner de l’argent, le mérite reviendrait à son mari. Ainsi, une scène poignante met en exergue cette crispation. Lorie est rempli d’ardeur impétueuse. Jeune homme réservé et consciencieux, il ne peut se retenir et doit exprimer ce qu’il ressent, de l’amour, sentiment incontrôlable, face auquel Jo lutte, aspirant à ses principes. Alors que Schopenhauer prétend que l’amour est une illusion, qui nous pousserait à nous reproduire, il est incarné par les deux amants inavoués, sentiment réciproque qu’ils n’ont pas choisis. Jo ne pouvant succomber à ses sentiments, et faisant preuve de résilience, pour garder cette indépendance, même si durant tout le film durant, elle est dans cette ambiguïté permanente. Le film semble alors se détacher des romances traditionnelles et surtout prévisibles. En effet, l’histoire d’amour ne suit pas son cours comme souhaité.

C’est un film qui met du baume au cœur, fait du bien en suivant les histoires d’amour auxquelles ont peut aspirer voire désirer, tout en gardant un degré de lucidité et un ancrage dans la réalité, la vie des personnages n’étant pas dictée par un destin prévisible et à l’eau de rose. Notamment dans la mesure où le film insiste grandement sur l’identité de la femme, sa place dans la société, ce qu’elle représente, ayant une portée féministe. C’est pour cela que le film s’adresse aussi bien aux hommes qu’aux femmes, où l’on voit à travers l’histoire comment s’incarne le féminisme, ce concernant la volonté d’une reconnaissance en société non stéréotypée des femmes. Jo semble a priori s’éloigner des codes de la féminité, par le vocabulaire qu’elle emploie, ses tenues et sa capacité à s’imposer et s’exprimer, tel qu’un homme seulement pouvait le faire à l’époque.

Certes, notre société a beaucoup évolué, néanmoins on retrouve dans le film une modernité, la représentation de la femme étant au coeur de nos débats sociétaux. A l’époque, les femmes étaient vouées à être mariées et devaient « s’introduire en société » pour trouver leur futur époux et ce avec les bals, comme on le voit avec la plus grande sœur Meg. Les femmes seraient reconnues dans la société pour leur fonction seulement, leur rôle de mère et d’épouse pour leur vraie identité. Mais chacune des filles March, va justement à l’encontre de cette perception, chacune se démarquant de par leur personnalité unique. Même si toutes ne sont pas aussi engagées que Jo, elles luttent à leur façon faisant grande preuve de lucidité.

Rappelons certes, qu’elles font parties d’un milieu privilégié et donc ont plus la possibilité de réfléchir. Mais rappelons qu’à la Révolution des Lumières se sont d’abord les plus éclairés qui ont permis à la population de sortir de l’obscurantisme. Dans ce thème global de l’intellect, celui de l’éducation scolaire des femmes est aussi abordé. En effet selon les filles March et plus particulièrement Jo, ce qui permettrait de mettre sur un même piédestal les hommes et les femmes serait un égal accès à l’éducation, la scolarité. C’est son combat tout au long du film, auquel elle veut y parvenir.

C’est ainsi, qu’en suivant l’incroyable histoire des filles March, celles-ci tentent, tant bien que mal, à ne pas « naitre » femme mais de le « devenir »…

 

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