Risque anatomique de la région molaire mandibulaire en implantologie

Thierry Gorce

Dossier spécial : 4e Congrès Euro Implanto de Nice

AONews #16 - Février 2018


Thierry Gorce

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Risque anatomique de la région molaire mandibulaire en implantologie AO#16
Risque anatomique de la région molaire A
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Introduction

La région molaire mandibulaire présente une double indication en implantologie.

D’une part elle offre la possibilité de réhabiliter un édentement par implants, d’autre part elle peut être le siège d’un prélèvement osseux en vue d’une greffe d’apposition ou de comblement, le prélèvement ramique. Les taux de succès de l’ostéointégration sont excellents mais l’abord chirurgical de cette région présente certains risques chirurgicaux de léser des éléments anatomiques importants.

Le but de cet article est de présenter ces structures, évaluer les conséquences de leur atteinte, décrire les circonstances de lésions et surtout de préciser les moyens de protection de ces éléments.

 

Le cadre anatomique

La région molaire mandibulaire est située entre la joue (région génienne) en dehors, la langue et le plancher buccal en dedans.

Elle est délimitée en avant par la région prémolaire, berceau du foramen mentonnier et en arrière par les régions massétériques et interptérygoïdiennes.

Elle est constituée d’un support osseux et d’un environnement périphérique.


Le risque interne osseux

 

La région molaire est située au niveau du corps de la mandibule dont la structure est formée d’un os compact recouvrant un tissu spongieux parcouru par le pédicule mandibulaire.

 

La morphologie osseuse

Elle présente à décrire :

- une face latérale légèrement convexe, marquée au niveau de l’angle mandibulaire de crêtes verticales correspondant aux insertions tendineuses du muscle masseter. Au niveau des deux dernières molaires se situe la portion initiale de la crête buccinatrice ;

- une face médiale marquée par une crête oblique en bas et en avant sur laquelle s’insère le muscle mylo-hyoïdien. Cette crête surplombe une zone excavée dans laquelle se loge la glande submandiblaire ;

- un bord supérieur qui correspond aux alvéoles dentaires. En arrière deux crêtes verticales séparées par un méplat forment le triangle rétro-molaire. La limite entre la branche mandibulaire et la région molaire est marquée par un rétrécissement brutal de la largeur de la crête qui marque la limite postérieure des insertions du muscle mylo-hyoïdien ;

un bord inférieur, mousse, où s’insère le muscle platysma en avant du masseter.

Les structures internes

Le pédicule alvéolaire inférieur chemine dans le tissu spongieux, il n’existe pas de corticale pour définir le canal mandibulaire comme en donne l’impression de l’imagerie. Ceci s’explique par l’organisation concentrique des trabéculations osseuses du tissu spongieux autour du pédicule. L’environnement du canal est constitué d’os spongieux lâche, vascularisé d’où la prudence avec laquelle les abords chirurgicaux doivent être menés.

Il ne faut donc pas compter sur une résistance osseuse lors du forage à proximité du pédicule.

Le trajet de l’artère alvéolaire inférieure est aléatoire par rapport à celui du nerf alvéolaire inférieur.

Il ne faut donc pas voire un saignement lors du forage pour prédire la proximité immédiatement sous jacente du nerf.

Le cheminement du pédicule n’est pas précis aux radiographies conventionnelles, seule l’imagerie sectionnelle appréhende la réalité du trajet en 3 dimensions en vraie grandeur. Elle est donc indispensable à la pratique implantaire de ce secteur.


Le risque périphérique

 

Environnement jugal

Deux muscles principaux s’insèrent dans cette région, le muscle masséter en arrière et le muscle buccinateur en regard des molaires. Plus en dehors, le faisceau labial du muscle platysma croise cette région obliquement.

D’un point de vue clinique, suite à une résorption mandibulaire les insertions du buccinateur peuvent être ramenées au niveau de la crête mandibulaire.

Ce qui nécessite de protéger le périoste, seule structure dès lors à séparer le site opératoire de la région génienne, par un écarteur pour éviter de léser l’artère faciale.

Le réseau vasculaire principal de cette région est constitué de l’artère et de la veine faciale.

L’artère faciale, branche de la carotide externe, pénètre dans la région génienne en contournant le bord inférieur de la mandibule, en avant du muscle masséter et de la veine faciale. C’est au niveau de la première molaire mandibulaire qu’on la trouve dans le vestibule jugal. Elle est d’abord appliquée contre le périoste puis chemine de façon sinueuse sur le muscle buccinateur et se dirige en haut et en avant vers la commissure labiale en passant entre le buccinateur et le muscle abaisseur de l’angle oral.

 

En résumé, la présence de l’artère faciale au fond du vestibule, à l’aplomb de la première molaire oblige à :

- ne pas faire d’incision de décharge vestibulaire verticale à ce niveau

- pratiquer un décollement vestibulaire muco-périosté

Le nerf buccal passant sous l’expansion latérale de l’aponévrose buccinatrice, se distribue en une branche externe, pour la peau de la région massétérique (sauf l’angle mandibulaire et la région parotidienne) et une branche interne pour le vestibule du secteur molaire en traversant de dedans en dehors le buccinateur au niveau du bord antérieur de la branche mandibulaire.

 

Cette situation nécessite de pratiquer une incision d’épaisseur partielle le long de ce bord antérieur, la lésion du nerf buccal aurait pour conséquence la perte de la sensibilité du fond du vestibule molaire.

 


 Environnement lingual

Le muscle mylo-hyoïdien constitue la plancher du creux sublingual, il s’étend d’une crête oblique en bas et en avant située à la face médiale de la mandibule au corps de l’os hyoïde. La limite d’insertion postérieure du muscle se situe au niveau de la face distale de la deuxième molaire, au-delà de ce site la mandibule se rétrécit brutalement.

Application clinique : le décollement du lambeau lingual se fera au niveau de ce rétrécissement afin de ne pas léser les fibres du muscle. C’est dans cette portion du lambeau que le nerf lingual est en rapport direct avec la table osseuse.

Le muscle mylohyoïdien est innervé par le nerf mylo-hyoïdien, branche du nerf alvéolaire inférieur.

Le nerf hypoglosse (XII) et le nerf lingual occupent le creux sublingual. Le nerf lingual, branche du nerf mandibulaire (V2), entre dans le creux sublingual entre la mandibule en dehors et le muscle ptérygoïdien médial en dedans. A ce niveau il est collé à la table interne de la mandibule puis se dirige en dedans pour passer sous le conduit sub-mandibulaire et se plaque sur la face médiale du muscle hyoglosse pour continuer vers la pointe de la langue où il se termine.

Cette proximité contre indique de pratiquer des incisions sur le versant lingual ET impose de réaliser un lambeau lingual muco-périosté ; les conséquences de la lésion nerveuse serait la perte de sensibilité de l’hémi-langue homolatérale.


 L’environnement inférieur

Il faut essentiellement tenir compte de la glande submandibulaire et de l’artère submentale.

La glande submandibulaire située sous le bord inférieur du corps mandibulaire est facilement palpable et épouse la forme des parois de la loge. Elle présente souvent des prolongements antérieur, postéro-supérieur et postéro-inférieur. Son canal excréteur est le conduit submandibulaire (ex canal de Wharton) qui naît de la face profonde de la glande et suit son prolongement antérieur entre le muscle mylohyoïdien et le muscle hyoglosse, il croise le nerf lingual par le dessus.

La glande est contournée par l’artère faciale qui y creuse un sillon profond. L’artère submentale naît de l’artère faciale dans la loge sub-mandibulaire. Elle chemine entre la face médiale du corps de la mandibule et la face inféro-latérale du muscle mylohyoïdien. Distante de la mandibule à sa naissance elle s’en approche progressivement en avant.

En implantologie, le risque de lésion de l’environnement inférieur est faible car son atteinte signifierait la lésion préalable du pédicule alvéolaire inférieure ; l’imagerie sectionnelle permet d’apprécier les volumes et de prendre les distances de sécurité adéquates.

L’environnement postérieur

 

En arrière la région molaire mandibulaire répond de dedans en dehors au bord antérieur du muscle ptérygoïdien médial et à l’extrémité antérieure du défilé inter-ptérygo-mandibulaire, puis au bord antérieur de la branche mandibulaire et enfin au bord antérieur du muscle masseter.

Le bord antérieur de la branche présente deux crêtes :

- l’une en dehors sur laquelle s’insère le tendon terminal de la portion temporale du muscle temporal en haut et le muscle zygomatico-mandibulaire en bas ;

- L’autre en dedans, la crête temporale recouverte par les insertions du tendon terminal de la portion orbitaire du muscle temporal.

Entre les deux crêtes « le trigone rétro-molaire », zone triangulaire à base inférieure, en avant duquel on retrouve parfois l’orifice du canal nourricier de la dent de sagesse (canal de Robinson).

Cette zone ne sert que de repères en implantologie, en particulier le bord antérieur de la branche mandibulaire, pour les tracés d’incision.


Conclusion

 

La région molaire mandibulaire contient des éléments anatomiques endo-osseux et des éléments périphériques dont la connaissance (situations et trajets) est indispensable à une pratique sécure de la chirurgie implantaire.

Le pédicule mandibulaire, l’artère faciale, le nerf lingual, autant de structures à prendre en compte en implantologie et en chirurgie des greffes.

Le tableau ci-dessous résume les risques (faible, important, grave) selon les actes pratiqués et donne les éléments de prévention.

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