Gestion du volet osseux du sinus maxillaire

Dossier spécial Voyage en terre méconnue... l'OS - AO #17 - Avril 2018

Philippe RUSSE (Reims)

&

Maxime BOUVART (Reims)

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Gestion du volet osseux du sinus maxillaire
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Introduction

 

Selon la littérature, plus de la moitié des implants posés pour remplacer des molaires maxillaires ont nécessité une augmentation osseuse pré-implantaire (1). La technique de l’élévation sinusienne par voie latérale (ESVL), utilisée lorsque le déficit osseux est important, a été publiée pour la première fois par Boyne et James en 1980 (2) même si Hilt Tatum a présenté des implantations du bas-fond sinusien reconstruit dès les années 70 (3). La voie d’abord de l’ESVL est la paroi externe du sinus maxillaire et la connaissance de son anatomie et de ses variations revêt une grande importance au moment où la sinistralité de l’ESVL en France vient de connaitre une augmentation significative (4).

 

Variations anatomiques

 

La paroi externe du sinus maxillaire présente d’importantes variations individuelles de courbure, d’épaisseur et de surface. Ces variations peuvent être appréciées sur une imagerie 3D pré-opératoire, permettant de prévoir un premier degré de difficulté opératoire.

- Une courbure importante entre les portions antérieures et postérieures de la paroi, séparées par le bord inférieur de l’apophyse pyramidale, peut constituer une difficulté, surtout dans le cas où la bascule interne du volet osseux est envisagée.

- Une paroi externe épaisse, nécessitant une ostéotomie plus chronophage et la découpe d’une deuxième couche corticale plus profondément située au contact de la membrane sinusienne, augmente le risque de perforation de celle-ci.

- Un état de surface rugueux de la corticale interne du sinus influence l’adhérence de la membrane de Schneider et la présence de reliefs osseux peut singulièrement compliquer le décollement de la membrane.

Fig. 1

 

En plus de ces éléments, d’autres sources potentielles de complications opératoires doivent être recherchées sur l’imagerie pré-opératoire de la paroi externe : les septa de Underwood (5) majoritairement transversaux et présents au niveau du milieu du sinus, qui peuvent remonter sur la paroi externe, pouvant nécessiter une adaptation du tracé de l’antrostomie, voire la découpe de deux volets osseux séparés.

Fig. 2

 

L’anastomose intra-osseuse, qui relie d’arrière en avant l’artère alvéolaire postéro-supérieure avec l’artère infra-orbitaire. Celle-ci est présente selon une méta-analyse, dans 62,02% des cas sur une imagerie 3D (6). Son diamètre est variable et peut atteindre 2 à 3 mm chez 7% des patients (7). Elle est située à une distance variable de la crête osseuse maxillaire, sa position permettant quelquefois de la laisser au-dessus de l’antrostomie.

Fig. 3

 

Le foramen infra-orbitaire, situé à 1 cm en dessous du rebord orbitaire et qui peut être traumatisé par les écarteurs, dans la partie haute du lambeau vestibulaire, pendant l’intervention.

 

Techniques chirurgicales

 

Historiquement, c’est la technique du volet basculé qui a été majoritairement utilisée depuis la publication de Boyne et James (2). Une ostéotomie de la paroi, réalisée à la fraise, laisse un volet osseux découpé adhérent à la membrane de Schneider, basculé ensuite vers l’intérieur en position horizontale dans le sinus. Le taux de perforation avec cette ostéotomie a été évalué par de nombreuses études et varie de 11 à 60%.

 

Tableau 1

En éliminant les valeurs extrêmes de ces études, on relève un taux de perforation moyen proche de 25%. Ce taux a nettement diminué avec l’apparition des bistouris piézo-électriques pour lesquels le taux moyen de perforation dans la littérature est inférieur à 10%.

 

Tableau 2

Différentes solutions ont été proposées, après la réalisation de la greffe intra-sinusienne, pour remplacer le volet osseux vestibulaire :

  • une membrane Gore-Tex® e-PFTE, présentée par l’équipe de Tarnow en 2000 (8) comme améliorant la quantité d’os vital intra-sinusien et le taux de survie des implants ;
  • une membrane de collagène résorbable, proposée en 2005 par la même équipe (9) et présentant les mêmes qualités pour la reconstruction sinusienne sans nécessité de dépose;
  • plus récemment, l’étude de Barone et col (10) et la méta-analyse de Suárez-López (11) ont cependant conclu que la présence ou l’absence de membrane était sans influence sur la quantité d’os vital néoformé

Si la présence ou non d’une membrane parait secondaire pour la qualité de la cicatrisation, la bascule du volet osseux rend la paroi externe du sinus durablement fragile, la surpression dans le sinus au cours du mouchage ou d’un éternuement pouvant entrainer un emphysème gazeux. Lors de la pose de l’implant, le biomatériau est le plus souvent apparent, sans qu’une recorticalisation soit visible. Fig. 4


C’est la raison pour laquelle une alternative chirurgicale a été développée, celle du volet déposé-reposé ou repositionné : les premiers cas ont été traités à partir de 2010 avec des inserts diamantés. Il en résultait une ostéotomie large, de près d’1 mm et surtout, un temps opératoire très allongé.

Fig. 5

L’utilisation de micro-scies, d’abord de 0,55mm puis de 0,35mm (Mectron ® OT7 puis OT7S-4) a permis de réduire le temps nécessaire pour l’ostéotomie et surtout d’obtenir une découpe fine, permettant, après la greffe sinusienne, une repose précise du volet osseux.

Fig. 6 à 9

L’utilisation des micro-scies entraine cependant selon Sohn (12) une augmentation de 2,32% (1/43) à 7,14% (6/84) du taux de perforation de la membrane. Des instruments spécifiques pour la technique et en particulier une spatule coudée sur le plat ont été développés pour faciliter le décollement du volet osseux par rapport à la membrane de Schneider

Fig. 10

Après la repose du volet, celui-ci est recouvert par une ou des membranes de A-PRF (13) afin de le stabiliser et d’accélérer la cicatrisation.

 

Discussion

La première référence à la technique du volet déposé-reposé semble être la publication de Lundgren (14) en 2004 qui décrivait une étude sur 10 patients chez lesquels une ESVL était réalisée sans greffe de matériau.

Plusieurs études ont ensuite établi que la paroi externe jouait un rôle important sur la cicatrisation intra-sinusienne

  • en 2010, Avila (15) montre que cicatrisation osseuse intra-sinusienne, étudiée sur des biopsies, est de meilleure qualité lorsque les parois vestibulaires et palatines sont proches et donc que le sinus est étroit ;
  • pour Avila-Ortiz en 2012 (16), la taille de la fenêtre influence fortement la qualité de la cicatrisation, diminuée avec l’augmentation de surface du volet ;
  • l’étude animale de Rong (17) a pour sa part démontré que les parois du sinus ont un fort pouvoir ostéogénique et que la membrane de Schneider à un potentiel plus limité. La cicatrisation osseuse est donc affectée par l’absence de l’une de ces parois osseuses ;
  • la technique du volet déposé-reposé semble se développer et une étude animale est venue en conforter principe: En 2104, chez le lapin, Moon et col. (18) ont montré que le volet osseux repositionné permettait une accélération de la cicatrisation osseuse, comparé à son remplacement par une membrane collagénique. Dans le groupe expérimental, la néoformation osseuse était plus rapide et plus intense ;
  • dans une étude humaine (19), la même équipe conclue que le volet osseux repositionné se comporte comme une barrière autologue ostéo-inductive qui accélère la néoformation osseuse lors de l’ESV

Fig. 11

 

Le taux d’infection est de 2,9%, légèrement inférieur à celui des principales études sur le sujet portant sur plus de 500 sinus (20, 21,22) et compris entre 3,5 et 4,5%.

Tawil et col. (23) rapportent enfin en 2016, sur une série de 109 ESVL avec volet déposé-reposé, et concluent que la technique peut être considérée comme fiable et efficace et qu’aucune nécrose du volet osseux n’a été constatée.

 

Conclusion

 

La paroi externe du sinus maxillaire joue un rôle important dans la cicatrisation de la greffe intra-sinusienne lors de l’ESVL. Les obstacles anatomiques comme l’anastomose intra-osseuse où les septa de Underwood doivent faire l’objet d’une étude attentive lors de l’étude radiologique pré-opératoire.

Le repositionnement du volet osseux semble présenter de multiples avantages pour la cicatrisation de la paroi externe, plus apte à supporter une pression intra-sinusienne et pour la cicatrisation de la greffe intra-sinusienne, plus rapide et plus intense. L’utilisation de micro-scies piézo-électriques présente des avantages pour la rapidité et la précision de l’ostéotomie mais peut augmenter le risque de perforation de la membrane de Schneider.

 

 

Bibliographie

 

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3. Maxillary and sinus implant reconstructions. Tatum H Jr. Dent Clin North Am. 1986 Apr;30(2):207-29.

4. Rapport annuel 2015 sur la sinistralité des professions de santé Macsf

https://www.macsfexerciceprofessionnel.fr/content/download/11158/121995/version/1/file/rapport-annuel-2015%20VF.pdf

5. An Inquiry into the Anatomy and Pathology of the Maxillary Sinus. Underwood AS J Anat Physiol. 1910 Jul;44(Pt 4):354-69.

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