Prévention des lésions cervicales

Dossier spécial AONews #24 - Fév. 2019 : Traiter les lésions cervicales

 

 

Dr Alexis GEVREY, Nancy

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AO 24 Prévention des lésions cervicales.
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La prévention globale doit être mise en œuvre même si le patient n’a pas de lésion. En effet, ce dernier peut être en phase subclinique. Le chirurgien dentiste commencera par le diagnostic étiologique des lésions. Après remplissage du questionnaire par le patient, il s’agit de reprendre point par point les différents éléments du questionnaire afin d’affiner notre approche (Jager, 2011)

L’utilisation d’aide optique est une corde supplémentaire à l’arc du praticien dont l’utilité se trouve être intéressante pour la détection de lésions précoces. Une prévention précoce permet de stopper ou diminuer l’avancée de l’usure et retarde d’autant les traitements invasifs (restaurateurs ou chirurgicaux). Les lésions étant irréversibles, la prévention se doit donc d’être la plus précoce et efficace.

Les mesures de prévention selon les différentes causes sont décrites ci-dessous.

 

Abrasion

 

Le diagnostic clinique comprend l’identification des facteurs majeurs et des cofacteurs et vise à rechercher des lésions débutantes mêmes asymptomatiques. Le diagnostic précoce consiste à la notification de bourrelet de Mac Call (hypertrophie fibreuse gingivale) ou de fissures de Stillman (cf. L’identification, Fig. 3 et 4), signes d’un brossage traumatique. Il se fait en écartant délicatement la gencive libre à l’aide d’une spatule de bouche et permet ainsi l’examen des dents adjacentes. Ainsi, une lésion isolée peut se voir accompagnée de lésions précoces non visibles sur les dents adjacentes sans cet examen. Une coloration au bleu de méthylène permet d’objectiver des micro-abrasions au niveau gingival mais les altérations gingivales ne sont pas toujours présentes.

 

Information et motivation du patient

Il s’agit de faire réaliser au patient que son mode de vie ainsi que ses habitudes d’hygiène peuvent être nocifs pour lui, et l’informer de l’incidence d’absence de changement de comportement à long terme. Il est nécessaire d’impliquer le patient dans son traitement car le patient est la clef de voûte de ce dernier.

 

Conseils aux patients

Après cette prise de conscience, le patient est à l’écoute des conseils que le praticien lui énonce à savoir :

- Se brosser les dents à l’aide d’une brosse à dents manuelle souple avec des brins aux extrémités arrondis.

- Eviter de se brosser vigoureusement avec des brins durs et prendre la brosse à dents entre deux doigts pour limiter les forces appliquées (Eccles, 1982).

- Supprimer la composante horizontale du brossage qui entraîne usure dentaire et traumatise la gencive marginale (Björn et Lindhe, 1966).

- Adopter la technique du rouleau ou de Bass modifiée qui sont privilégiées (Bergström et Lavstedt, 1979). Ce sont des techniques de brossages intra-sulculaires avec pression légère et mouvement de nettoyage de type vibratoire afin de diminuer l’amplitude du mouvement et donc sa composante abrasive (Saporta et coll., 2001).

La brosse à dent électrique peut être une solution (Boyd et coll., 1997). En effet, le mouvement de réciprocité de la tête de la brosse à dents enlève la composante traumatique horizontale. Certaines ont un dispositif de contrôle de la pression exercée (« stress breaker ») qui peut se révéler très utile pour les brosseurs « compulsifs ».

 

Tribo-érosion

 

En ce qui concerne la tribo-érosion, il conviendra de modifier en premier lieu les facteurs d’érosion (exogènes ou endogènes).

Des recommandations peuvent être données au patient en matière préventive comme :

  • Diminuer la fréquence et la quantité de boissons acides (sodas, jus de fruits, vin, boissons aromatisées gazeuses ou non).
  • Préférer l’eau à boire en journée.
  • Eviter toute exposition acide avant de se coucher du fait de la diminution du flux salivaire la nuit.
  • Diminuer la fréquence d’aliments acides et ne pas les garder en bouche longtemps (éviter les bonbons à sucer par exemple).
  • Diminuer l’alimentation végétarienne (acidité et consistance).
  • Préférer la mastication d’agrumes plutôt que leurs jus car la mastication stimule la salive.
  • Limiter la consommation de vinaigre, sauces salade, citrons, cornichons et rhubarbe.

 

Et s’il y a une consommation acide :

  • Eviter la prise entre les repas, plutôt à la fin des repas quand la stimulation salivaire a provoqué un afflux en bouche.
  • Limiter le temps de contact avec les dents en utilisant une paille mise derrière les dents. Ne pas siroter ou faire de gargarismes.
  • Préférer une consommation acide froide.
  • Boire du lait, manger un fromage ou un yaourt.
  • Eviter tout brossage avant la prise acide et juste après. Attendre minimum 1 heure.
  • Prendre un chewing-gum sans sucre permettant de stimuler la sécrétion salivaire ou des comprimés antiacides.
  • Rincer la bouche avec de l’eau ou un mélange d’eau et de bicarbonate de sodium permettant de lutter contre l’acidité.
  • Se brosser les dents 3 fois par jour (éventuellement deux fois par jour à l’appréciation du praticien si le facteur érosif est difficile à contrôler).

 

La méthode de brossage :

  • Doit être montrée au patient au fauteuil avec un miroir de la manière adéquate afin de maintenir son hygiène bucco-dentaire sans pour autant provoquer une usure disproportionnée. Le patient viendra avec sa brosse à dents au cabinet afin que le praticien puisse la contrôler (Kaleka et coll., 2001a). « L’habitude est une seconde nature » selon Pascal : il ne faut pas sous-estimer son poids.
  •  Ces habitudes sont souvent prises dans l’enfance, plus le patient est âgé et plus il sera difficile pour lui de se « reprogrammer ».
  • Le brossage horizontal est à éliminer. On privilégiera la méthode de Bass modifié ou la méthode rouleau.
  • Varier les parcours en changeant de point de départ et de côté.
  • Le nombre de brossages peut être réévalué avec le patient : il peut être ramené à 2 si le patient traumatise toujours son parodonte et la partie cervicale de sa dent.
  • L’achat d’une brosse à dent électrique avec contrôle de la force peut être un atout pour les « brosseurs compulsifs » ou le fait de tenir la brosse à dents à l’aide seulement du pouce et de l’index oblige le patient à ne pas brosser trop fort.

 

La brosse à dents

  • Elle doit être de type souple voire ultra-souple avec une tête courte permettant d’accéder au fond de la bouche sans difficultés.
  • Les brins de préférence en nylon et à bouts arrondis.
  • Il faut contrôler son usure.
  • La courbure des brins souples ou ultra-souples est un témoin de la force que le patient met sur ses dents. En effet, une usure des brins et une déformation de ces derniers sont visibles plus rapidement en cas de brossage appuyé.

Le dentifrice

  • Un dentifrice fluoré permet de réduire la déminéralisation et permet d’accélérer la reminéralisation. Il peut donc diminuer l’usure par abrasion.
  • La quantité de dentifrice doit être faible à savoir de la taille d’un petit pois.
  • Il est préférable de l’étaler avant de débuter le brossage pour éviter toute focalisation abrasive à un endroit particulier.
  • Le dentifrice n’aide pas à enlever la plaque, c’est l’action mécanique de la brosse qui le permet. Son efficacité est limitée à son action reminéralisante.
  • Les dentifrices « blancheurs » sont fortement déconseillés chez les patients présentant des lésions d’abrasion (et sont à contrôler chez les personnes indemnes). En effet, ces dentifrices contiennent des particules abrasives qui vont retirer les colorations dentaires (silice ou perlite).
  • Ces dernières provoquent des micro-rayures de l’émail et le fragilisent. On notera que les particules de perlite sont à privilégier car de forme aplatie et large contrairement à celles de silice qui sont plus dures et en forme de bille.

Le fil dentaire :

Il se doit d’être spongieux car doux et offre une plus grande surface de contact que le fil dentaire standard (Zucchelli, 2014b).

 

Abfraction

 

Des meulages occlusaux en prévention de l’apparition de lésions d’abfraction ne sont pas justifiés (Grippo et Simring, 1995). Néanmoins, des meulages peuvent être réalisés dans certains cas en prévention d’échec de restauration cervicale (Saporta et coll., 2001).

La gestion des pertes de substance cervicale découle d’un plan de traitement global et ne peut se limiter à une discipline en particulier. En effet, elle commence par le diagnostic étiologique de ou des lésions afin d’identifier la cause prédominante.

La connaissance des biomatériaux, leurs caractéristiques et indications ainsi que l’application rigoureuse des protocoles de mise en œuvre permettent au praticien d’utiliser au mieux les propriétés intrinsèques du matériau au service du patient et de pérenniser les restaurations.

La mise en place d’un traitement restaurateur, chirurgical ou mixte permet de, soulager les structures dentaires restantes, rétablir une anatomie dentaire optimale et au patient, de retrouver une esthétique.

 

La prise en charge des lésions cervicales peut être schématisée sous la forme d’un arbre décisionnel.


Point sur la déminéralisation, reminéralisation

L’érosion peut laisser perplexe aux premiers abords car difficilement diagnostiquable aux premiers stades et parce que leur prise en charge (restauratrice) n’a trouvé de réponse que récemment avec l’avancée considérable de la dentisterie adhésive.

La lésion carieuse offre une déminéralisation en surface moins importante qu’en subsurface alors que la lésion érosive peut être vue comme un lavis acide sur la dent, enlevant des couches successives en commençant par les cuspides.

Ceci peut expliquer les aspects cliniques différents des deux processus.

La déminéralisation s’opère par palier. En effet, les premiers stades correspondent à une déminéralisation partielle (l’émail est comme ramolli) qui peut faire l’objet d’une reminéralisation en utilisant la matrice restante.

Nous avons vu que la restauration de telle lésion est difficile (substrat modifié, pose du champ opératoire en cervical délicat etc.) raison pour laquelle la prévention est primordiale :

  • éviter le curetage de lésions reminéralisables,
  • conservation maximale de tissus sains,
  • impliquer le patient dans sa santé bucco-dentaire, l’inviter à prendre soin de lui avec le praticien.

La mise en place de mesures complémentaires permet d’arrêter le cycle de déminéralisation application d’agents pharmacologiques en combinaison avec modification des mesures d’hygiène buccodentaire et modification des habitudes alimentaires.

Ces agents pharmacologiques sont le plus souvent des agents fluorés car le but est de prévenir la déminéralisation future et favoriser la reminéralisation des tissus déminéralisés.

 

Les différents agents utilisés

 

Les agents fluorés seuls

  • Le fluorure de sodium (NaF) (il existe une conversion lente et partielle de la phase cristalline de l’émail en fluorohydroxy apatite plus résistant aux attaques acides que l’hydroxy apatite).
  • Le fluorure d’amine (AmF)
  • Le fluorure d’étain (SnF2)
  • Le fluorure de titane (TiF4)

Nous retiendrons que l’AmF, le SnF2 et le TiF4 sembleraient plus efficaces que le NaF (Garot et coll., 2018). Et plus particulièrement avec l’utilisation de solutions à pH bas qui permet la formation plus rapide de Fluorure de Calcium (Ca2+F) dont le calcium provient de l’environnement buccal à proximité immédiate et une meilleure incorporation des ions métalliques dans l’émail (Texeira et coll., 2016).

 

Phosphopeptide de caséine-calcium amorphe (CPP-ACP)

La présence d’acides dans une solution sous-saturée en phosphates et calcium est la dynamique qui permet la déminéralisation de l’organe dentaire. L’incorporation de caséine phosphopeptide permet de stabiliser le calcium et le phosphate sous forme amorphe (Cross et coll., 2005) et son application au contact de la dent permet sa reminéralisation par apport direct de phosphate et calcium.

 

Combinaison (Fluor/CPP-ACP)

La combinaison de fluor associé au calcium et phosphate semble très intéressante par synergie. L’association de CPP-ACP ainsi qu’un vernis fluoré de 900ppm semble plus efficace que le CPP-ACP avec un meilleur potentiel de reminéralisation (Srinivasan et coll., 2010), même constat pour son association avec un vernis fluoré supérieur ou égal à 22600ppm (Bayrak et coll., 2017).

Le vernis semble la forme galénique la plus intéressante car adhère à la dent et permet ainsi une augmentation du temps de contact de ce dernier et offre aussi une barrière mécanique adhérente. Le pilotage des lésions (carieuses ou érosives) est une méthode intéressante pour le patient ainsi que le praticien puisqu’il consiste à un suivi régulier chez un patient (informé et motivé uniquement) permettant une reminéralisation de lésions ainsi qu’à un recours à une thérapeutique restauratrice en dernier recours seulement.

Le patient est alors responsabilisé, impliqué dans sa santé orale et peut se féliciter de son adhésion au plan de traitement quand la reminéralisation des tissus durs est au rendez-vous.

Ci-dessous l’approche possible préventive et curative à adapter en fonction de la compliance et des possibilités matérielles du patient (gouttière) (d’après Garot et coll., 2018) :


Point sur l’hypersensibilité dentinaire

L’hypersensibilité dentinaire peut affecter rapidement un patient présentant une lésion cervicale, même minime. La démarche thérapeutique et le gradient thérapeutique de son traitement sont exposés dans le schéma ci-dessous :