Démythification

Dossier spécial "L'Hypnose, un jeu d'enfant"

AONews #21 - Octobre 2018


Les explications du cabinet dentaire en général seront toujours données en premier lieu à l’enfant, avant tout début de soin, lors de la première approche. D’un point de vue « théorico-pratique », c’est plus le bon sens de chacun que les connaissances acquises durant notre cursus universitaire qui dicte cette « règle ». D’un point de vue « hypnotique », son fondement repose sur le fait que fournir à un sujet des explications, que ce soit par des techniques verbales ou non verbales, permet de désensibiliser l’enfant en lui faisant acquérir une maîtrise cognitive, qui fait partie intégrante du cheminement hypnotique. Nous devons tenir compte, dans notre approche, de ses centres d’intérêt ainsi que de ses besoins d’expérimentation, d’interaction sociale et d’imaginaire.

 

Techniques linguistiques

 

En termes linguistiques, comme vu précédemment, l’emploi de mots simples et positifs est primordial (Klein and Nowak 1998). Le praticien pourra expliquer les règles du dentiste, qui rappellent celles de l’école (monde familier), en particulier dans le cas d’un enfant qui gesticule un peu trop.

L’une des étapes de la démythification passe par le principe du Dire-Expliquer-Montrer-Faire (Farhat-McHayleh et al. 2009). Le praticien l’invite, par le biais de métaphores à valeur de distraction et adaptées à l’âge et aux centres d’intérêt, à faire un tour de manège ou à monter sur le vaisseau spatial [fauteuil dentaire], puis lui demande si papa sait combien de dents il a, si lui-même le sait, l’incitant ensuite à vérifier en comptant ensemble [compter fort toutes les dents, avec les doigts]. Il faut lui expliquer dans un premier temps que l'on est là pour regarder, et lui donner son rôle – ce qui augmentera son contrôle de la situation et donc diminuera son anxiété – par des suggestions qui peuvent être directes : «Je te dis comment faire pour que ce soit plus facile; et donc si tu m’écoutes bien, ce sera facile », ou des suggestions produisant de la confusion : « ton travail, c’est de ne rien faire ». L’enfant est ensuite progressivement familiarisé avec l’ensemble des éléments du cabinet : la séquence instrumentale est mise en œuvre (miroir, sonde, soufflette air/eau, aspiration, contre-angle, ultra-sons), associée à des métaphores appropriées (miroir, gratouille, vent/eau, aspirateur, moto, musique), et sa répétition vise à la diminution des comportements défensifs face à un objet nouveau. En effet, le réflexe de protection avec la main est quasiment instinctif chez la plupart des enfants. A mesure que le patient va côtoyer des éléments qu’il a catalogués d’inoffensifs et dont il connaît dorénavant l’utilité, la relation avec le praticien va être améliorée par le phénomène d’habituation mis en place. Si l’enfant se met à pleurer au milieu de la séquence instrumentale, une séquence d’acceptation (yes set) peut être employée : « Ça, on a vu, c’est facile ? Et ça, c’est facile ? … Et ça [montrer ce qui a fait pleurer], regarde comme c’est facile aussi… c’est facile ou très facile ? [choix illusoire]».

 

Si l'enfant demande « est-ce qu’on va faire une piqûre », le praticien remplace la seringue par un élément positif [métaphore] : « ici, on n’a pas de piqûre, mais tu peux choisir entre un ballon, un tube à papillons ou un tube à fourmis », selon ses préférences. Il prévient l’enfant que « ça va faire bizarre, mais que c’est juste bizarre, rien d’autre, que tout va bien, que c’est même rigolo » [suggestion directe]. Une exception peut être faite pour les adolescents qui ne sont plus dupes, mais qui peuvent alors être réceptifs aux explications. Le praticien explique toutes les étapes en saupoudrant de termes positifs, en insistant sur l’anesthésie de surface et son rôle, qu’ils ne vont rien sentir à part un petit gonflement voire un picotement comme une piqûre de moustique, que tout va bien se passer, et en mettant en avant la confiance établie.

Lors d’un soin, nous expliquons ce que l'on veut faire et ce que l'on va faire : soigner la dent, « enlever les microbes, soigner le bobo » ; pour cela, nous utilisons des instruments qui font « du bruit, du vent et de l'eau, mais ce n’est que du bruit, du vent, de l’eau ». Nous voulons pouvoir retirer les microbes dans la dent afin qu'elle guérisse. La visite chez le dentiste devient quelque chose de positif, puisque l’enfant vient avec une dent malade et qu’il repart avec une dent belle et forte. « Tu connais déjà tout, on utilise les mêmes balais que la dernière fois ». Nous expliquons ensuite ce qu’est le champ opératoire, en prévenant l’ingestion et l’inhalation de corps étrangers, le contact des médications mais aussi tout simplement de l’eau des instruments rotatifs (Ammann et al. 2013; McKay et al. 2013). Il peut, de plus, être très utile lors de certaines spécificités dentaires liées à certains handicaps, comme par exemple en cas d’hypersalivation. Grâce aux métaphores, le champ opératoire peut être une cape ou une robe pour la dent, le crampon une bague ou une ceinture. Si l'enfant ne veut pas d'un élément, nous pouvons justifier l'utilisation obligatoire de cet élément et toujours rechercher des analogies à adapter selon le sexe, l'âge et les centres d'intérêts de l'enfant ; autre exemple, si un enfant ne veut pas le crampon, nous lui expliquons que nous venons de faire gonfler un ballon pour jouer au football, et que, dans la logique, nous devons le chausser pour pouvoir jouer et donc « qu’il doit mettre ses crampons ». Notre objectif est de rendre attractif, sinon neutre, un objet qui pourrait avoir une connotation anxiogène pour l’enfant, pour ainsi l’amener à l’accepter.

Dans le cas des extractions, il convient plutôt de parler de « soigner la dent pour la donner ensuite à la petite souris » (métaphore à valeur de distraction). De plus, le praticien peut dire à l’enfant que c’est normal « en grandissant les dents de bébé sont remplacées par des dents de grands » ; il peut aussi ajouter qu’il aura bientôt une dent toute neuve : « ça ne serait pas mieux si on enlevait la dent malade pour qu’une nouvelle jolie dent de grand pousse à la place ? On montre à tes parents comme tu es un grand maintenant ? » [yes-set]. Si l’enfant a déjà perdu une dent, il peut l’encourager en lui disant : « eh bien tu vois ! Tu as déjà fait tout seul ! Aujourd’hui c’est la même chose, sauf qu’on va faire tous les deux. Tu peux même me montrer si je ne me souviens pas » (rôle donné), le tout accompagné d’une attitude nonchalante (nous pouvons hausser les épaules, faire une moue signifiant « ce n’est rien »). Si l’enfant redoute l’extraction, il ne faut pas hésiter à lui rappeler que cela s’est toujours bien passé avant, et qu’il n’y a donc aucune raison que cela se passe différemment, que c’est pareil que les autres fois, qu’il y a juste « ça » en moins et « ça » en plus, en utilisant des métaphores appropriées ; par exemple : « je vais utiliser mon stylo magique [=syndesmotome], et je vais dessiner autour de ta dent ton animal préféré, sauf que je vais rajouter des ailes à ton animal afin qu'il puisse s'envoler avec ta dent ».

Si la maîtrise du langage est suffisamment développée chez certains enfants atteints de handicap mental, d’autisme « léger » ou Asperger, cela n’est pas le cas pour la majorité d’entre eux. Cela doit nous inciter à nous mettre dans leur réalité en favorisant plutôt l’emploi de mots-clefs, sous forme de suggestions directes simples, qui vont leur demander une action à réaliser (« monte sur le fauteuil », « ouvre la bouche »), les prévenir (« bruit », « eau », « on fait l’hélicoptère », « on fait l’aspirateur »), ou leur rappeler que c’est « facile ».

Compter peut-être d’une grande aide : par exemple, le praticien peut compter à voix haute jusqu’à 5 en faisant fonctionner la soufflette devant l’enfant à vide, puis sur la main de l’accompagnant et du doudou, puis seulement sur la main de l’enfant, puis sur un endroit du visage (le nez, le front, la joue, la lèvre), puis sur la dent (souvent antérieure en amont pour une acceptation plus facile, l’enfant pouvant encore apercevoir ce qu’il se passe). Cette séquence va être répétée jusqu’à l’acceptation totale de l’instrument en question, sans manifestation défensive ou d’échappement ; l’instrument suivant sera introduit seulement dans un second temps. Cette notion de ritualisation de la séance est très importante.

En outre, il peut être judicieux d’encourager et de valoriser l’enfant, à chaque étape réussie, par un saupoudrage de termes positifs et un renforcement positif (« Très bien ! Bravo !..» (Nathan 2001).

 

Techniques relationnelles

 

Les techniques relationnelles participent à part entière à la communication hypnotique : la voix du praticien sera plutôt grave, calme, posée, monocorde, avec un rythme lent et régulier et une intonation tombante en fin de phrase. Nos gestes seront calmes et fluides afin de ne pas augmenter le caractère anxiogène de certains instruments.

 

L’apprentissage par modèles est très souvent sollicité, et l’est d’autant plus dans le cas d’enfants atteints de handicap. Les supports peuvent tout d’abord être d’ordre matériel audio-visuel : des vidéos ou fascicules explicatifs avec des images simples et colorées modélisent tous types de soins dentaires afin de préparer et d'habituer le patient au cabinet dentaire et aux séances (cet apprentissage par modèle peut aussi être utile pour l’éducation à l’hygiène bucco-dentaire) (Al-Namankany et al. 2014; Weinstein et al. 2003). Ces modèles sont utilisés en amont à la maison et à l’école/au centre éducatif, et sont apportés également au cabinet dentaire, permettant à l’enfant de suivre tout le processus, du début à la fin, rythmant ainsi les moments de la journée, y compris ceux propres au cabinet dentaire (Goyal et al. 2011).

 

Plusieurs types d’apprentissage par modèles sont connus.

- Le COMPIC system (Computer Pictographs for communication) et le système PECS (Picture Exchange Communication system) : il s’agit de dessins simples (pictogrammes) représentant un objet, un mot ou une étape du soin dentaire ; le patient s’entraîne avec ses parents avant la visite dentaire, et la communication s’établit entre le praticien et le patient en désignant le dessin correspondant à l’instrument à utiliser ou l’étape qui va suivre (Darwis and Messer 2001; Mah and Tsang 2016).

- Le MAKATON est un programme d’aide à la communication et au langage, constitué d’un vocabulaire fonctionnel utilisé avec la parole, les signes et/ou les pictogrammes (http://www.makaton.fr/).

- SantéBD regroupe des fiches expliquant le déroulement d’un soin ou une consultation au travers de pictogrammes et de phrases courtes (http://santebd.org/fiches).

- Paso (Plaquette Autisme, Santé Orale) est une mallette comprenant des dessins, photographiess et vidéos des différentes étapes du brossage et de la visite chez le chirurgien-dentiste (http://www.sohdev.org/outils-paso).

 

Il existe aussi des jeux mimant une séance chez le dentiste, et qui peuvent être utilisés dans le même intérêt. Certains praticiens envoient également aux parents des photographies d’eux-mêmes et de leur cabinet, en lien avec les actes qui vont être pratiqués, en imageant le déroulé des soins, ainsi que des enregistrements audiovisuels de l'environnement sonore du cabinet afin de créer une habituation (Cagetti et al. 2015; Rayner 2010).

Les supports peuvent également être de l’ordre de l’humain, d’une part en prenant pour modèle le patient lui-même : il est ainsi possible de photographier ou filmer une séance de soins faite avec l’enfant, puis de donner les photographies ou vidéos aux accompagnants afin que l’enfant puisse les visionner entre les séances, toujours dans le même objectif de compréhension de leur environnement et de leur donner un moyen d’agir dessus (Valle-Jones and Chandler 2015). D’autre part, le modèle peut être l’accompagnant et/ou le praticien (Orellana et al. 2014). Dans ce cas, l’imitation sera privilégiée, et souvent (toujours ?) accompagnée d’une synchronisation. Le « modèle vivant » aidera l’enfant à apprendre les techniques de brossages, à introduire de nouveaux éléments en bouche, à prendre une radiographie intrabuccale (ouvrir, croquer, respirer par le nez), ou à réaliser une radiographie panoramique ou une empreinte, toutes les étapes pouvant être parfois effectuées dans leur intégralité (sans rayonnement ionisant pour la prise de cliché radiographique, et y compris avec la mise en place du matériau pour la prise d’empreinte). Parfois, un autre support peut être une peluche, un doudou, et toutes les étapes peuvent être réalisées sur lui avant de l’être sur le patient (Fig. 1).

Les cinq sens seront aussi mis à contribution, et tous les enfants ne vont pas se concentrer sur les mêmes sens que les autres. Le praticien aura pour mission de repérer puis d’utiliser le canal de transmission sensoriel préféré du patient, ou de transmettre une information sur un mode pluri-sensoriel. Certains recherchent par exemple le regard, et c'est au praticien de le capter : un pouce levé à chaque étape réussie pourra être effectué par le praticien et/ou l’accompagnant pour renforcer positivement le comportement de l’enfant (Fig. 2). Si l’enfant veut tout voir, le praticien peut mettre un coton salivaire sur l’aiguille et lui montrer que ce n’est qu’un coton tout doux ; puis il introduit le dispositif avec le coton dans la bouche à l’endroit où il va injecter, en concluant par une suggestion directe : « tu vois comme c’est facile ! » accompagnée d’une expression faciale en cohérence. Il ne retirera le coton placé sur l’aiguille que juste avant l’injection, quand l’enfant aura le coton hors de son champ de vision. Bien que la plupart des praticiens cachent l’aiguille, d’autres préféreront la montrer à l’enfant (Maragakis et al. 2006; Ujaoney et al. 2013). L’audition peut également avoir son rôle à jouer. Ainsi, l’aspiration faisant beaucoup de bruit, il peut être utile de signaler que « ça va faire beaucoup de bruit, mais ce n’est que du bruit, rien d’autre ». Il en est de même pour les instruments rotatifs, où il sera ajouté que « ce n’est que du bruit, de l’eau et du vent ». Tant qu’une étape n’est pas assimilée ou comprise, rien ne sert de passer à l’étape suivante. L’audition peut également être sollicitée par de la musique ou encore des applaudissements lorsque nous voulons renforcer positivement le comportement de l’enfant. A l’inverse, chez certains enfants, notamment ceux atteints d’hyperacousie, il ne faut pas hésiter à diminuer les bruits au cabinet à l'aide des mains sur les oreilles ou par l'utilisation d'un casque anti-bruit. En outre, le concept Snoezelen, technique de stimulation sensorielle visuelle et auditive (espace spécialement aménagé, lumière tamisée, musique douce), peut parfois aider à l’atteinte d’un état de relaxation et d’une diminution de la vigilance (Shapiro et al. 2007). En effet, la musicothérapie joue un rôle important dans la relaxation, de même que l’aromathérapie avec des odeurs telles que l’essence d’orange (Bekhuis 2009; Jafarzadeh et al. 2013). L’olfaction peut aussi être sollicitée lorsque l’anesthésie de contact est présentée à l’enfant, ou lors de la prise d’empreinte (il existe des alginates spéciaux avec des odeurs de fruits).

Le toucher a également une part importante. Si nous reprenons l’exemple de l’anesthésie lorsqu’un coton salivaire est placé sur l’aiguille, le praticien peut faire toucher le coton à l’enfant, en faisant attention à tenir le coton avec un doigt, certains enfants pouvant essayer de vouloir retirer le coton. En ce qui concerne la prise d’empreinte, le praticien peut inviter l’enfant à manipuler le porte-empreinte. D’autres situations font intervenir le toucher, comme l’enfant qui se crispe lorsque l’on attrape le miroir : il doit être rassuré tout de suite en lui offrant la permission de le tenir quelques instants dans sa main puis de nous le tendre lorsqu’il est prêt (signaling). Le toucher intervient grandement dans la démonstration de nos explications. Lorsqu’un enfant demande : « ça, ça va faire mal ? », le praticien peut répondre : « est-ce que quand je mets ça [quel que soit l’objet en question] sur le doigt/main/… ça fait mal ? … [attendre sa réponse : non] … Non. Alors sur la dent c’est pareil » : donner une explication rationnelle, évidente, en faisant une démonstration tactile, peut être une approche intéressante. Pour la prise de cliché radiologique, nous pouvons lui montrer dans un premier temps avec notre doigt, puis avec le capteur, la sensation au niveau du plancher lingual et du palais afin de créer une habituation par la répétition, tout en comptant à chaque essai. Tant que chacune de ces étapes n’est pas intégrée, il convient de les recommencer avant de prendre réellement la radiographie. Le capteur peut être tenu par l’enfant, le parent, une mousse, un angulateur, ou par le praticien (à éviter le plus possible du fait des radiations ionisantes). De plus, le capteur radiographique est tenu en amont dans la main, puis mis sur le front, la joue, le nez, les lèvres, avant de le mettre dans la bouche ; de même, l’enfant peut toucher le tube radiologique afin de démontrer son caractère inoffensif.

Le praticien peut aussi lui signaler qu’il pourra regarder sa belle photo [renforcement positif], et qu’il pourra la montrer à tous ses copains à l’école. Si, lors de la pose du champ opératoire, l’enfant se met à pleurer en disant que « ça fait mal », nous pouvons lui dire que cela « serre » seulement, et lui serrer l’un de ses doigts avec les nôtres pour lui faire comprendre la différence : « tu vois, ça serre comme ça, c’est tout, rien de plus ». Nous pouvons aussi lui passer la boucle du crampon sur le doigt pour lui montrer que c’est une bague pour la dent, et attacher le fil dentaire en sécurité en lui disant qu'il permet de régler le crampon ; nous pouvons par exemple lui demander de tourner le fil pour desserrer, puis lui demander de nous dire dès qu’il sent que « ça va un petit peu mieux » (« dès que » implique la notion d’immédiateté, « un petit peu mieux » permet de se mettre dans la réalité de l’enfant). De même, lors de la pose de coiffe pédodontique, il Le praticiendoit lui être expliqué que c’est un petit chapeau pour la dent qui peut effectivement un peu serrer et que l’on est obligé d’appuyer un peu fort, mais que ce n’est rien. Nous pouvons aussi être amenés à utiliser un cale-bouche. Nous expliquerons alors que c’est un petit coussin pour les dents et l’enfant sera invité à le manipuler, à le mettre sur la joue, les lèvres, la face vestibulaire des dents antérieures, avant l’insertion en bouche. En ce qui concerne les extractions, le praticien peut lui montrer sur le doigt les sensations qu'il va ressentir, en poussant ou en tirant légèrement : « ça va juste faire du bruit, et la dent va un peu tirer et un peu pousser comme ça, comme si je te retirais la chaussure sans les lacets ». Du côté du praticien, certains mettent en avant le fait d’être proches physiquement de l’enfant, en ayant sa tête près du corps, avec les bras l'enveloppant passivement, pour qu’en cas de mouvement brusque la situation soit facile à contrôler. Ce contact entre le praticien et l’enfant peut être aussi (surtout) un moyen de rassurer l’enfant qui se sent sécurisé et non laissé « à l’abandon », seul face à tel acte stressant pour lui.

 

Faire preuve d’une attitude ferme, avec des modulations de la voix appropriées et des renforcements positifs utilisés à bon escient, est parfois nécessaire lorsqu’un comportement non coopérant se manifeste, et est très différent d’un autoritarisme démesuré (Guideline on behavior guidance for the pediatric dental patient 2016). Cette fermeté permet de rassurer l’enfant en lui faisant comprendre qu’il ne peut pas faire n’importe quoi, et que nous sommes là pour le lui rappeler. Si, par exemple, l’enfant manifeste une anxiété à l’égard d’instruments (mouvement défensif de la main, tête qui évite l’instrument, bouche qui se ferme), le praticien se doit d’y répondre en réitérant le processus de démythification, autant de fois qu’il est jugé nécessaire, lui faisant comprendre que nous l’écoutons et prenons en compte ce qu’il ressent, mais qu’en conséquence, il doit nous faire confiance et faire ce que nous lui demandons. En cas de flot de paroles (« je ne veux pas ça ») témoignant d’une anxiété grandissante, un ton associé à une attitude ferme sera à adopter afin d’arrêter à temps ce qui pourrait se transformer en comportement non coopérant. Si l'enfant commence à pleurer, il ne faut pas le laisser continuer et s'enfermer dans ses pleurs. Il lui est alors demandé de nommer expressément le problème. « Si tu pleures, je ne comprends pas ce que tu veux me dire. Si tu veux me dire quelque chose, et que que je t’aide, il faut arrêter de pleurer. Alors ? [Lui signifier que nous sommes là pour l’aider, et non pas contre lui] » S'il refuse de parler, différentes causes possibles peuvent être énoncées : « Quelque chose te fait peur ? Tu n’aimes pas ça ? [Lui montrer quelque chose d’inoffensif, tel que le miroir, puis progressivement lui montrer les instruments un à un] ». Si les pleurs sont sans raison, il faut lui faire comprendre que s’il pleure, c'est pour quelque chose, et pas « pour rien » : « je veux bien que tu pleures [autorisation, permission, pas d’interdiction], mais si on pleure c’est pour quelque chose [condition]. Quand il n’y a rien, on ne pleure pas [conséquences logiques] ». Il faut essayer d’élever la voix le moins possible, en utilisant les modulations de voix à bon escient. Il convient de s’adapter au rythme et aux capacités d’adaptation de l’enfant sans brûler les étapes. Même si l’enfant se révèle non coopérant par ses comportements d’échappement, il convient de maintenir un contact, un lien avec lui, par le regard ou le toucher en particulier : cela lui permet de constater que nous sommes toujours présents, dans son monde, avec lui, que ce qu’il tente de faire ne marche pas. Si l’enfant commence à se débattre car il ne veut ni piqûre ni « ballon », le praticien peut lui dire de se calmer, tout de suite, car il n’a encore rien fait [attitude ferme] ; qu’il a compris qu’il ne voulait pas le ballon ni la piqûre, qu’il n’utilisera aucun des deux, mais qu’il doit choisir entre un stylo magique, des fourmis ou des papillons [suggestion avec choix illusoire]. Dans une autre situation, lorsque l’enfant est en crise et hurle « maman ! », le praticien pourra dans un premier temps user de renforcement positif : « maman peut rester si tu te calmes » (si la maman est déjà présente) ou « maman peut rentrer si tu te calmes » (si la maman est hors de la salle). Si les cris perdurent et que l’enfant refuse de continuer le soin, le renforcement négatif peut parfois être utilisé. En effet, si la présence d'un parent lui permet de se calmer et de pouvoir terminer le soin, le praticien doit passer un pacte avec lui : il faut que la présence du parent soit positive et n'entrave pas le soin. Pour ce faire, si le parent est déjà présent, l’enfant est prévenu que s’il ne se calme pas, le parent sortira (rappel de la règle précédemment énoncée à l’enfant avec l’accord préalable du parent). Une fois le parent sorti, l’enfant redouble souvent de cris et de pleurs ; il faut alors lui expliquer de façon sereine et calme, tout près de son oreille, et avec un ton de voix le plus bas possible (parfois en chuchotant, pour contraster avec les hurlements de l’enfant), que nous l’avions prévenu, que nous faisons toujours ce que nous disons (rappel de la règle), et que s’il veut que sa maman revienne, il a juste à se calmer, que nous attendons, et que, dès qu’il est prêt [signaling], il nous le dit. Lorsque le parent rentre, nous faisons promettre à l'enfant de ne plus pleurer, et qu'à la moindre larme, le parent ira de nouveau attendre dehors (Kotsanos et al. 2009).

Il existe aussi des situations où il peut être nécessaire d’utiliser la stabilisation protectrice, comme lorsque des enfants se débattent et sont complètement absents et déconnectés de la situation (Klein and Nowak 1999; Troutman 1977; Wright et al. 1991). C’est un recours qui est employé lorsque les autres stratégies ont échoué, et qui doit être utilisé uniquement de manière transitoire, dans le but d’obtenir le calme, et toujours en accord avec le parent ; l’environnement extérieur à l’enfant doit être le plus serein possible, sans énervement, sans bruit, afin d’apporter un contraste saisissant entre la fureur de l’enfant et la sérénité de son entourage. Grâce aux neurones miroirs, le praticien invitera l’enfant à entrer dans le même état que lui [pacing et leading], et pourra saturer l’esprit du patient de « tout va bien… on se calme… ». Le mirroring peut parfois aussi s’employer en première phase : le praticien se mettra alors à imiter les cris de l’enfant, puis mettra en œuvre les deux autres phases, l’enfant se calmant progressivement ; dans d’autres situations, il peut être totalement décontenancé face à l’attitude incongrue de son dentiste qui hurle comme lui, et arrêter instantanément ce comportement. Dans le cas des patients qui ne sont pas atteints de handicap, nous pouvons lui répéter en boucle fermement mais doucement à l'oreille jusqu’au retour au calme : « j’attends que tu te calmes. Tant que tu ne te calmes pas, je ne te lâche pas. Dès que tu te calmes, je te lâche [saturation] », et d’ajouter : « maman est d’accord avec moi » (impliquer les parents). Puis, lorsque les cris commencent à s’apaiser : « ça y est ? Tu es calmé ? Je te lâche ? Mais attention, si je te lâche et que tu recommences, je recommence ». Lorsque l’enfant ne s’arrête pas de crier voire d’hurler sans raison, il peut être réalisé ce que l’on appelle le Hand Over Mouth, qui consistera à légèrement recouvrir la bouche de l’enfant avec la main tout en gardant les narines dégagées et en adoptant une attitude destituée de toute nervosité, afin de diminuer d’une part le volume sonore ambiant et donc la source d’anxiété, d’autre part de montrer à l’enfant que nous ne sommes pas impressionnés (Hartmann et al. 1985). L’emploi de cette technique doit être validé préalablement par le consentement des parents (Barton et al. 1993). D’autre part, il convient de n’exercer aucune force avec la main, seulement de cacher la bouche afin de diminuer les cris. Enfin, la stabilisation protectrice peut également être utilisée lorsque qu’un examen clinique doit être effectué pour décider de la prise en charge à venir en fonction du rapport bénéfice/risque (stratégies médicamenteuses ou anesthésie générale), lorsque l’enfant doit être vu dans le cadre des urgences traumatiques ou infectieuses, ou encore, pour un enfant atteint de handicap sévère, pour réaliser un détartrage lorsque le tartre est un obstacle au bon déroulement du brossage (et ainsi, aider les parents).

En résumé, la démythification s’effectue lors de la première séance, et va (presque toujours) conditionner les séances ultérieures. Montrer progressivement l’univers du dentiste en réalisant un « petit soin » (facile, sans anesthésie, pour montrer les principaux instruments) ou aucun soin selon le déroulement de la séance, n’est pas une perte de temps ; bien au contraire, ce sera du temps gagné pour la suite (Brill 2001). Néanmoins, désensibiliser un enfant doit se faire aussi avant tout acte thérapeutique, et n’est pas réservé uniquement à l’examen clinique. Notamment en cas de nouveaux instruments, avant de commencer l’induction de l’état hypnotique, il paraît judicieux de réitérer le principe de la désensibilisation.

 

 

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