Latéralisation du nerf alvéolaire

Georges Khoury et Anne Benhamou

Dossier spécial : la mandibule atrophiée

AONews #15 - Décembre 2017


Dr Anne Benhamou et Dr Georges Khoury (Paris)

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Latéralisation du nerf alvéolaire AONews #15
Latéralisation du nerf alvéolaire G.Khou
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Le déplacement du nerf alvéolaire et la modification de son émergence initiale au niveau du trou mentonnier vers une situation plus distale, est considéré comme la technique ultime, quand les autres thérapeutiques additives sont écartées (Rosenquist B. 1992, Hirsch JM et all. 1995). Ces dernières présentent des risques de complications secondaires et de morbidité liées aux éventuels sites de prélèvements secondaires.

La latéralisation nécessite la création d'une fenêtre dans le corps mandibulaire. Elle expose le canal sur sa longueur en partant du trou mentonnier.

Le pédicule vasculo nerveux est alors dégagé du corpus mandibulaire et déplacé latéralement. La pose d'implants intervient de façon simultanée et doit prendre en considération la ré-entrée chirurgicale nécessaire pour la mise en fonction, pour une greffe de tissu kératinisé ou pour la gestion d’une péri-implantite.

 

Avantages

  • Réalisation d'un seul site opératoire et absence de morbidité d'un site secondaire de prélèvement.
  • Pose des implants dans le même temps opératoire et réduction du temps de traitement global.

Inconvénients

  • Risque lésionnel du pédicule alvéolaire.
  • Paresthésie secondaire potentielle transitoire ou définitive.
  • Temps opératoire long.
  • Difficulté d'accès selon la position (superficielle ou profonde) du nerf alvéolaire.
  • Mauvaise visibilité du site opératoire (Importance des loupes).

 

Etat de la littérature sur le succès à court terme de la thérapeutique

 

La majorité des auteurs s’accordent sur la présence de paresthésies secondaires (Barbu BM et all.2014). Il faut noter que la simple lésion de la gaine nerveuse peut déclencher cette paresthésie. La revue de littérature de Vetromilla HM et all. en 2014, fait état d’études avec suivi à moyen terme (48 mois) avec des altérations permanentes de la sensibilité variables de 3,4 à 22,1 % selon la technique opératoire (transposition et/ou latéralisation).

 

Toutefois la majorité des publications incluent dans leur protocole opératoire l’usage d’instruments rotatifs. La gestion des tissus durs et des tissus mous fait l’objet de multiples publications, visant à réduire ces suites post-opératoires (Peleg M et all. 2002)

 

L’avènement de la piézochurgie change les protocoles. Le choix judicieux d’instruments non tranchants met en avant l’innocuité des inserts sur les tissus mous. L’activité essentielle de ces inserts (hormis ceux destinés aux syndesmotomies) se limite aux tissus durs sous l’action des ultra-sons. De plus la cavitation, réputée hémostatique, permet une meilleur visibilité des structures sous-jacentes. Pour Metzguer MC et al. 2006, l’ostéotomie réalisée avec différents outils, montre une abrasion de la gaine neuronale croissante dans l’ordre suivant : le plus abrasant serait l’usage des fraises chirurgicales traditionnelles, suivi des inserts de piezochirurgie, et enfin des fraises boules diamantées. Toutefois les deux derniers instruments cités n’entrainent selon l’auteur de paresthésies secondaires.

 

L’évaluation rétrospective de 6 cas traités dans notre activité par piézochirurgie confirme l’absence de paresthésie secondaire à l’acte opératoire.


Technique opératoire

 

L’illustration de ce cas clinique décrit les étapes essentielles à la mise en route d’une latéralisation du nerf alvéolaire.

 

Indication

 

Cette jeune patiente, se présente en consultation pour un second avis suite à une décision de greffe par prélèvement crânien programmée.

 

La patiente souffre d’agénésies multiples concernant les secteurs mandibulaires. Le secteur droit montre un positionnement crestal du nerf alvéolaire. Le secteur gauche montre une atrophie secondaire à la perte de dents lactéales. La 47 présente des racines courtes en parodontite terminale (Fig. 1).

 

L’examen des rapports inter-arcades du secteur gauche montre un os crestal faiblement résorbé. L’agénésie des molaires a permis lors de la croissance un positionnement atypique du canal alvéolaire. Il se situe entre 1 et 2 mm de la crête (Fig. 2 et 3).

 

La greffe est formellement contre-indiquée. La correction de la hauteur de la crête n’est ni réaliste ni pérenne. Elle aurait entrainé une greffe au-delà du niveau du niveau du septum distal de la 35. L’augmentation en hauteur entrainant de facto une morsure sur les plans muqueux et osseux augmentés. Dans ce contexte la latéralisation du nerf alvéolaire est la seule thérapeutique possible.

 

Une anesthésie tronculaire est initiée. Le lambeau de pleine épaisseur est récliné. L’ostéotomie est réalisée au « Piézo Mectron » avec des inserts de coupes et des inserts boules diamantés. Elle libère en partant de l’émergence du mentonnier le pédicule vasculo-nerveux. Ce dernier est désinséré de son site (Fig. 4).

 

Classiquement la latéralisation impose une section du pédicule en aval du trou mentonnier. Cette section du pédicule incisif entraine une perte de la sensibilité du groupe dentaire concerné, sans incidence sur la vitalité des incisives et canine. Cette incision permet d’obtenir la laxité nécessaire afin d’éviter un repositionnement du nerf trop proche de la surface osseuse. Cette proximité si elle était tolérée, entrainerait un risque lésionnel majeur pour toute ré-intervention secondaire au collet des implants.

 

Dans ce cas précis, l’idée de créer un néo-canal alvéolaire dans le corps mandibulaire s’est imposée. Elle est rendue possible par la position initiale crestale du nerf. Ce néo-canal est créé par forage vestibulaire d’une tranchée horizontale. La traction douce du nerf, en jouant sur l’élasticité obtenue par l’étendue de la surface libérée, permet un positionnement en légère tension du nerf dans le néo-canal (Fig. 5). Ce cas représente une modification originale de la technique opératoire.

 

Les implants (Xive ®) sont alors positionnés dans le même temps opératoire (Fig. 6) et un comblement de la tranchée est réalisé avec de l’os de banque BioBank®. La radiographie post-opératoire objective la nouvelle émergence du nerf alvéolaire en distal, à l’endroit  où l’image du canal disparait (Fig. 7).

 

Le second temps chirurgical à 4 mois est réalisé de façon conventionnelle sécurisé par l’apicalisation du nerf alvéolaire.

 

La radiographie post opératoire à 2 ans montre une stabilité de l’os crestal, du moins au niveau des septums proximaux (Fig. 8). En effet l’incidence du comblement vestibulaire ne peut être appréciée sur un cliché en deux dimensions.

 

Suivi à court, long et moyen terme

 

La latéralisation se basant sur le déplacement du pédicule alvéolaire avec le respect de l’os basal résiduel, évoque un pronostic favorable à long terme (> 10 ans) similaire aux implantations dans l’os initial non greffé.

 

Indications de la latéralisation du nerf alvéolaire

 

-       Atrophie avancée des secteurs mandibulaires postérieurs.

 

-       Niveau du septum distal de la dent bordante situé au même niveau que la crête résiduelle en distal. Cette situation contre-indique toute correction osseuse axiale

 

Contre-indications

  • Quand une alternative par une augmentation osseuse ou par des implants courts est possible.
  • Quand l’atrophie est très profonde (par rapport au plancher buccal) empêchant un accès à l’hygiène.
  • Quand l’atrophie sévère concerne l’os basal, fragilisant le corps mandibulaire lors de l’ostéotomie d’accès au pédicule alvéolaire (Kan JY et all. 1997)

 

Conclusions

 

Cet exposé des différentes solutions, pose la complexité du choix de la bonne thérapeutique propre à chaque cas clinique. Ainsi il ne peut exister, à notre avis, de traitement systématique des défauts par une approche unique. La considération des différents facteurs relatifs à la morbidité post opératoire, aux risques associés et à la pérennité du traitement peut faire l’objet de discussions et d’hésitations  importantes. Toutefois les règles de base que sont l’information éclairée du patient et la maitrise de la thérapeutique proposée doivent être de rigueur. La meilleure adhésion du patient à notre proposition se manifeste à travers une réflexion simple : « et si c’était de nous qu’il s’agissait, que choisirons nous? ».

 

Toutefois cela doit être modulé par l’état général et local du patient traité. En somme le meilleur traitement est celui qui aboutit à son terme sans complications, et reste pérenne dans le temps.

 

Utopie ou réalité ?

Bibliographie

 

-Amel S. Eltayeba, Abdelnasir G. Ahmadb : Piezosurgery: A safe technique for inferior alveolar nerve mobilization in surgical correction of hemimandibular hyperplasia—Review of the literature and case report. Int J Surg Case Rep. 2017; 31: 51–53.

-Barbu HM., Levin L. Bucur MB, Comaneanu RM, Lorean A : A Modified Surgical Technique for Inferior Alveolar Nerve Repositioning on Severely Atrophic Mandibles: Case Series of 11 Consecutive Surgical Procedures. Chirurgia 2014; 109:111-116 No. 1, January - February

-Hirsch JM, Branemark PI: Fixture stability and nerve function after trans-position and lateralization of the inferior alveolar nerve and fixture installation. Br J Oral Maxillofac Surg. 1995; 33: 276–281.

-Kan JY, Lozada JL, Boyne PJ, Goodacre CJ, Rungcharassaeng K: Mandibular fracture after endosseous implant placement in con- junction with inferior alveolar nerve transposition: a patient treat- ment report. Int J Oral Maxillofac Implants. 1997; 12(5):655-659.

-Metzger MC, Bormann KH., Schoen R, Gellrich NC, Schmelzeisen R: Inferior alveolar nerve transposition: an in vitro comparison between piezosurgery and conventional bur use. J. Oral Implantol. 2006; 32:19-25.

-Peleg M, Mazor Z, Chaushu G, Garg AK: Lateralization of the inferior alveolar nerve with simultaneous im- plant placement: a modified technique. Int J Oral Maxillofac Implants. 2002; 17:101-106.

-Rosenquist B: Fixture placement posterior to the mental foramen with transpositioning of the inferior alveolar nerve. Int J Oral Maxillofac Implants: 1992; 7:45-50.

-Vetromilla BM, Moura LB., Sonego CL, Chagas OL Jr: Complications associated with inferior alveolar nerve repositioning for dental implant placement: a systematic review. Int J Oral Maxillofac Surgery, November 2014;1360-1366