Traitement pluridisciplinaire d’un cas complexe

Philippe RAJZBAUM et Davarpanah Kevin, Serfaty Eric, Szmukler-Moncler Serge, Davarpanah Mitridath

Dossier spécial : Orchestrons les traitements pluri-disciplinaires

AONews #14 - Novembre 2017


Philippe RAJZBAUM

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Traitement pluridisciplinaire d’un cas complexe AO# 14
Traitement pluridisciplinaire d'un cas c
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Introduction

 

L'implantologie a révolutionné les plans de traitement, elle a permis une prise en charge thérapeutique de situations cliniques qu'il était difficile voire impossible de traiter auparavant. L'idée d'une complémentarité entre l'implantologie et l'orthodontie a été introduite avec succès depuis plusieurs décennies (Salama et Salama 1993, Wehrbein et coll. 1997, Rose et coll. 2006). Parfois, c'était l'implantologie qui venait au secours de l'orthodontie; d'autres fois l'orthodontie intervenait au profit de l'implantologie.

 

L'implantologie a secouru l'orthodontie quand l'avancée des connaissances en implantologie a permis à l'orthodontie de s'appuyer sur le concept de l'ostéointégration pour introduire dans sa discipline le concept de l'ancrage absolu. Auparavant, cette matérialité était impossible à envisager en s'appuyant sur des dents naturelles car ces dernières sont pourvues d'un ligament alvéolo-dentaire qui autorise les mouvements. On apprit à prendre appui sur un ou des implants temporaires pour tracter un groupe de dents de manière efficace. Ces piliers ankylosés ont permis de s'affranchir des mouvements délétères qui frappaient le groupe de dents qui était sollicité biomécaniquement dans la traction. Cet implant ostéointégré, temporaire comme son nom l'indique, était nécessairement déposé au terme du traitement orthodontique. Il était inséré au niveau de l'arcade à traiter (Roberts et coll. 1986) ou dans la partie antérieure centrale du palais (Wehrbein et coll. 1997, 1998).

 

Avec l'orthodontie au service de l'implantologie, on apprit à tracter en direction coronaire des dents vouées à l'extraction. Le but de cette extrusion était de préparer les sites implantaires en termes de gencive marginale et de tissu osseux apical (Salama et Salama 1993, Korayem et coll. 2008). On spécialisa le mouvement de traction orthodontique afin d'augmenter le tissu osseux labial et modifier le biotype gingival (Wanatabe et coll. 2013). On recréa des espaces perdus entre dents adjacentes afin d'obtenir un volume osseux suffisant pour insérer un implant dans de bonnes conditions (Rose et coll. 2006, Davarpanah et coll. 2012).

 

Plus récemment, l'orthodontie et l'implantologie assistée elle par ordinateur, au service l'un de l'autre, ont permis de traiter le patient souffrant de malocclusion et d'un édentement partiel. Des implants définitifs à double usage ont été posés, ils étaient destinés d'une part à servir d'ancrage absolu dans le cadre du volet orthodontique du traitement et d'autre part à participer au volet thérapeutique implantaire du patient sous la forme d'un pilier soutenant une prothèse d'usage implanto-portée (Davarpanah et coll. 2014). La gageure de cette approche résidait dans le fait que la simulation informatique et l'implantologie assistée par ordinateur permettait de poser les implants précisément à l'endroit où, au terme du traitement implantaire, ils devaient se trouver.

 

Le cas présenté dans cet article illustre le traitement pluridisciplinaire d'un cas complexe où c'est l'orthodontie qui a rendu service à l'implantologie. Elle a rétabli les conditions idéales à la mise en place des implants en alignant les bords libres et les collets des dents adjacentes.

 

Présentation du cas

 

Examen clinique et radiologique

Une jeune femme de 29 ans se présente pour améliorer l'esthétique du secteur denté antérieur de sa mandibule. Son sourire découvre ses dents mandibulaires (Fig. 1a) et ses doléances portent sur l'aspect inesthétique de sa gencive, des embrasures de sa prothèse dento-portée (Fig. 1b, c) et de la partie métallique de sa prothèse qui est visible lors de rires francs (Fig. 1d).

 

L'examen clinique montre la présence d'une gencive hypertrophique qui apparait lors du sourire de la patiente (Fig. 1b, c). Elle est le résultat d'une greffe épithélio-conjonctive qui a été réalisée quelques années auparavant dans le but de renforcer le parodonte marginal. Cette greffe s'est épaissie au cours du temps, elle est devenue très inesthétique et a résisté à quelques tentatives de désépaississement.

La prothèse réalisée par un collègue il y a quelques années déjà réhabilite l'agénésie de ses 2 incisives latérales mandibulaires (Fig. 1c. d). Cet édentement a été compensé par une attelle de bridge collée avec deux éléments intermédiaires en céramique. Les bords libres ainsi que les collets du groupe incisivo-canin ne sont pas alignés, ils participent eux aussi à la demande esthétique.

 

La radiographie rétro alvéolaire montre que l'espace mésio-distal entre les incisives centrales et les canines est suffisant pour envisager la mise en place d'implants de diamètre réduit de Ø 3,3 mm (Fig. 1e, f). L'examen tomodensitométrique révèle un volume osseux restreint dans le sens vestibulo-lingual (Fig. 1g-j), il est cependant compatible avec la mise en place de 2 implants diamètre réduit.


Plan de traitement

Un traitement orthodontique est prévu dans le but de rendre l'arcade mandibulaire plus harmonieuse et de mettre les bords libres ainsi que les collets des incisives et des canines au même niveau.

 

Cette action augmentera la largeur des espaces édentés causés par l'agénésie des incisives latérales. La pose de 2 implants de faible diamètre permettra de réhabiliter prothétiquement l'édentement à l'aide de 2 couronnes unitaires implanto-portées.

 

Une temporisation immédiate aura lieu à l'aide de 2 couronnes unitaires provisoires en résine montées sur des piliers provisoires en titane.

Au terme du traitement orthodontique et de l'ostéointégration des implants, les arcs ainsi que les brackets seront déposés. Les étapes menant à la confection de 2 couronnes céramo-métalliques d'usage seront ensuite initiées.

 

Volet orthodontique du traitement

Le premier geste du traitement est de réaliser une gingivectomie au bistouri électrique afin de retrouver une hauteur plus adéquate entre les collets (Fig. 2a). L'aspect esthétique du sourire est amélioré. La visibilité de la gencive mandibulaire est moindre (Fig. 2b). L'attelle du bridge collé est ensuite déposée, elle révèle les espaces édentés (Fig. 2c-e).

Le traitement orthodontique est entrepris dans le but d'harmoniser les arcades, d’aligner les collets ainsi que les bords libres (Fig. 2f). Les édentements sont compensés par de petites facettes collées sur une des dents adjacentes seulement, de façon à permettre les mouvements orthodontiques. (Fig. 2g).

 

Volet chirurgical du traitement

La chirurgie implantaire est réalisée au cours du traitement orthodontique. Les arcs sont déposés (Fig. 3a) et l'alignement des collets est corrigé. La greffe gingivale est désépaissie entre les dents # 41 et 33 (Fig. 3b). Un greffon conjonctif est prélevé dans l'épaisseur de cette greffe pour être placé en vestibulaire du site # 42 car il présente une concavité vestibulaire (Fig. 3a, b).


Deux implants V3 de Ø 3,3 x 11,5 mm (MIS) sont mis en place, leur stabilité primaire est de 35 Ncm malgré la déhiscence vestibulaire (Fig. 3c). Les piliers de cicatrisation sont vissés sur les implants. Une greffe d'augmentation latérale est réalisée dans le but de recouvrir les déhiscences à l'aide d'un substitut osseux faiblement résorbable (BioOss, Geistlich) (Fig. 3d). Le lambeau est suturé autour des piliers de cicatrisation (Fig. 3e).

Temporisation immédiate des implants et poursuite du traitement orthodontique

Le patient se déplace ensuite sur le site prothétique. Les piliers de cicatrisation sont déposés et des transferts d'empreinte à ciel ouvert sont vissés sur les implants (Fig. 4a). La position des implants est enregistrée par indexation. Les petites cales en résine préparées avant la chirurgie. Elles sont solidarisées en bouche avec de la résine auto polymérisable. Cette clé est fournie au laboratoire (Fig. 4b).

Des répliques d'implants sont vissées sur les transferts d'empreinte et l'ensemble est repositionné sur le modèle en plâtre de manière à obtenir un modèle de travail (Fig. 4c). Deux couronnes provisoires transvissées sont réalisées sur des piliers provisoires en titane (Fig. 4d, e).

24 heures après la chirurgie implantaire, la patiente se présente pour recevoir ses couronnes provisoires (Fig. 4f). Les piliers de cicatrisation sont déposés et les couronnes sont transvissées sur les cols implantaires (Fig. 4g). Les radiographies de contrôle montrent la bonne disposition des implants à l'intérieur des espaces crées par le traitement orthodontique ainsi que la bonne assise de la couronne provisoire en résine avec son pilier en titane (Fig. 4h, i). Les couronnes sont soigneusement maintenues en sous-occlusion afin de minimiser les sollicitations biomécaniques lors de la mastication.

Le traitement orthodontique poursuit son cours et l'intégration des implants se met en place (Fig. 5a). Durant cette période, un éclaircissement des dents des deux arcades a été réalisé, il a été accompagné d'une légère coronoplastie des bords libres (Fig. 5b).

 

Fin du traitement orthodontique et mise en place des couronnes d'usage

A la fin du traitement orthodontique les dents provisoires sont déposées (Fig. 6a, b) et l'empreinte pour la réalisation des prothèses d'usage est effectuée (Fig. 6c). Elle est envoyée au laboratoire qui la coule et qui réalise le maître-modèle. Le laboratoire confectionnes 2 couronnes céramo-métalliques transvissées (Fig. 6d, e). Elles sont mises en place directement sur le col implantaire avec un torque de 30 Ncm. La figure 6f montre le sourire de la patiente qui est satisfaite du résultat final obtenu (Fig. 6g). Les radiographies de contrôle montrent la bonne assise des couronnes d'usage et un platform-switching présent en dépit du diamètre réduit des implants (Fig. 6h, i).

Conclusion

Une des doléances de cette patiente portait sur la nature inesthétique de la gencive mandibulaire du secteur antérieur de sa mandibule qui se découvre lors du sourire. Cet aspect est le résultat d'un épaississement effectué à l'aide d'une greffe épithélio-conjonctive. Ce dernier résiste de manière récidivante au désépaississement. Pour éviter ce type de complication, il est préférable de procéder à une greffe de tissu conjonctif enfoui, elle permettra d'aboutir à un meilleur résultat final au niveau des tissus mous.

Le traitement pluridisciplinaire de ce type de cas complexe a réuni 2 spécialités distinctes, l'orthodontie et l'implantologie. L'orthodontie est venue ici au secours de l'implantologie, elle a permis de simplifier le traitement. Elle l'a converti en une succession de gestes simples et bien maîtrisés effectués par chaque spécialité.


Bibliographie

-Davarpanah M, Szmukler-Moncler S, Rajzbaum P, Davarpanah K. Manuel d'Implantologie clinique. Editions CdP, 2012, Rueil-Malmaison.

-Korayem M, Flores-Mir C, Nassar U, Olfert K. Implant site development by orthodontic extrusion. A systematic review. Angle Orthod. 2008;78:752-760.

-Roberts WE, Helm FR, Marshall KJ, Gongloff RK. Rigid endosseous implants for orthodontic and orthopedic anchorage. Angle Orthod. 1989;59:247-256.

-Rose TP, Jivraj S, Chee W. The role of orthodontics in implant dentistry. Br Dent J. 2006;201:753-764.

-Salama H, Salama M. The role of orthodontic extrusive remodeling in the enhancement of soft and hard tissue profiles prior to implant placement: a systematic approach to the management of extraction site defects. Int J Periodontics Restorative Dent. 1993;13:312-333.

-Watanabe T, Marchack BW, Takei HH. Creating labial bone for immediate implant placement: a minimally invasive approach by using orthodontic therapy in the esthetic zone. J Prosthet Dent. 2013;110:435-441.

-Wehrbein H, Glatzmaier J, Yildirim M. Orthodontic anchorage capacity of short titanium screw implants in the maxilla. An experimental study in the dog. Clin Oral -Implants Res. 1997;8:131-141.

-Wehrbein H, Merz BR. Aspects of the use of endosseous palatal implants in orthodontic therapy. J Esthet Dent. 1998;10:315-324.