Identifications, causes et prévalences des lésions cervicales

Dossier spécial AONews #24 - Fév. 2019 : Traiter les lésions cervicales

 

 

 

Dr Alexis GEVREY, Nancy

 

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AO 24 Identification des lésions cervica
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Les particularités des lésions cervicales sont (Kaleka et coll. 2001) :

  • Des rapports étroits avec le parodonte marginal
  • Des rapports évolutifs : l’exposition de la jonction amélo-cémentaire (JAC) est un paramètre essentiel car la lésion peut affecter uniquement l’émail, l’émail et la racine dentaire ou seulement les tissus radiculaires exposés (dentine et cément)
  • Des manifestations précoces d’hypersensibilité
  • Une distribution sur les arcades qui diffère selon les mécanismes étio-pathogéniques et la latéralisation des sujets (droitiers-gauchers). Le site cervical est différent structurellement et plus difficile à restaurer de par sa composition ainsi que du lien étroit qu’il entretient avec le parodonte marginal.

Nous pouvons distinguer deux catégories de lésions cervicales : carieuses et non carieuses (d’usure)

La différence majeure étant la participation bactérienne qui est majeure dans le processus carieux contrairement à l’usure qui l’en exclut.

 

Lésions cervicales carieuses

Une lésion carieuse se caractérise par la dissolution progressive de la charpente minérale de l’émail puis dans la dentine quand le processus n’est pas stoppé. Des acides issus du métabolisme bactérien sont à l’origine de la dissolution des cristaux d’apatite. Le tableau 1 synthétise les caractéristiques cliniques notoires des lésions cervicales carieuses, actives d’une part, et inactives d’autre part.

En effet, une lésion carieuse fait intervenir une déminéralisation des tissus durs dentaires qui peut être stoppée, on note alors une inactivation de la lésion par reminéralisation de cette dernière. Cependant, ces stades ne sont pas définitifs et on peut noter une réactivation d’une lésion suite à un déséquilibre de la balance déminéralisation/reminéralisation. Les causes des lésions carieuses cervicales synthétisées dans le tableau ci-dessous sont classées selon le schéma de Keyes, modifié par Newbrun par apposition d’un 4ème facteur : le temps d’exposition qui correspond au temps de contact entre le substrat et les dents.


Lésions cervicales non carieuses : notion d’usure

 

Les lésions cervicales non carieuses excluent une participation bactérienne.

L’usure ne fait pas intervenir de facteur bactérien mais fait référence à la tribologie qui est l’étude des frottements, différents mécanismes existent et il est facile de s’y perdre tant différents auteurs les ont décrits sous différents termes : abrasion, attrition, érosion, tribo-érosion. Il est nécessaire de clarifier ces termes et de connaître la philosophie à adopter pour aborder l’usure dentaire de manière générale sans appréhension.

 

L’attrition : perte de tissus dentaire par contact dento-dentaire.

L’attrition n’atteint pas la zone cervicale mais il est important de la connaître afin de la différencier d’une usure tribo-érosive postérieure. Ce processus entraîne l’apparition de facette d’usure qui est plane et circonscrite par une limite qui est nette. Les facettes se correspondent parfaitement entre dents antagonistes.

 

L’abrasion : perte de tissus d’origine mécanique

Il existe deux catégories : globale due à l’alimentation et focale due aux manœuvres d’hygiène.

Selon Kaleka et coll. (2001), les paramètres étiologiques les plus importants sont : l’âge ; l’utilisation d’un mouvement de brossage horizontal ; la fréquence de brossage égale ou supérieure à deux fois par jour.

On note une disparition des périkymaties au niveau des surfaces vestibulaires, donnant un aspect lisse et brillant à l’émail. Le passage d’une sonde dans le sulcus permettra d’objectiver la présence d’un léger décrochement. Le décollement de la gencive marginale à l’aide d’une spatule à bouche permettra de mettre en évidence ces lésions abrasives débutantes. Le patient peut éventuellement souffrir d’hyperesthésies et de récessions gingivales associées. Quand le phénomène progresse, on voit une concavité se former au niveau cervical, on les nomme lésions en encoche (« wedge shaped » ou encore en forme de V en coup d’ongle). Elles peuvent être coronaires, corono-radiculaires ou radiculaires. La déflexion des brins de la brosse à dents est à l’origine de la création de cette encoche. Cette perte de substance va elle-même favoriser l’orientation des brins de la brosse à dents. L’abrasion va être focalisée. Les lésions apparaissent cunéiformes, aux délimitations précises. En effet, les bords sont saillants et abrupts et la lésion est plus profonde que large. Elles sont souvent associées à des récessions gingivales et la lésion est allongée dans le sens mésio-distale. Le fond de la lésion est dur et poli, composé de dentine sclérotique. On peut d’ailleurs noter des petites « rayures » horizontales au fond de cette lésion. La micro-morphologie de la lésion signe l’origine abrasive. On note des lésions différentes en fonction de leur emplacement en bouche. En effet, la principale étiologie étant le brossage traumatique, on peut noter sur les dents antérieures que les angles mésio-distaux de ces lésions n’ont pas la même angulation.

L’observation des papilles entre ces zones peut montrer des lésions traumatiques sur ces dernières en continuité avec les lésions dentaires. On peut noter des altérations gingivales associées (fissures de Stillmann, bourrelets de Mac Call) qui mettront le clinicien sur la piste d’un facteur abrasif (Kaleka et coll. 2001).


 

L’érosion : phénomène chimique

- Intrinsèques : Reflux gastro-oesophagien, troubles alimentaires etc.

- Extrinsèques : Consommation de produits acides (sodas, médicaments etc.)

Cependant, nous préférerons parler de tribo-érosion à la place d’érosion car il n’y a que très peu de surfaces dentaires qui ne soient soumises à une friction physique dans le milieu buccal (Pindborg, 1970). Cela nous sensibilise au fait qu’une cause unique n’est pas possible en bouche, mais peut cependant se révéler prépondérante.

On peut noter une certaine évolution dans le processus de tribo-érosion passant par la modification des propriétés optiques de l’émail : il devient brillant et vitreux. Si le processus continue, il se matifie avec la disparition des périkymaties (Lussi et Jaeggi, 2008 ; Kargul et Bakkal, 2009) donnant un aspect lisse et givré (processus actif) comme mordancé. Un séchage lors de l’examen clinique des dents peut aider au diagnostic. Cela peut affecter les surfaces occlusales mais ce phénomène sera limité aux zones non- attritionnelles (Les lignes de transition deviennent abruptes sur les incisives en vestibulaire par perte de leur bombé).

Une cavité cervicale apparaît, elle est plus large que profonde : ces lésions sont nommées lésions en cuvettes (« saucer shaped » ou lésions en U). Elles possèdent des bords flous et des contours mal délimités.La tribo-érosion provoque la perte de contour anatomique avec un émail aminci en cervical associé à une usure tribo-érosive occlusale (Kaleka et coll. 2001). L’usure est symétrique en bouche. Une usure marquée au niveau cervical signe la présence d’un facteur mécanique de type abrasif additionnel.

Ces lésions sont supra-gingivales, en effet, on note souvent un bandeau d’émail cervical intact le long de la gencive (Kargul et Bakkal, 2009) qui serait dû à des restes de plaque dentaire luttant contre la diffusion d’acide (Lussi et Jaeggi, 2008) ou au pH basique du fluide sulculaire (compris entre 7,5 et 8). Cette morphologie signe l’étiologie tribo- érosive.

L’abfraction : processus de perte dentaire cervicale due à des contraintes occlusales.

Le terme d’abfraction désigne un procédé d’usure provoquant un stress mécanique qui divise encore de nos jours. En effet, c’est un processus de séparation par désolidarisation. Le premier à avoir traité de ce sujet est Grippo en 1991. Ce phénomène est appelé aussi la « théorie de la flexion » et rend compte des phénomènes biomécaniques que subit la dent dans sa fonction occlusale.

Il convient de faire attention aux interactions et aux « pièges » qui peuvent se présenter au praticien :

  • complications d’une LCU en lésion carieuse
  • premiers signes d’érosion qui ressemblent au début de lésion carieuse
  •  lésions d’érosion et abrasion.
  • Lésions d’abrasion et d’abfraction qui morphologiquement sont très proches.