Quand l’orthodontie a besoin de la chirurgie

Jean-Jacques Aknin

AO News #64 - Février 2024


 

Introduction

 

L’orthodontie chez l’enfant et l’adolescent permet de corriger certaines anomalies ou déficits de croissance. Chez l’adulte, la correction squelettique est chirurgicale.

Les protocoles chirurgico-orthodontiques ont évolué dans le sens d'une simplification grâce à la piézo-chirurgie (Vercelotti1) et par la mise en œuvre de nouveaux moyens d’ancrage qui évitent les extractions orthodontiques et raccourcissent les durées de traitements.

Il est nécessaire aussi de noter que certains compromis thérapeutiques avec des compensations dento-alvéolaires peuvent être acceptables et permettent de traiter sans chirurgie. (Béziat, Aknin.2)

 

Limites de l’orthodontie et indication chirurgicale des anomalies transversales

 

Lors du diagnostic, nous remarquons souvent que les anomalies du sens transversal peuvent être symétriques ou non, uni ou bilatérales. Elles sont souvent associées à des pathologies du sens sagittal et / ou vertical. La localisation exacte ainsi que l’étiologie de la dysmorphose constatée sur le patient précises afin de proposer un traitement adapté.

 

La principale anomalie est l’endognathie maxillaire souvent liée à une fonction respiratoire perturbée et à une langue basse. Différents appareils ont été décrits pour traiter cette anomalie qui entraine souvent une latérodéviation mandibulaire qui se fixera en laérognathie si le patient n’est pas traité précocement, pendant la croissance.

 

Correction chez le sujet en croissance

 

Le quad’helix

C’est l’appareil le plus classiquement utilisé pour provoquer l’expansion transversale du maxillaire. Il provoque des mouvements alvéolo-dentaires et squelettiques en proportions variables. Il met en tension les tissus suturaux intermaxillaires et peut ainsi de stimuler leur croissance transversale. l'activation initiale d'expansion doit être suffisante pour dépasser les capacités d'adaptation élastique du parodonte et solliciter l’ouverture de la suture médio-palatine .

 

Le disjoncteur

La disjonction intermaxillaire rapide a une action orthopédique et produit une ouverture de la suture intermaxillaire. Le dispositif le plus utilisé actuellement et le disjoncteur hyrax, constitué par la solidarisation de 2 ou 4 bagues reliées par des barres d'entraînement au vérin palatin. Les bagues sont fixées sur les premières molaires et prémolaires permanentes.

 

L'ensemble du dispositif est scellé pour toute la durée de l'expansion. Le vérin est activé deux fois par jour pendant 10 jours, l’expansion réalisée est de 5mm. L'ouverture de la suture médio-palatine peut se traduire dans les premiers jours par des douleurs à la racine du nez. Cette action n’est possible jusqu’à l’âge de 14 ans chez la fille et 16 ans chez le garçon. Ensuite le traitement transversal est chirurgical.

 

Correction chez l’adulte

 

La chirurgie transversale (Fig.1)

Elle sera nécessaire chez l’adulte présentant une endognathie maxillaire. Le disjoncteur est scellé, le chirurgien intervient au maxillaire fait une section de type Lefort 1 et une section de la suture médio-palatine sans désolidariser le maxillaire du massif facial supérieur. Dans les jours qui suivent, l’activation du disjoncteur est effectuée par l’orthodontiste à raison de ¼ de tour deux fois par jour pendant dix jours, ceci provoque une expansion de 5mm qui peut aller jusqu’à 8mm en prolongeant cette activation. Cette expansion provoque un diastème inter-incisif qui sera ensuite progressivement fermé pendant le traitement orthodontique multiattaches qui est concomitant.

Après l’expansion maxillaire, Si cette anomalie a provoqué une latérognathie mandibulaire, une action chirurgicale de recentrage mandibulaire sera nécessaire.

Ce premier cas est un adulte présentant une endognathie maxillaire pour lequel une distraction chirurgicale a été prescrite (Fig. 1) et noter le diastème (Fig. 2). On visualise (Fig. 3) la fermeture du distème. Un appareil multiattachge en technique linguale a été utilisé ici.


 

Limites de l’orthodontie et indication chirurgicale des anomalies sagittales

 

Correction de la classe II chez le sujet en croissance

 

Traitement précoce

C’est l’anomalie la plus fréquente. Elle peut être traitée précocement. En denture temporaire, en denture mixte, chez l’adolescent. Là elle est traitée avec la croissance et chez l’adulte qui est hors croissance par définition, cette classe II si elle est squelettique et importante deviendra un cas chirurgico-orthodontique.

L’établissement du diagnostic permet d’évaluer des déséquilibres : dentaires, squelettiques, cutanés et fonctionnels. Le facteur fonctionnel doit être corrigé le plus tôt possible. L’analyse céphalométrique situe précisément l’ampleur des anomalies et aide au pronostic. Le traitement est variable selon les praticiens qui utilisent des éducateurs fonctionnels, la technique de Planas, des activateurs de croissance et des traitements multiattaches précoces à visée fonctionnelle. (Fig. 4)

 

Description de l’appareil DAC : arc lingual mandibulaire. Cales de surélévation sur 36 et 46. Arc continu maxillaire avec stops en distal des canines et des incisives latérales. Ressorts de distalisation molaires.

 

Diagnostic du cas présenté (Fig. 5 et 7)

- Profil convexe

- Inocclusion labiale en position de repos

- Contracture labio-mentonnière

- Interposition de la lèvre inférieure

- Problèmes fonctionnels : succion de l’index, respiration buccale et dysfonction linguale, tension labiale

- Surplomb 12 mm (Fig. 6)

- Encombrement 4 mm


 

 Étapes essentielles du traitement (Fig. 8)

- Appareil multiattaches précoce

- Nivellement des arcades, pose de cales sur 36 46 pour déverrouiller l’occlusion et libérer la croissance mandibulaire.

- Mécanique DAC de classe II et de sollicitation de croissance mandibulaire - Rééducation neuro-musculaire après traitement pour stabiliser les résultats en attendant la deuxième phase de traitement en denture permanente


 

Traitement de l’adolescent

Chez le sujet en croissance, il est possible d’agir sur la croissance mandibulaire et d’avoir une action squelettique favorable. La classe II est corrigée par un effet dento-alvéolaire de correction de la proalvéolie incisive maxillaire ou de la version des incisives maxillaires mais aussi par un effet de croissance mandibulaire sagittale qui va dans le sens de la correction du profil et de l’équilibre linguo-labio-jugal. Figures 9 à 15

 

 Traitement de l’adulte : la classe II chirurgicale

 

Chez le sujet adulte, l’anomalie squelettique ne peut pas être corrigée par la croissance, il fgut agir sur les bases osseuses et traiter chirurgicalement. Cependant, en cas anomalie squelettique est de faible importance, un traitement orthodontique de compromis thérapeutique par compensations dento-alvéolaire.

 

Les indications chirurgicales : si la classe II entraîne un déséquilibre esthétique et fonctionnel important que seule l’orthodontie ne pourra pas corriger, il faudra associer à l’orthodontie une chirurgie orthognathique. Voici les valeurs qu’il faut retenir pour basculer dans un traitement chirurgical.

 

Signes cliniques et valeurs céphalométriques limites chez les hyperdivergents faciaux en vue d’une indication chirurgicale :

- FMA ≥ 30° (divergence faciale : plan de Francfort/plan mandibulaire)

- AoBo ≥7mm

- Syndrome de face longue

- Contact labial forcé

- Sourire => gingival important

- Sillon labio-mentonnier estompé

 

Signes cliniques et valeurs céphalométriques limites chez les hypodivergents faciaux en vue d’une indication chirurgicale :

- FMA ≤ 20°(divergence faciale : plan de Francfort/plan mandibulaire)

- 0mm ≥ AoBo ≥7mm

- Syndrome de face courte

- Contact labial forcé

- Sourire => dents peu visibles, lèvres fines

- Sillon Labio-Mentonnier marqué

- Signes d’alarme occlusaux de la classe II : classe II totale (8mm), surplomb incisif ≥ 10mm

 

Des objectifs contradictoires :

- La rétrognathie est majeure mais la classe II d’Angle est réduite par rapport à l’ampleur de l’anomalies squelettique.

- Le cas présenté ci-après (Fig.16) montre une rétrognathie mandibulaire majeure, la distance cervico-mentonnière est très réduite. La malocclusion n’est pas très grave et son seul traitement serait orthodontique. Dans ce cas l’indication chirurgicale est tout de même posée. Le squelettique a priorité sur le dentaire. (Fig. 17)

Dans les classes II, la préparation orthodontique pré-chirurgicale est favorisée par des vis d’ancrage qui permettent le redressement des axes dentaires sans pratique d’extractions orthodontiques. La préparation orthodontique avant la chirurgie dure environ 9 mois. En post-chirurgie, il y a environ 6 mois d’orthodontie, puis contention.

Individualisation de l’indication chirurgicale : de la même façon que nous avons présenté une faible malocclusion avec un important décalage des bases entraînant l’indication chirurgicale, il arrive aussi que la chirurgie soit nécessaire alors qu’il n’y a qu’une faible indication squelettique. Cette attitude thérapeutique est décidée lorsque l’ampleur du mouvement orthodontique sans chirurgie risque de compromettre la stabilité de la denture notamment dans les atteintes parodontales ou chez les sujets présentant des zones d’édentation ou des prothèses importantes.

 

La classe III

 

Certaines anomalies de classe III peuvent être traitées en compromis dans la mesure ou l’équilibre fonctionnel et l’esthétique sont faiblement en dehors des normes et que la demande du patient n’est pas favorable à une chirurgie. (Fig. 18)

Le patient est oposé à un traitement chirurgical. Un traitement de compromis par compensations dento-alvéolaires est effectué avec corticotomie péri-radiculaires (Charrier5) pour faciliter les corrections dento-alvéolaires (Fig 19). La fin du traitement montre une amélioration esthétique et une correction occlusale totale (Fig. 20)

Cette anomalie entraîne un déséquilibre esthétique et fonctionnel important que seule l’orthodontie ne pourra pas corriger, il faudra associer à l’orthodontie une chirurgie orthognathique. Dans les classes III bien souvent la langue est en position basse et présente un volume augmenté.


Classe III chirurgicale

 

Les signes d’alarmes de Ricketts (Langlade 4), permettent d’analyser l’origine de la classe III et aident à poser l’indication chirurgicale. (Fig. 21)

 

Signes crâniens

1 déflexion crânienne ( angle BaNa, PH) > 27° +/- 2

 2 base antérieure du crâne courte

3 distance Porion – PTV < 39mm

 

Signes mandibulaires

4 position du ramus Xi PTV < 15°

5 col du condyle long et étroit

6 angle condylo-mandibulaire DcXiPm obtus

7 corps mandibulaire long > 65 mm

 

Signes faciaux

8 angle facial > 90 °

9 convexité négative

10 profil concave

 

Signes dentaires

11 rapport d’occlusion canine et molaire de classe III

12 rapport d’occlusion incisive inversé

 

Dans ce dernier cas, la malocclusion est majeure et montre une adaptation dento-alvéolaire importante qu’il faut décompenser avant l’acte chirurgical : bimaxillaire avec avancée maxillaire prédominante (Fig. 22). La préparation orthodontique décompense les versions incisives qui permettent ensuite la correction squelettique (Fig. 23)

La préparation orthodontique avant la chirurgie dure environ 9 mois. En post-chirurgie, il y a environ 6 mois d’orthodontie, puis contention.

Pour les classes III, l’incisive mandibulaire est vestibulo-versée pour atteindre une position d’équilibre sur sa base qui sera elle-même corrigée ensuite par la chirurgie.

 


 

Conclusion

 

Le traitement du sujet en croissance est une prévention qui évite bien souvent une indication chirurgicale à l’âge adulte.

Chez l’adulte : la consultation pluridisciplinaire est de règle, bien souvent des compromis sont acceptés mais il faut bien noter que et si l’anomalie est squelettique la solution chirurgicale s’impose le plus souvent.

 

Bibliographie

1.Vercellotti T, Podesta A. Orthodontic microsurgery: a new surgically guided technique for dental movement. Int J Periodontics Restorative Dent 2007;27:325-331.

2.Jean-Luc Béziat Jean-Jacques AKNIN Boris Babic Chirurgie orthognathique piézoélectrique : Diagnostic, indications, préparation orthodontique, réalisation des plans d'occlusion, techniques chirurgicales piézoélectriques . 400 pages 978-2-7598-0650-8. éditeur EDP sciences

3..A. PATTI et al. (S. CHAUTY, JJ AKNIN Traitement des Classes II - De la prévention à la chirurgie.Editeur : Quintescence international paru le : 10/2010

4 .M. Langlade, Optimisation thérapeutique des classes III Occlusions croisées antérieures, Editeur : Quintescence international

5.Charrier,JB, Borhani Bryon F, Racy E, Steve M, Monteil JP and S Bobin.. Traitement orthodontique accéléré par corticotomies alvéolaires chirurgicales chez l’adulte. Int Orthod 2008;6 :355-373

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