Le terme « biocéramique » regroupe l’ensemble des matériaux céramiques à usage médical. Ces matériaux sont connus et utilisés depuis plusieurs siècles. Matériau biocéramique par nature, le phosphate de calcium a suscité un intérêt marqué dès la fin du XVIIIe siècle. L’une des premières utilisations médicales documentée remonte à 1821 : von Walther décrivait son emploi pour combler des défauts crâniens consécutifs à des trépanations. En dentisterie, on peut citer les travaux de Cravens en 1876 qui utilisa du « lacto-phosphate of lime » en matériau de restauration et de coiffage pulpaire puis, en 1878, Witte qui proposa du ciment de Portland comme matériau d’obturation canalaire. De nombreuses recherches sur les matériaux à base de calcium ont ainsi jalonné les XIXe et XXe siècles.
C’est à partir des années 1990 que l’utilisation moderne des biocéramiques en dentaire connaît un véritable essor. Torabinejad et son équipe développent un ciment dérivé du ciment de Portland, dont la réaction de prise repose sur la réaction du silicate de calcium avec l’eau, permettant leur utilisation dans diverses situations en endodontie. Le but était alors de créer un matériau stable, capable d’adhérer à la dentine, biocompatible voire bioactif, notamment dans le but de remplacer l’hydroxyde de calcium pur qui montrait des limites lors du traitement des plaies pulpaires ou des perforations. Depuis, ces matériaux ont connu de multiples évolutions et sont largement utilisés en endodontie.
Le premier Ciment Silicate de Calcium (ou CSC, voire ciment « hydraulique », terme préféré par certains auteurs au terme « biocéramique », trop vaste et peu spécifique) fût commercialisé aux États-Unis sous le nom de ProRoot MTA (Mineral Trioxide Aggregate) par la société Dentsply en 1999. Ce lancement fît suite aux travaux de l’équipe de Torabinejad sur le ciment de Portland, dans lequel avait été incorporé de l’oxyde de bismuth pour le rendre plus radio-opaque. Le ciment de Portland était un mélange assez hétéroclite dans sa composition (mélange de silicates de calcium, d’aluminates de calcium, d’oxydes métalliques divers…). Les études se sont alors tournées vers la mise au point d’un CSC de synthèse dont la composition serait davantage tournée vers le « principe actif » : le silicate de calcium. Ce travail aboutit notamment à la commercialisation en 2008 au Canada, de l’iRoot (Innovative Bioceramix), un CSC en format pré-mélangé, dont l’équivalent en France fût commercialisé en 2013 sous le nom de TotalFill. De même, la Biodentine (Septodont) vit le jour en 2011, plus tard accompagnée de son équivalent en ciment d’obturation canalaire, le BioRoot, en 2015. Ces deux produits étaient alors proposés en format poudre/liquide à mélanger.
Depuis, de nombreuses formulations de CSC sont apparues sur le marché, revendiquant l’appellation « biocéramique ». Qu’ils soient en format « putty » (visqueux, destinés notamment au coiffage pulpaire ou à l’obturation endodontique a retro) ou en format « sealer » (plus liquides, destinés à l’obturation canalaire), ces produits sont tous constitués de silicate de calcium en théorie. Il existe cependant une multitude de produits dits « biocéramiques », dont les compositions varient grandement et peuvent potentiellement affecter leur utilisation.
Cet article propose un bref rappel des composants des CSC afin de guider le choix des praticiens souhaitant les utiliser, puis de faire une synthèse de leurs différentes propriétés, pour en optimiser l’utilisation clinique.
Composition
La composition des CSC varie grandement d’un produit à un autre. Il est toujours possible d’accéder aux fiches techniques présentes sur les sites des fabricants, mais les informations relatives à la composition y sont souvent lacunaires. Pour essayer d’en savoir plus, il existe des fiches « Material Safety Data Sheet » (MSDS) censées regrouper les données relatives aux propriétés des substances chimiques contenu dans un produit. Même si la composition exacte n’y est pas détaillée, ces fiches permettent souvent d’en apprendre plus sur les matériaux. Les informations disponibles sur les divers noms commerciaux listés ci-après émanent souvent de ces MSDS, mais leur contenu reste fréquemment incomplet. Il est à noter que de nombreux industriels pratiquent le « white labeling », pratique commerciale consistant à revendre sous sa propre marque un produit fabriqué par un tiers, sans modification de la composition. C’est-à-dire que certains produits sont exactement les mêmes dans leur composition, mais présentent des appellations et des packagings différents selon la marque qui les commercialise.
Il est possible de regrouper les composants en plusieurs catégorie.
Il n’existe actuellement ni consensus ni réglementation stricte encadrant l’usage du terme «biocéramique». La composition exacte des ciments silicates de calcium (CSC) varie donc librement d’un fabricant à l’autre, tant sur le plan des constituants que de leurs proportions.
Quelques CSC représentatifs sont regroupés dans les tableaux ci-dessous. Plusieurs points méritent d’être soulignés.
Propriétés des CSC
Pour une utilisation clinique optimale des CSC, il est essentiel de comprendre les propriétés du matériau mis en œuvre. Bien que les formulations commerciales varient considérablement, certaines caractéristiques générales peuvent être identifiées.
Temps de travail
Le temps de travail est une valeur clinique qui correspond à la période pendant laquelle le matériau reste malléable et manipulable. Il est systématiquement inférieur au temps de prise, qui, dans le cas des CSC, est généralement long et progresse de manière asymptotique.
Les formulations de type putty présentent le plus souvent un temps de travail réduit, de l’ordre de quelques minutes à une dizaine de minutes. À l’inverse, les formulations sealer peuvent rester manipulables pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours, en fonction de leur composition et des conditions cliniques.
Il est à noter que, même après un certain temps de prise, les CSC présentent une structure cristalline peu cohésive, dépourvue de liaison organique, ce qui les rend sensibles à l’action mécanique : ils se fragmentent sans s’opposer significativement à la progression d’instruments endodontiques, permettant ainsi leur évacuation progressive lors d’un retraitement.
Exothermie de prise
Comme tous les ciments, l’hydratation provoque un certain dégagement de chaleur lors de la prise. Cependant, en raison de leur cinétique d’hydratation lente, les silicates de calcium dégagent très peu de chaleur, l’exothermie est donc globalement négligeable. Les aluminates et le sulfate de calcium, dont la prise est très rapide, peuvent générer un dégagement de chaleur. Néanmoins leur faible proportion dans la formulation du matériau en limite l’impact thermique global.
Solubilité
Les silicates de calcium sont hydrophiles et partiellement solubles avant le début de leur prise. Une fois la prise amorcée, leur solubilité diminue fortement, bien que des échanges hydriques avec le milieu restent possibles tout au long de la durée de vie du matériau. Les formulations sealer, en raison de leur viscosité plus faible, sont plus sensibles à l’hydrolyse tant que la prise n’a pas débuté. Leur exposition prolongée à un environnement humide peut entraîner une dispersion partielle, un phénomène connu sous le nom de « wash-out ». Il convient donc de minimiser autant que possible leur surface de contact direct avec les fluides biologiques durant cette phase critique.
Résorbabilité
Les silicates de calcium présentent une bonne résorbabilité théorique dans l’environnement biologique. Toutefois, comme vu précédemment, les CSC commerciaux contiennent également d’autres constituants qui peuvent en limiter la résorbabilité. Par ailleurs, une fois la prise amorcée, une couche interfaciale se forme à la surface du ciment, susceptible de freiner sa résorption. En pratique, les petites quantités de CSC présentes dans les tissus sont résorbées progressivement, tandis que des volumes plus importants peuvent persister plusieurs années. Notons que la dent dépulpée étant un environnement inerte et fermé le ciment ne se résorbe pas au sein de celle-ci.
Biocompatibilité
Les silicates de calcium purs sont considérés comme hautement biocompatibles en environnement osseux. Ils ne déclenchent pas de réponse inflammatoire significative et favorisent la formation osseuse et l’angiogenèse. Néanmoins, il est encore une fois nécessaire de préciser que les CSC contiennent divers sous-produits pouvant altérer cette biocompatibilité. Certains composants -polymères, aluminates ou oxydes métalliques- selon leur nature et leur concentration, peuvent ainsi altérer la biocompatibilité globale du matériau. Certaines études in vitro menées sur la Biodentine et le TotalFill ont mis en évidence d’excellents résultats quant à la biocompatibilité et la bioactivité de ces deux matériaux, les plaçant comme produits référence.
Propriétés mécaniques
Les propriétés mécaniques des CSC sont relativement faibles lorsqu’elles sont comparées aux matériaux de restauration conventionnels. La résistance à la compression est, au maximum, évaluée à 50MPa pour la Biodentine après durcissement. De même, la micro-dureté Vickers est estimée aux alentours de 50HV. Ces valeurs restent modestes et, surtout, elles sont bien plus basses durant les premières heures suivant la mise en place, en raison de l’hydratation progressive du matériau. En pratique, si un CSC peut ponctuellement être utilisé comme matériau de restauration provisoire, il n’est pas recommandé de le laisser exposé au milieu buccal sur le long terme. Son manque de résistance, sa rugosité et sa faible capacité de polissage en font un matériau mal adapté aux zones soumises à des contraintes mécaniques ou bactériologiques.
Ainsi, les CSC ne sont pas indiqués comme bases intermédiaires épaisses et il vaut mieux en laisser une couche relativement peu épaisse à la suite d’une pulpotomie, par exemple. Lors de situations cliniques délicates -par exemple en cas de traitement d’une résorption cervicale externe- leur emploi doit rester limité à des indications précises où le matériau sera protégé d’un contact avec le milieu buccal.
Valeurs d’adhérence
Les CSC présentent une certaine capacité d’adhésion à la dentine, principalement grâce à des liaisons ioniques entre les silicates de calcium et la dentine. Cette interaction contribue à l’étanchéité à long terme du complexe CSC-dentine. Toutefois, les valeurs d’adhérence obtenues restent nettement inférieures à celles générées par des systèmes adhésifs conventionnels. Les meilleures performances rapportées pour la Biodentine atteignent à peine 6 MPa dans des conditions optimales in vitro. Par ailleurs, les études évaluant l’adhésion de matériaux de restauration — tels que les ciments verre ionomère ou les composites — sur des surfaces de CSC (même après maturation complète) font état de valeurs faibles et très variables, généralement comprises entre 3 et 12 MPa. En clinique, il ne faut donc pas compter sur une liaison fiable entre le CSC et le matériau de restauration. Il est impératif de réaliser le collage sur une surface dentaire saine, propre et sans ciment en périphérie.
Effet antibactérien
Les CSC présentent un effet antibactérien modéré, principalement lié à la libération d’hydroxyde de calcium durant l’hydratation des silicates de calcium. Cette libération entraîne une élévation locale du pH, souvent supérieure à 11, créant un environnement défavorable à la survie des bactéries. Cet effet est comparable, bien que généralement moins intense et moins rapide, à celui de l’hydroxyde de calcium employé pur.
Il est important de noter que cet effet est transitoire, car il dépend directement de la réaction d’hydratation en cours. Une fois le ciment stabilisé, son potentiel antimicrobien tend à décroître. Par ailleurs, on ne peut pas considérer que les CSC soient bactéricides à large spectre et ils ne peuvent pas se substituer à une désinfection préalable rigoureuse du canal.
Pouvoir dyschromiant
Les préoccupations concernant le pouvoir dyschromiant des CSC proviennent essentiellement de l’usage initial de l’oxyde de bismuth comme radio-opacifiant. Ce composé, de couleur jaune à l’état neutre, peut réagir avec l’hypochlorite de sodium ou le collagène de la dentine pour former un précipité noir ou foncé, responsables de changements de teinte perceptibles cliniquement.
Les formulations plus récentes, basées sur d’autres oxydes métalliques ne semblent pas provoquer ce type de réaction, et offrent une meilleure stabilité esthétique. Certains CSC contenant de faibles quantités d’oxyde de fer peuvent induire une légère coloration, mais ce phénomène reste limité et généralement sans impact clinique significatif. Enfin, les produits étiquetés MTA peuvent intégrer divers oxydes métalliques d’origine variable, susceptibles d’interférer avec la teinte de la dentine dans certains contextes.
Interactions
Les CSC sont susceptibles d‘interagir avec d’autres produits, ce qui peut altérer leur prise ou compromettre leurs propriétés mécaniques et biologiques. Tout d’abord, rappelons que les CSC présentent une tolérance intrinsèque à l’humidité résiduelle du fait de leur mécanisme de prise par hydratation, ce qui permet leur utilisation dans des conditions cliniques où l’assèchement complet du site est difficile.
Ainsi, l’hypochlorite de sodium peut partiellement inhiber l’hydratation initiale du ciment, réduisant ainsi sa résistance mécanique et la qualité de son interface avec la dentine.
L’acide éthylènediaminetétraacétique (EDTA) est un agent chélateur qui se lie aux ions calcium, réduisant ainsi leur disponibilité dans le milieu. Il peut donc retarder voire inhiber la prise et altérer les propriétés finales du matériau.
Enfin, bien que le sang n’interagisse pas chimiquement avec le ciment, son incorporation provoque l’inclusion de protéines et de pigments au sein du matériau, ce qui pourrait diminuer sa résistance mécanique et colorer le matériau.
Résistance à la chaleur
Les silicates de calcium hydratés présentent une bonne stabilité thermique, et ne se dégradent pas aux températures habituellement rencontrées en clinique. Une élévation de température sur un matériau déjà pris peut entraîner une évaporation partielle de l’eau résiduelle, favorisant parfois une cristallisation plus rapide, sans altérer significativement la structure du ciment. En revanche, durant la phase de prise, une exposition prématurée à la chaleur — en particulier pour les formulations poudre-liquide contenant de l’eau — peut entraver l’hydratation initiale, notamment par évaporation du liquide. Cela n’a pas de réel impact sur le matériau, dans la mesure où celui-ci peut s’hydrater et se déshydrater selon les conditions du milieu. Néanmoins, cela peut modifier la rhéologie du matériau, affecter sa mouillabilité et potentiellement altérer la prise des matériaux hydriques (type Biodentine ou BioRoot). Les ciments pré-mélangés, contenant un substrat non aqueux, sont quant à eux beaucoup moins sensibles à cet effet.
Lors des techniques d’obturation canalaire à chaud, le ciment peut entrer en contact avec la gutta-percha chaude et ramollie. Ce contact thermique et mécanique pourrait induire un mélange partiel ou une dilution locale du ciment, susceptible d’en altérer les propriétés mécaniques.
Indications des CSC
Face à la diversité des formulations disponibles sur le marché, le choix du CSC le plus adapté à une situation clinique donnée peut sembler complexe. Il existe en effet plusieurs critères de distinction : formulation (en poudre-liquide ou pré-mélangée), nature du ciment (MTA ou silicate de calcium synthétique), ou encore consistance (format sealer ou putty). Cette diversité apparente peut compliquer la sélection du matériau approprié.
Pourtant, dans la majorité des cas — notamment parmi les produits issus des marques princeps du secteur — la composition de base varie peu entre les différents formats d’une même gamme. C’est donc essentiellement la consistance du matériau (sealer vs putty) qui doit orienter le choix clinique. Un sealer est destiné à l’obturation endodontique orthograde conventionnelle, tandis qu’un putty est utilisé pour toutes les autres indications endodontiques : coiffage, apexification, chirurgie endodontique, etc. Notons que le sealer peut être utilisé pour l’obturation de perforations ou de résorptions internes difficilement accessibles (après une courbure, dans le 1/3 apical…) en y « fusant » au moment de l’obturation avec le cône de gutta. Il suffit donc de sélectionner une marque proposant une formulation fiable et documentée, et de disposer des deux formats pour couvrir l’ensemble des indications courantes en endodontie.
Pour résumer : le sealer sera réservé à l’obturation de canaux de diamètre adapté à un cône de gutta, et le putty à toutes les autres indications. Enfin, même si leur composition est proche, il n’est pas recommandé de mélanger un sealer et un putty, au risque de modifier les propriétés mécaniques ou rhéologiques du matériau.
Conclusion
Les ciments silicates de calcium représentent aujourd’hui un atout majeur dans l’évolution des traitements endodontiques contemporains. Si leur bioactivité constitue l’argument central de leur adoption, les progrès réalisés dans leur formulation et leurs propriétés physico-chimiques élargissent considérablement leur champ d’application clinique.
Toutefois, une meilleure standardisation des formulations ainsi qu’un accès plus transparent à leur composition seraient souhaitables, tant pour le clinicien que pour le chercheur.
Dans l’ensemble, les CSC se montrent globalement équivalents, voire supérieurs aux matériaux conventionnels dans les indications comparables. Il reste néanmoins indispensable de poursuivre les recherches fondamentales et cliniques, afin de répondre aux nombreuses questions encore en suspens.
Approfondir notre compréhension de ces matériaux pourrait bien constituer une étape décisive dans notre capacité à interagir durablement avec le vivant.
Bibliographie